Chapitre 6 Arrivée à Castelroi - Partie 1
Après avoir quitté le pont, Sin fo et Reg'liss suivirent la route, à travers champs, pendant presque deux kilomètres avant de voir se dessiner les abords de la ville. Ils ne virent d'abord que le sommet d'une tour émerger de derrière une colline. Une fois en haut de cette colline ils purent contempler Castelroi qui s'étendait à leurs pieds. Là, ils s'arrêtèrent quelques instants pour souffler, et pour admirer la vue.
Ils avaient tous les deux passés leur vie sur Incuna, et jamais ils n'avaient vu une ville aussi grande. Ils savaient bien sûr qu'il y avait dans le royaume des dizaines de villes beaucoup plus grande que Ts'ing Tao, mais ils ne s'étaient pas attendus à ce que tout leur semble si différent.
La ville était composée de milliers de bâtisses protégées par un large mur d'enceinte circulaire. Les remparts étaient percés de cinq entrées, et de chacune d’entre elles partait une large avenue menant au centre ville et au château. La ville était ainsi coupée en cinq grands quartiers rassemblés en étoile autour de la citadelle.
Tandis que la grande majorité des habitations étaient de forme carrée et au toit plat, le château était immense, composé de plusieurs ailes et possédait des tours, des dômes, des créneaux, des pans inclinés et un beffroi central qui dominait toute la ville. Dans ce château vivait le grand seigneur de la région. Sin fo et Reg'liss avaient appris à l’école que les grands seigneurs du royaume étaient les bannerets du roi. Ils lui juraient allégeance et en échange ce dernier leur confiait l'autorité sur les plus grandes villes du royaume, ainsi que sur les régions alentour. Les bannerets étaient tous issus d'anciennes lignées, datant du temps où le royaume n'était pas encore unifié. Ils ignoraient en revanche quelle famille était en charge de la région.
De là où ils se tenaient, la ville ressemblait à une fourmilière en pleine effervescence. Des dizaines de milliers de personnes se pressaient dans les rues, et même d'en haut de leur colline, ils entendaient les passants rire ou chanter, et les travailleurs crier des ordres ou des insultes. Les bruits les plus forts provenaient du quartier le plus à gauche de leur point de vue. Ils devinèrent qu’il devait s’agir de celui des artisans et des manufactures. D'immenses panaches de fumée s'élevaient des bâtiments imposants, et tout le quartier semblait plongé dans la brume. Il y avait aussi des commerçants et des artisans à Ts'ing Tao, mais aucun n'employait plus de quatre personnes. Ici, les fabriques les plus grandes semblaient assez étendues pour abriter un quartier entier de Ts'ing Tao. Reg'liss vivait dans une ferme, mais même Sin fo eut l'impression d'être une paysanne devant un tel spectacle.
Sin fo et Reg'liss descendirent la route qui les mena à l'entrée ouest de Castelroi. En levant les yeux vers les remparts, ils virent que des gardes y patrouillaient par groupe de deux. Ils admirèrent également les oriflammes qui pendaient de part et d’autre de la porte et sur lesquelles trônait fièrement le symbole de Castelroi, un blason d’argent au lion d’azur.
Trois soldats portant un haubert sur une tunique bleue, parfaitement assortie aux armoiries de la ville, gardaient la porte. Ils semblèrent surpris de voir arriver deux jeunes gens sans escorte depuis la route de la vieille forêt. Deux d’entre eux se placèrent professionnellement devant l'entrée, écus levés, tandis que le troisième, un homme grand entre deux âges, vint à leur rencontre.
– Bien le bonjour étrangers, dit-il dans un bâillement. Il est assez rare que des promeneurs viennent rompre la monotonie de nos journées. On voit bien quelques fermiers qui nous amènent leurs récoltes, mais nous les connaissons tous.
– Navrés de vous déranger, s’excusa Reg'liss qui ne voulait pas risquer d’énerver les gardes. Si vous préférez qu’on passe par une autre entrée ou...
– Pensez-vous, l’interrompit l’homme en l’arrêtant d’un geste, nous sommes là pour ça. Je me dois de prendre quelques renseignements : nom, profession, motif du séjour ?
– Je me nomme Sin fo Ni et voici mon ami Reg'liss. Nous sommes de simples voyageurs qui font escale et souhaitent visiter votre belle ville.
– C’est une drôle d’occupation que vous avez là. Vous ne travaillez donc pas ?
– Nous ne mendierons pas, si c’est ce qui vous inquiète, promit la jeune femme. Nous avons de quoi subvenir à nos besoins sans importuner vos habitants. D’ailleurs peut-être avez-vous une adresse à nous conseiller pour passer la nuit ?
– Ma foi, la femme de mon collègue Halbarad tient une auberge réputée dans le quartier est de la ville.
– Merci du renseignement.
– Je vous en prie. Bon séjour à Castelroi.
– Une dernière chose si vous le permettez, le retint Sin fo.
Reg’liss lui lança un regard mi-pressant, mi-apeuré. Il n’avait aucune envie de passer plus de temps que nécessaire avec les gardes. Mais il ne dit rien pour ne pas éveiller les soupçons. La jeune femme posa sa question :
– Nous venons d’assez loin, et nous ne connaissons votre ville que de par son nom, Castelroi. Ce nom signifie-t-il que votre seigneur est lié à la famille royale ?
L’un des soldats ricana et Reg'liss était persuadé que le reniflement de l’homme en face d’eux était une marque de dédain quand il répondit :
– Ce serait plutôt le contraire. Soyez assurés que le seigneur Garaney et sa famille servent fidèlement le roi, ainsi que tous ses sujets. Mais ces terres appartenaient à cette famille bien avant que le roi ne les leur confie. Les Garaney ont fondé Castelroi lorsqu’ils régnaient sur tout le sud du royaume. Cette ville était la capitale de leur royaume. Malgré l’annexion, nous servons toujours ce nom avec fierté.
Sin fo le remercia d’un sourire et emboîta le pas de son ami qui s’avançait déjà vers la ville. Les deux gardes postés devant l'entrée les laissèrent passer en leur adressant un salut de la tête, puis ils rejoignirent le grand homme qui venait d'entamer une bouteille dans le poste de garde.
Les jeunes gens suivirent d'abord la grande avenue en direction du centre ville, passant devant des centaines de façades blanches, toutes identiques. Seules les portes d'entrée, toutes en bois peint et verni, permettaient aux maisons de se démarquer de leurs voisines. Aucun nom ni aucun numéro n’y était annoté, mais sur chacune d'elle était peint un glyphe, entrelaçant formes et couleurs dans un ballet enchanteur.
Nos deux héros questionnèrent un passant sur ces dessins, qui leur apprit que chaque glyphe désignait une famille de Castelroi. Le motif central était celui de la branche principale de la famille, et chaque naissance, mariage, cousinade, donnaient lieu à de nouvelles associations de symboles, formant ainsi un tableau général différent pour chaque demeure. Tout en avançant, Reg'liss compta jusqu'à une quarantaine de glyphes centraux différents avant de perdre le fil.
Une fois au centre de Castelroi, ils restèrent un moment à contempler la majesté du château. Ses hauts murs de pierre gris-noir s'élevaient à plus de soixante mètres et étaient percés de nombreux vitraux. Au sommet flottaient les mêmes étendards qu'aux entrées de la ville, et des gardes faisaient les cent pas sur le chemin de ronde. Les énormes portes de bois étaient grandes ouvertes et la herse relevée. Des charrettes allaient et venaient entre la ville et le centre du château, ainsi que des villageois, des saltimbanques,des marchands ambulants et ce que Reg'liss jugea être des notables, au vu de leurs vêtements de bonne facture et du nombre de personnes les accompagnant.
Des soldats patrouillaient tout autour de la place par groupes de deux. L'un d'eux adressa un signe de tête à Sin fo et l'observa des pieds à la tête en passant devant eux. La jeune femme lui répondit par un sourire, et Reg'liss la prit par la main pour l'emmener dans la direction opposée.
Voyant l'ombre du beffroi s'allonger peu à peu vers l'est, ils reprirent leur chemin afin d'arriver au Tonneau Malté avant que la nuit ne les surprenne. Le quartier est de Castelroi rompait avec la monotonie du quartier ouest. Ici toutes les façades ou presque étaient percées de vitrines derrière lesquelles se distinguaient à la lumière du crépuscule vêtements, nourriture, outils agricoles, meubles, épices... Alors que le quartier ouest, celui des habitations, était presque désert en cette fin d'après-midi, ils durent jouer des coudes pour se frayer un chemin à travers la foule qui se pressait devant les vitrines.
Les gens avaient fini leur journée de travail, et ils venaient dépenser leur paie du jour pour s'acheter de quoi préparer leur repas du soir, ou simplement des babioles inutiles. Sin fo et Reg'liss avaient l'impression qu'il y avait dans chaque rue plus de monde que dans tout Ts'ing Tao. Après tous ces jours passés seuls en forêt ou avec le vieux Berg comme unique compagnie, ils commençaient à être étourdis par tant d'agitation et de bruit. Quelques cafés et restaurants accueillaient déjà des clients en terrasse, mais l'endroit le plus animé se trouvait non loin de la porte orientale de Castelroi.
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