Chapitre 46 Engagements - Partie 2
Pendant ce temps, le petit groupe de Tabatha était presque arrivé au pied de la colline. Ils avaient évité le chemin et avaient préféré descendre à travers les broussailles et les buissons afin de rester discrets. Tabatha leva la main et fit signe aux autres de se taire. Elle se mit à couvert derrière un buisson et observa devant elle.
Le mur d'enceinte de la ville n'était plus qu'à une trentaine de mètres. Il était haut, mais ne semblait pas suffisamment large pour être doté d'un chemin de ronde. Il y avait donc peu de risques d'être repérés par là. Tabatha choisit néanmoins de rester prudente. Elle fit signe à ses compagnons de ne pas bouger et s'avança seule.
Elle rejoignit le mur en trottinant le dos voûté afin de faire le moins de bruit possible. Elle se plaqua contre le mur et attendit en retenant sa respiration. Après quelques secondes sans que rien ne se passe, elle se décida à bouger. Elle longea la muraille jusqu'à la porte du village.
C'était une haute porte de bois à double battant, renforcée de lourdes barres de fer. Tabatha pria les dieux qu'elle soit ouverte, car il lui serait impossible de la forcer rapidement. Mais les dieux ne devaient pas être à son écoute ce jour-là, car la porte était solidement verrouillée. La princesse s'appuya de toutes ses forces contre les deux battants, elle tira sur les poignées métalliques jusqu'à en avoir mal aux poignets, mais la porte ne trembla même pas.
Elle réfléchit un instant en se massant les bras, puis fit signe à ses compagnons d'approcher. Sin fo fut la première à ses côtés.
- Que se passe-t-il ? Pourquoi ne rentres-tu pas ?
- Impossible, la porte est verrouillée.
- Ne peut-on pas la forcer ?
- Cela prendrait trop de temps. Tu n'as pas une autre idée ?
- Je pourrais creuser un tunnel pour passer sous le mur.
- Ce serait plus simple de passer au dessus, intervint Axi'om le jeune hembra.
- Vous êtes fou, c'est beaucoup trop haut, et nous n'avons pas de corde, répliqua Tabatha.
- Avec un peu d'élan, ce sera un jeu d'enfant.
Tabatha regarda l'hembra pour tenter de savoir s'il était sérieux ou s'il se moquait d'elle.
- Vous pourriez vraiment sauter par dessus cette palissade, demanda-t-elle en pointant son index vers le ciel.
L'hembra leva la tête vers le ciel et répondit simplement :
- Sans problème.
- Très bien alors allez-y. Dés que vous serez de l'autre côté, déverrouillez la porte. Tâchez d'être le plus discret possible. Je voudrais que notre arrivée passe inaperçue pour le moment.
- Et si je ne peux pas déverrouiller la porte ?
- Alors tant pis pour la discrétion, nous la défoncerons.
Axi'om prit sa dague entre ses dents pour avoir les mains libres et recula de deux pas. Tabatha ne croyait pas qu'il puisse sauter si haut en prenant si peu d'élan. Le jeune hembra plia les jambes et rentra la tête dans les épaules. Il fit un premier saut court en avant, puis se ramassa sur lui-même et bondit au pied du mur. Tabatha serra les dents en voyant qu'il était trop court, mais Axi'om posa son pied sur la palissade de bois et prit une nouvelle impulsion qui lui permit de franchir la muraille. Tabatha l'entendit retomber en douceur de l'autre côté de la porte.
Après quelques instants, il y eut les bruits du bois qui coulisse et d'une serrure qui s'enclenche. Sans perdre un instant, Tabatha, aidée de Sin fo, s'appuya contre la porte. Le lourd battant n'opposa aucune résistance et s'ouvrit sans le moindre problème, à tel point que Tabatha dut le retenir pour qu'il ne s'ouvre pas en grand. Elle se faufila dans l'entrebâillement et fit signe à ses compagnons de la suivre. Ils enjambèrent un énorme tasseau de bois qui bloquait sûrement le portail et que Axi'om avait retiré, puis ils s'engouffrèrent en silence dans le poste de garde à quelques mètres de là. Ils durent se serrer car la pièce n'était pas prévue pour accueillir une quinzaine de personnes.
- Bravo Axi'om vous m'avez impressionnée, dit Tabatha lorsqu'ils furent tous rentrés.
Le jeune hembra se contenta d'un signe de tête en guise de remerciement.
- Bien maintenant que nous sommes tous là, ne perdons pas plus de temps. Il y a une grande bâtisse sur la place centrale. Il doit s'agir de l'hôtel de ville ou de quelque chose de similaire. S'il y a des survivants dans cette ville, ils se seront regroupés dans l'immeuble le plus spacieux. Si malheureusement il n'y a personne en vie dans cette ville, je pense que ce sera aussi là-bas que nous trouverons le plus de djaevels à éliminer.
- Alors qu'est-ce qu'on attend, demanda Farrokh. Allons-y directement et nous verrons bien ce qui nous y attend.
- Nous n'allons pas foncer tête baissée, répliqua Tabatha. Nous passerons par les ruelles, en évitant de nous montrer au maximum.
- Nous sommes presque une vingtaine, intervint Sin fo. Cela sera difficile de rester totalement invisibles.
- J'y ai pensé, répondit la princesse. Je voudrais que les hembras passent par les toits.
- Pourquoi ?
- S'il vous plaît, soupira Tabatha en se massant les tempes, pourriez-vous ne pas discuter chacun de mes ordres ?
- J'essaie juste de comprendre ce que vous attendez de nous, se défendit Axi'om.
- Je veux que vous passiez par les toits afin que nous soyons moins nombreux dans les rues, parce que vous avez le pied léger et que vous serez plus silencieux que nous sur les toits, parce que votre agilité vous permettra de sauter du haut des maisons sans vous rompre les os, et parce que s'il y a des survivants, ils n'auront sûrement jamais vu d'hembras de leur vie, et je ne tiens pas à ce qu'ils aient peur de vous, et qu'ils aient une réaction stupide. Est-ce que tout le monde a compris le plan ? Alors suivez-moi, conclut-elle en frappant dans ses mains.
Après s'être assurée que leur arrivée n'avait pas été remarquée et que la rue était toujours vide, Tabatha quitta le poste de garde et s'en éloigna à pas de loups. Un rapide coup d'œil en arrière lui permit de voir que ses compagnons la suivaient, et que les hembras enjambaient le poste de garde et la maison voisine comme s'il s'était agi d'un simple escalier. La princesse se dit que c'était une chance d'avoir des combattants aussi agiles et discrets à ses côtés.
Ses compagnons humains en revanche lui semblaient faire un boucan assourdissant. Ils faisaient pourtant de leur mieux pour être silencieux, mais dans ces ruelles vides enclavées entre de hauts murs, le moindre bruit de botte sur le pavé, le moindre tintement de lame contre le coin d'un mur, le moindre murmure se répercutaient en écho et donnaient l'impression à Tabatha d'être suivie par une cohorte entière.
La jeune fille avançait rapidement, bien que s'arrêtant à chaque croisement pour s' assurer que la voie était libre. Ses compagnons s'arrêtaient lorsqu'elle levait la main et repartaient au moindre geste. Elle commençait à s'habituer à ce rôle de commandant, et même à y prendre goût. Toute la prudence mise en œuvre par Tabatha s'avéra vaine car ils ne rencontrèrent pas âme qui vive sur le chemin. Pas un bruit ne les surprit, pas une ombre ne se profila au détour d'une ruelle, pas une silhouette n'apparut derrière une fenêtre.
Tabatha commençait à se demander si cette ville n'était pas totalement déserte. Peut être ses habitants avaient-ils fui avant l'arrivée des djaevels. C'était une chose fréquente. Après avoir été prévenus de la présence des djaevels dans leur région, de nombreuses personnes avaient préféré quitter leur village isolé pour rallier les grandes villes. Tabatha en venait presque à espérer que ce ne fut pas le cas ici, car elle craignait de s'être détournée de sa route pour rien.
Soudain, comme pour l'exaucer, une forte odeur parvint aux narines de Tabatha. La jeune fille se stoppa net et ordonna le silence. Elle s'avança de trois pas et renifla l'air à plein nez. L'odeur faillit lui soulever le cœur. Elle revint en arrière et dit en chuchotant :
- Il y a des djaevels derrière ce coin, il n'y a pas de doutes possibles. Je n'entend pas de bruits, donc ils ne doivent pas être très nombreux. Il faut les éliminer rapidement et sans attirer l'attention. Tenez-vous prêts, nous y allons dans...
Tabatha serra sa main droite sur sa dague et avec sa main gauche compta à rebours à partir de trois. Lorsqu'elle abaissa son index, elle bondit dans la rue voisine, immédiatement suivie par Sin fo et les six hommes, toutes lames en avant. Tabatha chercha à atteindre le djaevel le plus proche, mais sa dague s'abattit dans le vide. Aucun de ses compagnons n'avait fait mouche non plus. Et pour cause, la rue était totalement déserte.
Une odeur de décomposition empuantissait pourtant l'atmosphère. Se couvrant le nez avec son bras, Tabatha balaya la rue du regard pour découvrir d'où venait cette puanteur. Elle s'avança de quelques mètres et s'arrêta devant ce qui avait été la boutique d'un maraîcher. Les étals étaient remplis de fruits et légumes pourris autour desquels des milliers d'insectes volaient et rampaient dans un bourdonnement incessant. Toute cette nourriture laissée à l'abandon laissait croire que les habitants de cette ville l'avaient quittée en toute hâte. Wayne se posta aux côtés de Tabatha et dit sur le ton de l'ironie :
- Eh bien, finalement il reste bien de la vie dans cette ville.
Mais la jeune fille n'avait pas envie de rire. Cette vision la déprimait plus que la vue de n'importe quel djaevel. Au moins, les djaevels représentaient une menace, un ennemi à abattre. Ils laissaient l'espoir d'un changement. Ces fruits pourris, ces insectes, n'exprimaient que la mort et le néant. L'idée que l'ensemble du royaume puisse être à cette image rendait la princesse profondément triste. Elle se força à bouger avant que l'abattement ne la gagne complètement.
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