Samara et moi
Je m’étais arrêté avant la montagne. Je savais bien, pour les avoir maintes fois arpentées, que les sentes sauvages croisaient à val-eau dans les tourments glacés de printemps des pierres lourdement aiguës. Je reculais à l’idée décourageante d’y rencontrer des animaux blessés ou effrayante, des prédateurs faméliques.
Je me rendais à la recherche de Samara. J’avais décidé de quitter le village dès l’aube ou au plus tard le matin. Il me vint à l’idée de passer par le marché pour en apprécier ses couleurs et leurs odeurs. Et ce fut là que je la retrouvais, les bras croisés, comme si elle attendait mon arrivée.
J’allais vers elle.
Elle était à la mode de son âge, semblable aux jeunes gens qui déambulaient sur la place. Les garçons, rasés de frais, plastronnaient cols en chemise. L’une des filles portait une robe si courte que la brise ne soufflait qu’elle. Les marchands terminaient le montage de leurs étals et leurs femmes scandaient les vertus de leurs fruits et légumes, leurs volailles ou leurs poissonneries.
Samara se distinguait de tout ce que je tiens pour urbain par une lumière sombre. Ce qui m’a désarmé lors de notre rencontre, ce furent ses yeux d’abord, évidemment. Ce matin, ses cheveux noirs avaient l’air d’avoir essuyé une furieuse tempête. Son teint opalin me donnait le frisson.
- Asseyez-vous, Monsieur.
- Samara, où sont Belice et Gweb ?
- N’avez-vous nul autre intérêt que leur question ?
- Ne me reprochez pas d’insister, vous êtes allée trop loin à leur sujet.
- Je vous ai fait leur récit pour gagner votre sympathie et notre compagnie.
- J’y suis fort sensible, Mademoiselle. Cependant, vous n’avez rien dépeint au sujet de l’oiseau qui fouillait dans ses papiers et…
- Et bien… il fouillait, voilà tout.
- Je vous en prie, faut-il que je sois maudit pour savoir le temps que vous avez passée là-dehors et ce que vous en avez fait ?
La langueur de son propre temps me suppliciait en permanence. Elle commençait le plus souvent ses évasions en pointant le nez vers le haut. J’avais été charmé par quelques jolies taches sur ses ailes et juste sous ses yeux, sur les paumes. Elle envoyait alors son impossible regard vers des champs où je ne sais quel ciel. Elle soufflait après un soupir sur une épaule pour, je le sais peut-être, retenir un souvenir ou une larme.
Quand elle avait les pieds sur terre, elle approchait de moi, posait ses doigts sur ma nuque et m’adressait un baiser. Moi, je n’ai jamais su lui refuser le moindre témoignage de ma bonne préférence.
- Samara, avez-vous remarqué que les jours s’allongent et que leurs couleurs virent au vert ?
- Ils sont restés et ils ne reviendrons pas.
- Je… le printemps ou les jours ?
- Grand-Route m’attend.
- Vous partez déjà ?
- Je vais retrouver Belice et Gweb avec vous.
- Attendez. C’est pas bon là. On va réfléchir.
- Mon preux ami, faites votre choix ici ou jamais.
- Samara, je vous recommande un verre d’hydromel.
- Bonne idée.
- Vous savez l’heure qu’il est ?
- Vous alliez vers les sentes sauvages, n’est-ce pas ?
- Vous êtes impétueuse et imprévisible.
- Ne vous inquiétez-pas, je passerai devant.
Elle commanda un verre d’hydromel. Moi, un café et une tartine. Je tournais ma cuillère et le reste de ma détermination. Elle, attendait ma réponse. Alors, une fois de plus, je plongeais dans son regard. Elle, sirotait.
- Samara, face à vous, je me sens dénué de volonté.
- Nous faisons tous les mêmes erreurs.
- Je ne comprends pas où vous m’emmenez.
- Je vous l’ai dit, je vais chercher Belice et Gweb.
- Vous insinuez qu’il sont absents, n’est-ce pas ?
- Vous faites parfois… un parfait enfant.
Elle commanda un nouveau verre d’hydromel.
- Samara, vous avez l’air plus sombre que jamais.
- Ils se sont écartés de moi. Pouvez-vous l’imaginer ?
- Mon amie, je n’en suis pas très sûr.
- Ils sont allés cueillir des fleurs de plein gré !
Je versais trois pièces sur la table. Elle me pris par le bras puis s’en alla.
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