Chapitre 12 Une hospitalité singulière - Partie 4

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 Malgré la bonne volonté de Sin fo, Hank n'eut pas l'occasion de lui parler sérieusement ce soir-là. Le seigneur Iaevr accapara l'attention de la jeune femme durant tout le repas, puis il la convainquit d'aller se coucher et reconduisit lui-même Hank à sa propre chambre.

 Le lendemain, le vieux revani lui interdit l'accès à la chambre de Sin fo, ainsi qu'à la salle du trône. Ne voulant pas provoquer son hôte, Hank demeura dans sa chambre toute la journée. Il prit son mal en patience, mais les jours suivants, Iaevr inventa de nombreux prétextes pour l'empêcher de voir son amie, et quand il était à court d'idées, il restait avec eux, empêchant ainsi Hank de parler librement, et s'efforçant d'écourter leurs échanges.

 Le jeune homme s’était rendu compte que le roi l’empêchait au maximum d’interagir avec qui que ce soit. Mais comme il surveillait principalement Sin fo, cela laissait quelques libertés à Hank tant qu’il restait éloigné d’elle. Il observa la routine du palais, explora des zones de plus en plus distantes de sa chambre, sans jamais tenter de sortir véritablement. Il tachait d’être poli avec tout le monde et de sourire le plus possible. Rapidement, ses sourires lui furent rendus. Il constata qu’un petit groupe de revanis travaillait en permanence au palais, et que d’autres venaient les jours où la Taeki donnait audience. Il apprit quelques mots utiles en langue revanie en passant du temps avec les domestiques. Il donnait un coup de main aux cuisines au moment des repas, et il emportait quelques reliefs dans sa chambre.

 Un soir, il mangea avec quelques revanis. Il ne comprit presque rien de leurs conversations, mais il était presque sûr que c’était de lui que les femmes parlaient quand elles gloussaient. Le lendemain, l’une d’elles vint le voir dans sa chambre avec des fruits frais et une boisson chaude, un bouquet de fleurs qu’elle posa sur son oreiller, et une pile de livres qu’elle avait apparemment sortis de la bibliothèque sans vraiment en avoir le droit. Hank la remercia chaleureusement en inclinant plusieurs fois la tête et en posant ses deux mains sur son cœur pour être sûr de se faire comprendre. La revanie lui sourit en silence et le laissa. En s’éloignant, une de ses ailes vint frôler le menton de Hank. Le jeune homme eut l’impression que ce geste était délibéré, mais il ne savait pas quoi en penser.

 Il s’assit sur son lit et prit un des livres au hasard. Ses pages étaient couvertes de runes. Hank le jeta sur son oreiller et ouvrit tous les autres jusqu’à en trouver un avec des images. Il le feuilleta machinalement en réfléchissant. Il n’arrivait pas à s’expliquer l’attitude de Iaevr à son égard. Ils étaient certes partis du mauvais pied tous les deux, mais Hank s’était tenu de façon exemplaire depuis. Et surtout, pourquoi le traitait-il si mal alors qu’il vénérait littéralement Sin fo ? Soudain, une image dans le livre piqua la curiosité du jeune homme. Il se pencha légèrement pour regarder plus attentivement. L’estampe représentait une jeune femme à la longue chevelure brune et au visage pâle. Hank reconnut en souriant que la ressemblance avec Sin fo était troublante. Il comprit qu’il avait sous les yeux la légende de la Taeki. Sur la première image, la femme sortait de la mer, baignée d’un halo doré, puis on voyait des revanis agenouillés à ses pieds. Hank tourna la page pour découvrir une illustration bien plus sombre. On y distinguait un homme, sans ailes lui aussi, sortir de terre et brandir une lance. L’image suivante le montrait ceint de flammes, et dominant une pile de cadavres, devant des revanis prosternés. Hank commençait à comprendre la méfiance de Iaevr. Dans la fable qu’il se racontait, le jeune homme faisait office de vilain. Craignant de découvrir la fin de l’histoire, il tourna la page d’une main tremblante. Les deux derniers dessins montraient un guerrier revani poignarder l’homme de son épée en plein cœur, puis la Taeki présenter sa tête coupée au peuple, au milieu d’immenses richesses et sous un ciel radieux.

 Hank lâche le livre et sortit en trombe de sa chambre. Il n’était pas en sécurité dans ce temple. Iaevr croyait dur comme fer à la légende de la Taeki. S’il décidait de la suivre jusqu'au bout… Cela faisait déjà dix jours que Hank avait été emmené au palais, et le roi n’allait sûrement pas attendre beaucoup plus longtemps. Grâce à ses allées et venues des jours précédents, le jeune homme se repéra sans difficultés dans les couloirs et se faufila jusqu’à la chambre de Sin fo sans se faire remarquer. Cela faisait près de trois jours qu’il ne l’avait pas vue, et par chance, il n’y avait personne devant sa porte.

– Hank, s'exclama Sin fo en le voyant entrer. Je suis vraiment contente de te voir ! Où étais-tu donc passé ?

– Dans ma chambre la plupart du temps, répondit Hank. Écoute Sin fo, je n'ai pas beaucoup de temps. Iaevr ne va sûrement pas tarder.

– Pourquoi dis-tu cela ?

– Parce qu'il m'empêche de te voir Sin fo. C'est à cause de lui si je ne suis pas venu avant.

– Je sais, Iaevr m'a dit qu'il te faisait visiter le palais et la vallée.

– Il te ment Sin fo. Il me retient quasiment prisonnier. Et toi aussi.

– Tu recommences avec cette histoire ? Je ne suis pas emprisonnée. Il me traite mieux qu'une reine, et j'ai tout ce que je veux ici.

– Ce n'est rien de plus qu'une cage dorée, s'emporta Hank. Ouvre les yeux. Depuis combien de temps n'es-tu pas sortie de ta chambre ou de la salle du trône ?

– Je… commença Sin fo en hésitant, mais elle fût interrompue par un coup donné à la porte.

 Comme à son habitude, Iaevr pénétra dans la pièce sans attendre de réponse.

Taeki, il va bientôt être l'heure de… Que faites-vous ici, gronda-t-il en voyant Hank.

– Je suis venu chercher Sin fo, répondit résolument le jeune homme. Votre petit jeu est terminé.

– Vous avez perdu la raison. Gardes, cria-t-il vers le couloir. Éloignez-vous de notre Taeki, reprit-il en posant la main sur la garde de son épée.

– Sin fo n'est pas votre Taeki, cria Hank. Elle n'est qu'une femme ordinaire !

– Elle vient d'un autre monde, elle l'a elle-même reconnu.

– Moi aussi, répondit Hank. Et pourtant vous ne me considérez pas comme un dieu.

– Les écrits des anciens ne font état que de la venue d'une déesse. Nulle part il n'est mentionné qu'un homme l'accompagnerait.

– Menteur ! J’ai lu la légende ! Je sais comment elle finit. Vous voulez me tuer pour devenir un héros ?

– Comment osez-vous parler de la sorte ? Gardes ! Saisissez-le et enfermez-le.

– Quoi ? Non, arrêtez, intervint Sin fo. Laissez-le ! Arrêtez, c'est un ordre !

– Ne vous en mêlez pas, répliqua le vieux roi d’un ton sans appel. Je fais ce qu’il y a de mieux pour mon peuple.

 Un des gardes ceintura Hank, mais il ne se laissa pas faire. Il lui envoya son coude dans le menton et se dégagea. Il tenta de se rapprocher de Sin fo mais Iaevr dégaina son épée et la brandit dans sa direction. La jeune femme leva la main et deux crochets de pierre surgirent du sol pour immobiliser les pieds de Hank. Les deux gardes le plaquèrent au sol et lui attachèrent les mains dans le dos. Il continuait de se débattre mais Sin fo lui dit :

– Cela suffit Hank, laisse-toi faire.

 Ces paroles eurent le même impact sur Hank qu'un coup sur le crâne. Il cessa de lutter et se laissa soulever en arrière, puis mener en dehors de la chambre. Juste avant de passer les portes, il adressa une dernière parole à Sin fo :

– Je vois quel camp tu as choisi.

 Les deux gardes lui firent traverser l'étroit couloir menant à la salle du trône, puis le traînèrent à travers l'immense salle. Hank avait perdu toute envie de s'enfuir. Il se laissa conduire le long de l'antichambre, puis dans les escaliers jusqu'à l'extérieur du temple. Dès qu'ils furent à l'air libre, les deux gardes prirent aussitôt leur envol, portant Hank comme un fardeau. Ils montèrent vers les montagnes, en laissant Zivatanerae sous leurs pieds.

 Lorsqu'ils se posèrent, ils étaient entrés dans une grotte située presque à la verticale du temple, plusieurs centaines de mètres plus bas. Les gardes conduisirent Hank vers le fond de la grotte. Derrière des barreaux se trouvait une petite cellule avec un lit simple sans couverture, une torche suspendue au mur, et une cruche en étain renversée sur le sol. Hank se laissa détacher et pousser à l'intérieur de la cellule. Sans un mot il s'assit sur le lit et regarda un des gardes allumer la torche, prendre la cruche, sortir et verrouiller la porte derrière lui. Les deux revanis repartirent en direction de la vallée, et Hank se laissa tomber sur son matelas. Il n'avait plus envie de se battre, il n'avait plus envie de réfléchir. Il resta étendu plusieurs heures à regarder la lumière décliner à mesure que la torche se consumait, avant de sombrer dans le sommeil.

 Il fut réveillé au matin par un autre revani, qui lui rapporta la cruche remplie d'eau, ainsi que quelques fruits et un morceau de viande rouge. Hank mâchonna la nourriture sans conviction, plus par instinct de survie que par réelle envie, et porta la cruche directement à ses lèvres, grimaçant au goût du métal. L'eau était glacée et il se saisit le front à deux mains pour lutter contre la migraine. Il donna un coup de pied rageur dans la cruche, puis retourna s'allonger sur le lit. Les jours s'écoulèrent ainsi. Hank ne faisait rien, ne se levait que pour manger. Les revanis ne lui adressaient pas la parole, et cela lui convenait parfaitement.

 Une nuit, il fut tiré de son sommeil par un bruit métallique. Il pensa une seconde qu'il était l'heure de manger, mais il s'aperçut vite qu'il se passait quelque chose. Les soleils n'étaient pas encore levés, et les bruits de pas qu'il entendait étaient feutrés, comme si le visiteur essayait de ne pas le réveiller. Il resta étendu, tout en étant sur le qui-vive. Iaevr était-il venu accomplir la prophétie ? Hank fut surpris qu’il le fasse de manière si discrète. Ou peut-être les revanis en avaient-ils simplement assez de le nourrir, et avaient décidé de le faire disparaître.

 Il entendit le bruit caractéristique de la serrure, mais pas celui de la porte qui grinçait. Il se risqua à ouvrir un œil et vit que la silhouette qui se tenait devant lui ne possédait pas d'ailes. Il se releva vivement.

– Sin fo ? C'est toi ?

 Il n'avait pas parlé depuis plusieurs jours et sa gorge le fit souffrir. Il toussa et Sin fo lui répondit :

– Oui c'est moi. Fais moins de bruit, je t'en prie. Et écarte-toi un peu.

 Elle se servit de son pouvoir pour creuser sous la grille une ouverture suffisamment large pour que Hank puisse s'y glisser.

– Tu ne pouvais pas simplement m'ouvrir la porte ?

– Je n'ai pas la clé. Qu'est-ce que tu crois, que je suis en visite officielle ? Iaevr ne t'accorde pas la grâce, je viens te faire évader.

 Hank s'extirpa de sa cellule avant de lui demander :

– Pourquoi tu ne l'as pas fait plus tôt ? Pourquoi tu ne m'as pas aidé au palais l'autre jour ?

– Je t’ai aidé ! Iaevr t’aurait embroché si je n’avais rien fait ! Et ils nous auraient enfermés tous les deux si j’avais tenté de faire plus. J'ai compris en le voyant agir que tu avais raison. Mais je ne pouvais pas venir plus tôt. Iaevr avait posté des gardes devant ma porte pendant une semaine, et il a lui-même continué de me surveiller quelques jours de plus.

– Comment es-tu montée jusqu'ici ?

– Grâce à Vaen. C'est avec lui que nous allons partir. C'est toi qui avais raison, ce n'est pas notre monde, nous devons chercher un moyen de rentrer chez nous.

 Ils sortirent ensemble de la grotte et montèrent tous deux sur le cheval ailé. Il trottina un peu avant de se jeter dans le vide, puis de déployer ses ailes et de commencer à prendre de l'altitude, en direction des sommets.

 La traversée ne fut pas facile, mais Sin fo avait prévu des vêtements chauds et des couvertures pour lutter contre le froid des glaces éternelles. C'est ainsi que les deux jeunes gens s'échappèrent de Zivatanerae et entamèrent un nouveau voyage vers leur foyer.

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