Chapitre 6 Arrivée à Castelroi - Partie 2
Sin fo et Reg'liss entendirent les rires et la musique provenant du Tonneau Malté plusieurs dizaines de mètres avant d'y pénétrer. En passant la porte, ils comprirent que la réputation de l'endroit n'était pas exagérée. La moitié de la ville semblait s'être réunie dans cette auberge chaleureuse où cohabitaient des couples discrets, des groupes de jeunes aux conversations bruyantes, et une multitude de personnes qui dansaient et chantaient en chœur avec les ménestrels présents sur scène.
Nos deux héros se dirigèrent vers le bar et demandèrent à parler à la propriétaire. La femme, qui se présenta à eux sous le nom de Lucy, était grande et d'une élégance rare. Elle possédait une longue chevelure rousse et des pommettes rosies par la chaleur et les heures passées à courir entre le comptoir et les tables des clients. Ils lui expliquèrent leur rencontre avec Halbarad et tout le bien qu'il leur avait dit de l'établissement de sa femme.
– Mon époux est très fier de moi, sourit Lucy en secouant la tête, mais s'il continue de recommander mon auberge à tous les voyageurs, je ne pourrais jamais loger tout le monde. Vous êtes les seconds qu'il m'envoie aujourd'hui, mais vous avez de la chance, une chambre vient de se libérer. Laissez-moi juste un peu de temps pour la nettoyer, et prenez donc un verre en attendant.
Les deux jeunes gens s'installèrent à une table située dans un renfoncement. De là, ils pouvaient être discrets sans véritablement se cacher. Lucy vint leur apporter leur commande - Sin fo qui n'était pas habituée à boire de l'alcool avait pris néanmoins une pinte de bière pour ne pas être en reste devant Reg'liss - et leur laissa la clé pour la chambre.
Ils organisaient leur journée du lendemain lorsqu'un client vint s'asseoir avec eux. Sin fo fut immédiatement séduite par cet homme bien bâti, aux cheveux ras et à la barbe naissante et qui paraissait plus âgé qu'eux de quelques années. Reg'liss quand à lui remarqua surtout qu'il semblait passablement éméché. Malgré son état, l'homme porta sa choppe à ses lèvres et but sa pinte d'une seule traite. Il les regarda longuement tous les deux, puis fut pris d'un fou rire. Ne voulant pas attirer l'attention, nos deux héros n'osèrent pas chasser l'inconnu. Ils demeurèrent donc silencieux en attendant qu'il ait fini. L'homme s'arrêta enfin et leur dit d'une voix pâteuse :
– J'vous aime bien vous deux, vous êtes sympas !
Sin fo esquissa un sourire tandis que Reg'liss, agacé, répondit :
– Désolé mais ce n'est pas vraiment réciproque.
– Tu es méchant, geignit l’homme en se balançant en arrière, tu ne veux pas parler avec ton ami !
– Mon ami ? On ne se connaît même pas.
– Ah oui ? Pourtant moi je sais qui vous êtes Reg'liss et Sin fo.
Il avait dit cela d'une voix beaucoup plus assurée et il paraissait maintenant totalement sobre. Les deux jeunes gens se lancèrent un regard inquiet.
– Je crois qu'on va avoir des choses à se dire finalement, continua-t-il en posant ses coudes sur la table et en se penchant en avant.
– Qui êtes-vous, s'inquiéta Sin fo.
– Peu importe, disons quelqu'un qui vous veut du bien, répondit l'homme en tournant le visage vers Sin fo et en lui adressant un sourire.
– Vous devez faire erreur, tenta de mentir la jeune femme. Nous ne savons pas qui sont ces...
– Pas la peine de perdre ton temps, l'interrompit l'inconnu. Je sais que c'est vous.
– Comment peux-tu en être aussi sûr ?
À l’inverse de son amie, Reg'liss avait abandonné toute trace de politesse. L’homme le désigna de sa main tendue et leva les yeux au ciel d’un air consterné en lui répondant :
– Pitié, tu aurais dû voir ta tête quand je vous ai donné vos noms ! Un enfant de trois ans aurait compris que j'avais mis dans le mille. Ensuite, tu as donné ton nom pour réserver la chambre gros malin. J'étais au bar juste à côté, j'ai tout entendu. Et pour finir, il y a des affiches placardées un peu partout en ville avec vos têtes et vos noms. Apparemment vous n'êtes pas très appréciés par les soldats de la région, une grosse prime est même offerte pour votre capture.
– Je vois où tu veux en venir. Tu vas nous livrer.
Reg'liss s'était redressé et avait approché son visage de celui de l'inconnu. Celui-ci se leva également et soutint le regard de Reg'liss.
– Tu attires trop l'attention le jeune, calme-toi. Tu n'y es pas du tout, je suis venu vous aider au contraire.
– Pourquoi devrait-on te croire ?
– J'ai eu quelques ennuis avec les forces de l'ordre moi aussi, répondit l’homme en se détendant et en haussant les épaules, et puis vous ne semblez pas de mauvais bougres.
– Les ennemis de mes ennemis sont mes amis, c'est ça, railla Reg'liss avec un air mauvais.
L’inconnu se rassit lourdement sur sa chaise, laissant son bras droit ballant derrière le dossier et répondit avec une totale indifférence :
– Appelle ça comme tu voudras.
– On n'a pas besoin de ton aide.
– C'est ce que tu crois, dit-il en penchant sa choppe comme pour vérifier qu’elle était bien vide, mais à ta place je n'en serais pas si sûr.
Sin fo décida d’interrompre cette joute masculine et intervint :
– Que proposez-vous monsieur ..?
L’homme tourna le visage vers elle et lui adressa un sourire charmeur.
– Tu peux m'appeler Hank, beauté.
– Sin fo tu ne vas pas faire confiance à ce type !
– Écoute Reg'liss, s'il avait voulu nous dénoncer, crois-tu qu'il serait venu nous prévenir avant ?
– Il veut peut-être nous retenir le temps que des soldats arrivent.
– C'est pas bête ça, souligna Hank avant d’aspirer bruyamment ses dernières gouttes de bière, tu commences à réfléchir, c'est bien. Mais il est trop tard pour prendre des précautions. Tu devrais écouter la demoiselle gamin, elle a l'air d'avoir plus de jugeote que toi. Bon, allons dans votre chambre, on sera plus tranquilles pour parler.
– Sin fo, non.
– Allez, viens Reg'liss.
Ils montèrent tous les trois après avoir laissé quelques pièces sur la table pour les consommations. Hank entra le premier dans la chambre, alla jeter un œil à la fenêtre, ferma les volets et s'affala dans un fauteuil situé dans un coin. Sin fo s'assit sur le lit après avoir allumé une bougie. Reg'liss referma la porte à clé puis il vint se poster entre les deux, debout au milieu de la pièce. Ils restèrent ainsi sans parler pendant un long moment. Enfin Hank reprit la parole :
– On peut rester là cette nuit, ils ne fouilleront pas les auberges, et puis vous attireriez trop l'attention en n'occupant pas une chambre que vous avez louée. On partira de cette ville demain à la première heure.
– Nous ne pouvons pas partir, objecta Sin fo, nous cherchons des renseignements et nous devons nous rendre à la bibliothèque pour cela.
– On n'a pas le temps pour ça ! Je peux peut-être vous aider, qu'est-ce que vous cherchez ?
– Une ville, répondit sèchement Reg'liss. Et une île. Incuna.
– Connais pas. Où ça se trouve ?
– Dans le nord.
– Alors on fuit vers le nord si vous voulez, mais il faut mettre le plus de distance possible entre cette ville et vous, admonesta Hank en les pointant du doigt à tour de rôle.
– Encore une fois, qu'as-tu à y gagner Hank ?
– Absolument rien. Je ne veux simplement pas que deux gamins comme vous soient exécutés sur la place publique. Dormons maintenant, il faudra se lever tôt demain.
Après un regard vers Sin fo qui le pria en écarquillant légèrement les yeux, Reg'liss finit par céder.
– D'accord mais je t'ai à l'œil, je ne tiens pas à ce que tu nous fausses compagnie durant la nuit.
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