Chapitre 2 Le tournoi - Partie 4
Ainsi, comme l'avait prédit Lui Jen, Reg'liss remporta l'épreuve de tir haut la main. Quatre de ses cinq flèches avaient atteint la cible dans le cercle central, ce qui était nettement plus que la plupart de ses adversaires. Ayant démontré sa force et son adresse, il avait gagné le droit de participer aux combats. Ceux-ci se dérouleraient dans une arène qui, tout comme le terrain d'entraînement, avait été édifiée pour l'occasion sur les rives du lac. Seuls les douze meilleurs candidats allaient s'y affronter devant une foule enthousiaste.
Plus Reg'liss y réfléchissait, et moins il avait l'impression d'avoir sa place dans cette phase finale. Il s'était inscrit sur un coup de tête, il ne s'était jamais véritablement battu, et il savait que certaines personnes s'entraînaient pendant des années avant le tournoi. C'est pourquoi le jeune homme était de plus en plus hésitant à mesure qu'il approchait des abords de l'arène. Il leva les yeux sur les hauts murs de bois et les centaines de voix qu'il entendit derrière lui contractèrent légèrement l'estomac. Il rasa les murs jusqu'à l'entrée principale, chaque pas lui étant plus pénible. Les voix se faisaient de plus en plus fortes, et Reg'liss avait l'impression que tous ces cris et ces rires étaient dirigés contre lui.
Soudain, il céda à la peur. Il fit demi-tour, et il serait parti précipitamment si une voix dans son dos ne l'avait pas interpellé.
– Excusez-moi, vous êtes le dernier candidat ?
Se sentant pris au piège, Reg'liss ne pouvait plus se défiler. Il grimaça un sourire gêné et acquiesça en silence. La femme, qui portait la tenue des officiels du tournoi, avait l'air contrariée.
– Dans ce cas dépêchez-vous mon vieux, on attend plus que vous. Je ne sais pas qui vous a renseigné, mais ce n'est pas par là qu'il faut que vous rentriez. Suivez-moi, je vous emmène.
Ils longèrent les murs au petit trot jusqu'à l'opposé de l'arène. Là, l'officielle sortit une clé de sa poche et déverrouilla une porte dérobée aux barreaux de fer. Elle désigna l'intérieur d'un geste de la main.
- Par là, demanda Reg'liss.
- N'allez pas directement au centre de l'arène, le prévint la femme. Passez d'abord par la tente, s'il vous plaît. On a prévu un petit quelque chose.
En passant dans l'étroit couloir, Reg'liss constata qu'une tente avait effectivement était dressée juste devant la sortie. Trop content de ne pas affronter immédiatement la foule dont il entendait le vacarme au dessus de sa tête, il se précipita presque à travers les tentures pour se cacher.
À l'intérieur, le jeune homme se trouva bien plus à l'étroit qu'il ne l'aurait cru. La tente était spacieuse, mais une vingtaine de personnes s'y pressaient déjà, et surtout elle était encombrée de malles, de coffres, de tentures, de tables, de chaises et de portants de vêtements et d'accessoires.
Un homme en habits colorés et avec une moustache en fer à cheval saisit soudain Reg'liss par l'épaule et monologua à toute allure :
– C'est vous le dernier ? Parfait ! Vous avez juste la carrure qu'il me faut ! Il va falloir faire vite, ça va bientôt être à vous. Vous allez faire partie des premiers. Enfin, pas le premier bien sûr, il faut respecter l'ordre, n'est-ce pas ?
Tout en parlant, l'homme menait Reg'liss à travers la tente sans le lâcher, écartant les gens du bras gauche et virevoltant entre les monceaux d'objets épars.
– Je ne vous apprends rien, continua-t-il, tout le monde connaît l'ordre. Nous avons peut-être pris quelques libertés, nous nous sommes permis quelques fantaisies, mais je suis sûr qu'Ils ne nous en tiendront pas rigueur. Ah ! Voilà c'est ici. Restez bien avec la jeune fille surtout, et tenez mettez ça, ordonna-t-il en plaquant un tas de chiffon sur la poitrine de Reg'liss. N'ayez pas peur, nous sommes là pour nous amuser, même si nous faisons un métier sérieux ! Après tout le public ne va pas vous manger, n'est-ce pas ? Enfin, ça arrive quelquefois, mais pas dans cette partie du royaume je crois.
S'esclaffant de sa propre blague, le jacasseur mit une grande claque dans le dos de Reg'liss avant de s'éloigner à toute vitesse en invectivant quelqu'un d'autre. Le jeune homme resta hébété quelques secondes avant d'entendre pouffer à côté de lui. Il tourna la tête et découvrit une jeune femme qui semblait se retenir de se moquer de lui. Elle portait une longue robe noire brodée de fils d'argent et son visage était recouvert d'un voile.
– Excuse-moi je ne devrais pas rire. Mais honnêtement si tu voyais ta tête, tu comprendrais.
– Peut-être que je pourrais commencer par voir la tienne, répliqua Reg'liss piqué au vif.
Elle rabattit son voile en arrière et malgré le maquillage noir qui les recouvrait, ce dernier identifia ces yeux légèrement bridés d'un bleu très clair, tirant au gris. Il s'agissait de Sin fo, la fille du chef, et une amie proche de Reg'liss. Ses fines lèvres s'étirèrent dans un sourire et elle le taquina :
– Ne me dis pas que tu ne m'avais pas reconnue ?
– Avoue que c'est difficile dans cette tenue, se défendit-il. D'ailleurs qu'est-ce que tu fais apprêtée de la sorte ? Et qui est ce bougre qui gesticule ? Je n'ai rien compris à ce qu'il racontait !
Sin fo pouffa à nouveau.
– C'est vrai qu'il a un sacré débit. Pour résumer, il dirige une petite troupe de théâtre et ils vont retracer l'histoire du monde et des dieux pour divertir le public avant les combats.
– Tant mieux pour eux, mais qu'est-ce qu'on vient faire là-dedans ?
– Pour raconter l'histoire des dieux, il faut bien quelqu'un pour jouer les dieux, argua-t-elle d'un air entendu.
– Tu veux dire que…
– Tous les combattants oui. D'après ce que j'ai compris, toi et moi nous jouons le même rôle : Yembet le Multiface. Une face femme, dit-elle en lissant ses longs cheveux noirs sur ses épaules, et une face homme. D'ailleurs tu devrais te dépêcher de passer ton costume, le pressa-t-elle en désignant le tas de chiffon qu'il tenait toujours machinalement contre sa poitrine.
Reg'liss déplia le vêtement d'un coup sec du poignet et découvrit une fausse armure de tissu aux motifs d'ossement, et un masque en forme de crâne taillé dans un morceau de bois. Il commença à s'angoisser :
– Je ne pourrais jamais enfiler ça et défiler devant tous ces gens dehors ! Je… Je… je serais même incapable de prononcer la moindre ligne de texte !
– Oh allez nous allons bien nous amuser, assura la jeune femme en lui pressant le bras. Et puis tout le monde connaît l'histoire des dieux. De toute façon tu n'auras pas à déclamer un seul mot, c'est le narrateur qui s'occupe de tout.
Reg'liss céda devant le visage réjoui de son amie. Il endossa rapidement son déguisement, et Sin fo lui peinturlura deux taches noires identiques aux siennes autour des yeux.
– C'est vraiment nécessaire avec le masque ?
– Rappelle-toi, Yembet n'a pas d'yeux, seulement des orbites. Il faut bien que cela se voie depuis le dernier rang des gradins.
Une série de coups frappés sur un tambourin leur fit tourner la tête vers le meneur de la troupe, qui s'était mis debout sur une caisse pour dominer tout le monde.
– Très bien mes petits chéris, ne faisons pas attendre notre public plus longtemps. Vous connaissez tous votre rôle. Attendez que je vous appelle pour sortir de la tente, et donnez tout ce que vous avez ! Essayez tout de même de suivre un peu le texte que je vais déclamer, pour que tout ça ne soit pas trop fouillis.
Il sauta de sa caisse et donna ses dernières recommandations à voix basse aux membres de sa troupe. Sin fo saisit le bras de Reg'liss et le tira avec elle vers l'ouverture de la tente.
– Viens, je ne veux surtout pas rater le début.
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