Chapitre 22 Bâtir le futur - Partie 2
Lorsque Sin fo se réveilla le lendemain matin, elle se sentait mieux qu'elle ne l'avait été depuis des semaines. Bien sûr, elle n’allait jamais revoir sa famille. Cette seule pensée lui comprimait le cœur d’une indicible tristesse. Mais désormais, elle n’avait plus aucun doute. Son père, sa grand-mère, ses amies. Reg'liss. Tout ça appartenait au passé. À son passé, qui avait été si heureux, mais qui avait à présent disparu à jamais. Elle avait tout tenté pour le retrouver, mais c’était simplement hors de portée. Elle n’avait donc pas de regrets à avoir, et elle allait maintenant pouvoir faire son deuil de cette vie qui aurait dû être la sienne.
La meilleur solution pour y parvenir était de se consacrer au présent, à ses nouveaux amis, et surtout à Hank, qu'elle avait délaissé ces derniers temps. Ils allaient enfin pouvoir faire des projets. Sin fo s'étira en souriant à cette idée. Elle se leva, salua les quelques personnes présentes et sortit de la hutte à la recherche de son mari. Elle le trouva dehors, occupé à tailler une branche avec un couteau. Hank leva la tête en la voyant arriver, lui adressa un sourire et lui dit :
– Bonjour. Comment vas-tu aujourd'hui ?
– Mieux, merci, répondit-elle en se penchant pour l’embrasser. Que fais-tu avec cette branche ?
– J'essaie de fabriquer un harpon, j'aimerais aller pêcher.
– Était-ce si urgent ?
– J'y avais pris goût à Zivatanerae, et ça fait une éternité que je n'ai plus eu l'occasion de le faire. Et puis, il faut penser au ravitaillement si on reste ici.
– Quelqu'un d'autre aurait pu se charger de cela.
– En fait, Jacob et Archibald sont partis à la chasse, répondit Hank en désignant la rive ouest du lac, mais ça m'étonnerait qu'ils attrapent grand-chose.
– Pourquoi cela ?
– Taby et Maxou les accompagnent, et ces deux-là sont incapables de se taire !
– J'en conclus que Archie et Maxou ont décidé de rester ?
– En fait, personne ne part.
– Vraiment, s'étonna la jeune femme.
– On en a longtemps discuté hier soir. Je leur ai dit qu'on aurait besoin d'aide pour construire la ville, mais je crois surtout qu'ils ont compris que ce sont eux qui ont besoin de nous pour s'en sortir.
– Très bien, alors ne perdons pas de temps !
– Tu as raison. Je m'occupe de ramener à manger, commença-t-il lentement en portant son harpon devant ses yeux,
Il ferma un œil pour mieux jauger de l’affût de son outil, souffla dessus et reprit d’un air satisfait :
– Toi de ton côté, arrange-toi pour rendre cette hutte plus habitable.
– Je ne savais pas que tu avais une vision du couple aussi machiste, dit Sin fo en riant. L'homme ramène le repas et la femme reste à la maison !
– C'est vrai, c'est totalement machiste que d'aller me prélasser au bord de l'eau pendant que tu construis des murs.
– Réflexion faite, tu es un véritable fainéant.
– Tu le savais quand tu as choisi de vivre avec moi ma chérie, dit-il avant de l'embrasser et de se lever.
Tout en le regardant s'éloigner, Sin fo lui cria pour plaisanter :
– Tu parles d'un choix ! Tu étais le seul homme à des milliers de kilomètres à la ronde !
Ellis qui passait à côté d'elle à ce moment-là lui demanda :
– Comment est-ce possible ? Il n'y avait que des femmes... euh à ton époque ?
Sin fo fut surprise d'entendre qu'on lui parlait de son passé de cette manière. Elle ne savait pas si les gens avaient choisi de la croire réellement, ou s'ils avaient convenu, peut-être sur les recommandations de Hank, de ne pas la contrarier. Quoi qu'il en soit, la jeune femme était soulagée de ne pas avoir à s'expliquer plusieurs fois.
– Non, il ne s'agit pas de cela, répondit-elle à Ellis. Il y avait bel et bien des hommes à mon époque, et certains étaient très beaux garçons tu peux me croire, mais c'est ici, ou plutôt à cette époque, que j'ai rencontré Hank.
– Alors pourquoi as-tu dit ...?
– C'est une longue histoire, un peu compliquée. Je te la raconterai un de ces jours. Étais-tu occupée à quelque chose ?
– Je cherchais à me rendre utile en attendant que Archibald revienne de la chasse.
– N'aurais-tu pas un petit faible pour lui, la taquina Sin fo.
– Je... Je ne vois pas de quoi tu parles, balbutia Ellis en rougissant. C'est un homme charmant, c'est vrai, et il a su se débrouiller seul avec son fils après la disparition de sa femme...
– Et il est encore bel homme, ce qui ne gâche rien.
Ellis sourit timidement.
– Il est plus âgé que moi...
– Et alors ? J'ai bien épousé un homme qui a cinq cent ans de plus que moi !
Les deux femmes rirent ensemble.
– Plus sérieusement, l'âge ne veut rien dire. S'il te plaît, et que tu lui plais, le reste n'a pas d'importance.
– Tu as peut-être raison. Mais il n'y a rien entre nous, alors je ne veux pas que les autres soient au courant. Tu sais comment ils sont.
– Ne t'inquiète pas, je saurai tenir ma langue. Pour en revenir à ce qu'on disait, j'ai un travail à te confier. Tu vas demander aux garçons de t'accompagner, et vous allez me trouver des pierres.
– Des pierres ?
– Oui, des grosses pierres, très solides. Si vous ne pouvez pas les porter, retenez bien leur emplacement. Mais l'idéal serait de pouvoir me les ramener.
– Qu'est-ce que tu vas en faire ?
– Essayer de nous fabriquer des outils, haches, bêches, faux, marteaux, tout le nécessaire pour civiliser cet endroit.
– Pourquoi des haches ?
– Nous pourrions trouver des arbres déracinés, mais je pense que le mieux est de prendre du bois vivant pour tailler des planches solides pour construire nos maisons.
– Tu ne pourrais pas les faire surgir du sol en quelques secondes, proposa Ellis.
– Je ne serai pas toujours présente pour vous assister. Chacun devra se construire sa maison. Nous devons tous apprendre à nous prendre en main.
Les deux femmes se séparèrent. Ellis repartit vers la hutte à la recherche de quelqu'un pour l'aider, et Sin fo s'avança en direction du lac. C'est là que Tabatha et Maxou la trouvèrent une demi-heure plus tard. Elle se tenait debout au bord de l'eau et regardait le centre du lac d'un air absent. Tabatha la salua de loin, mais Sin fo ne l'entendit pas. Les deux enfants s'approchèrent d'elle, et Tabatha lui mit une petite tape sur l'épaule. Sin fo sursauta comme sous l'effet d'une décharge électrique. Elle tourna la tête vers eux et Tabatha vit qu'un filet de sang s'écoulait de son nez. En voyant leurs regards, Sin fo sut immédiatement ce qui les effrayait, et elle s'essuya rapidement le visage.
– Pourquoi saignes-tu, demanda Tabatha.
– Ce n'est rien.
– En êtes-vous certaine ? Il ne faut jamais minimiser ce genre de symptômes. Dans ma ville, de nombreuses personnes sont tombées malades il y a quelques années, et beaucoup ont eu de graves problèmes après avoir refusé de se soigner. C'est cette maladie qui a emporté ma mère.
– C'est gentil de t'inquiéter pour moi Maxou, mais je ne suis pas malade.
– C'est aussi ce que me disait ma mère, insista le garçon, mais je ne suis plus un enfant. Je sais qu'il n'est pas normal de perdre du sang.
– Je ne te mens pas.
– Tu peux la croire, ce n'est pas une menteuse. Elle est simplement stupide.
– Je ne te permet pas de me parler sur ce ton Taby, s'offusqua Sin fo.
– Tu ne me permets pas, répéta Tabatha en appuyant les deux derniers mots. Aurais-tu oublié qui je suis ? Je n'ai d'ordres à recevoir de personne. Trouves-tu vraiment intelligent de risquer ta vie sans cesse ? Tu crois que je ne sais pas ce que tu essaies de faire ? Mais regarde dans quel état ça te met ! Tu n'y arriveras pas !
– Cela ne te concerne pas.
– Vraiment ? Je croyais que nous étions amies. Je te considère même comme plus que cela. Mais peut-être que ça concernera d'avantage Hank. Je suis sûre que lui aura son mot à dire.
– Pourquoi te mêles-tu ainsi de ce que je fais, demanda Sin fo d'une voix cassante.
– Tu n'es pas toute seule Sin fo. Tu as des amis qui comptent sur toi. Hank t'aime plus que tout. J'ai besoin de toi Sin fo. J'ai déjà perdu ma mère, tu n'as pas le droit de m'abandonner.
La voix de la princesse s'étrangla dans un sanglot, et elle bouscula Sin fo avant de partir en courant. Maxou la regarda s'éloigner, sa longue chevelure blonde flottant derrière elle, puis il s'adressa à Sin fo sur un ton de reproche :
– Je n'ai pas tout à fait saisi de quoi il retourne, et je n'ai pas la prétention de me mêler de votre vie, mais je ne vous pardonnerai pas une seconde fois de faire ainsi de la peine à Tabatha. Vous la connaissez depuis plus longtemps, mais je crois sans prétention l'avoir cernée mieux que vous ne l'avez fait. Elle semble toujours pleine d'entrain et même parfois frivole, mais c'est uniquement pour affronter les drames auxquels elle est confrontée. Chaque jour, elle doit vivre avec la disparition de ses parents, et certains jours ce manque se fait plus douloureusement sentir. Je connais la détresse qu'on ressent lorsqu'on perd sa mère, et Tabatha fait face à cela avec beaucoup de courage. C'est aussi pour cela que je l'admire et que je l'aime. Je sais qu'elle ne m'aime pas comme je l'aime, mais si je parviens à la divertir un peu des ténèbres dans lesquelles elle est plongée, alors j'estimerais être très heureux.
Sin fo ne sut tout d'abord pas quoi répondre, car elle n'était pas habituée aux longues tirades du garçon, mais elle se ressaisit vite, et en posant une main sur son épaule, elle dit à Maxou :
– Maximilien je te dois des excuses. Tu n'es encore qu'un enfant, mais cela ne t'empêche pas d'être déjà très mûr, et certainement plus adulte que moi par bien des aspects. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas vu mes parents moi non plus, et j’aurais dû comprendre à quel point cela pouvait blesser Tabatha. Continue à prendre soin de notre petite princesse, elle a bien besoin d'un ami comme toi.
– Je vous remercie. Puis-je vous laisser sans crainte ?
– Va, dit-elle avec un mouvement de tête, et ne t'en fais pas, j'ai compris la leçon que tu viens de me donner. Je ne causerai plus de soucis à Taby. Mais au fait, où sont ton père et Jacob ?
– Toujours à la chasse. Tabatha en avait assez et voulait rentrer, et Jacob m'a dit que lui aussi était fatigué et m'a demandé de la suivre. Un homme étrange ce Jacob, assurément.
– Assurément, répéta Sin fo avec un sourire, mais s'il te laisse seul avec sa précieuse Taby, c'est qu'il t'apprécie énormément, tu peux me croire.
Maxou la quitta sur un signe de la main, et Sin fo resta de nouveau seule face au lac. Elle était furieuse contre elle-même. Elle savait qu'elle n'aurait pas le pouvoir nécessaire pour faire sortir une île des flots. Pourtant, elle était persuadée que c'était à elle de le faire. Elle allait devoir se creuser la tête pour trouver un moyen. Elle s'arracha à la contemplation du lac et partit rejoindre le reste du groupe.
Annotations
Versions