07 – 4- la descente, enfin tout en bas !
Le Capitaine descendit ce deuxième escalier, menant tout au fond du bateau. La Commandante, un peu derrière lui, le suivit. Très vite, il sentit un regard insistant, il s’arrêta net en plein milieu des marches et tourna la tête.
– Ma parole, vous me matez pour de vrai !
– Tournez-vous, je ne vois rien avec votre long manteau.
– Mais, enfin… ce que vous me demandez est gênant, je ne suis pas une bête de foire.
– Tournez-vous ! ordonna-t-elle.
Quelque peu surpris par son ton dirigiste, et se demandant où elle voulait en venir, le Capitaine obtempéra. Elle l’observa sans scrupule de haut-en-bas :
<< – Tu es un homme fort, tes épaules sont carrées, tu as le poitrail large, bombé, j’y vois du charisme. Grand, mais… non pas si immense. Oh, tiens, que vois-je ? Tu n’es pas tout en muscle, ne serait-ce pas là un petit bidon qui commencerait à poindre ?
Joli chapeau, qui recouvre tes cheveux châtain-roux tombant jusqu’aux épaules, mais tu ne m’auras pas, ne te sert-il pas aussi à cacher une calvitie naissante sur le haut du front, non ?
Ton visage est rude, Capitaine, ta peau blanche, bronzée, sèche, est bien marquée par l’air marin, serais-tu depuis bien trop longtemps en mer ? Tes yeux marrons maquillés de cernes sombres révèlent aussi que tu es fatigué. Ne rases-tu donc jamais cette barbe trop fournie et ta moustache trop pendante ? Plus le temps ou pas l’envie de prendre soin de toi ? Non, juste pas l’envie, tu négliges ton apparence mais tu ne fais pas partie des "pirates sales".
Peu de folie chez toi, un simple long manteau, un peu élimé, en cuir rouge passé, qui te descend jusqu’aux jambes, et un pantalon de cuir noir glissé dans des bottes, marrons, classiques et usées… Bon choix, pas d’extravagance, tu es vêtu d’habits pratiques et résistants en toutes occasions.
Tu sembles bagarreur, Capitaine, faute à ton nez un peu large qui, à le voir, a souvent été cassé. Puis cette épée, longue et droite, rangée dans son fourreau, pendant sur ta jambe gauche, hum… à ta démarche, à ton attitude, je vois que tu es habitué à te déplacer avec, tu ne dois pas souvent la quitter.
Quel âge as-tu, Capitaine ? Tu as vécu, certainement bien des choses, déjà, mais tes trente-cinq, quarante ans ?, te permettront encore de réaliser bien des prouesses… j’espère que tu seras à la hauteur, sinon tu ne vivras même pas un quart de ma vie.
Tu n’es pas le plus beau des hommes, mais si quelqu’un me demandait ce qu’aujourd’hui j’ai pensé de toi, je serais forcée de reconnaître que tu ne laisses pas indifférent… il est possible qu’un jour je… >>
– Satisfaite ? l’interrompit-il dans ses analyses.
– Hein, euh, je, non… s’éveilla-t-elle en réalisant qu’elle le contemplait depuis un trop long moment déjà.
– J’en arriverais presque à croire que vous m’avez déshabillé du regard. Pour aller plus vite, voulez-vous que je me dévêtisse, là, de suite, au beau milieu de cet escalier ? s’indigna-t-il, mais pas véritablement outré, tout en écartant les bras en signe de soumission.
– Euh… non… enfin… Non ! Loin de moi cette stupide idée. Mais à quoi pensez-vous ? Que vous êtes à mon goût et que je désirerais vous voir… argh, sortez-moi cette image de la tête, s’indigna-t-elle, pour faire bonne figure, tout en mimant une face dégoûtée.
– Hum, fit le Capitaine, pas si dupe. Maintenant que nous nous sommes bien observés, ne serait-ce pas l’heure de continuer ?
– Minute, juste une chose à faire, juste mon point à remettre sur le i.
– Quoi ? dit-il en fronçant le nez et en plissant les sourcils. Commandante, vous êtes bien mystérieuse, vous, votre équipage, ce bateau, votre générale, une aura étrange règne, même le temps semble prendre son temps, à croire aussi que les marches de cet escalier se multiplient. Votre point sur le i ? Est-ce une énigme que j’entends là et qu’il va me falloir résou…
La Commandante profita que le Capitaine monologue pour dévaler les deux marches les séparant.
Le Capitaine, surpris, eut un geste de recul. Trop lent, il n’eut pas le temps de porter la main à son épée que, déjà à sa hauteur, elle se plaqua tout contre lui.
La Commandante leva son menton, délicatement elle le posa sur l’épaule du Capitaine, et lui chuchota à l’oreille :
– Je tiens ma revanche. Vous n’étiez plus sur vos gardes. Vous jacassez bien trop ! Nous ne sommes pas vraiment adversaire, mais tant que la Générale ne vous aura pas vu, nous ne serons pas non plus amis.
– Bien joué, vous égalisez. Je me suis laissé surprendre, admit-il un peu à contrecœur.
– Allons au bout des choses, vous avez encore un peu d’avance.
– Hein ?
D’un geste vif, la Commandante appliqua sa main, paume ouverte, sur l’entrejambe du Capitaine. Il écarquilla grand les yeux et retint son souffle.
– Vous êtes chanceux, j’ai changé d’avis.
Le Capitaine préféra ne rien dire, ne pas bouger, sagement il attendit l’explication qu’il savait arriver.
– Plutôt que mon point, mieux vaut ma main sur votre "i", non ?
– Certes, dut-il approuver.
Et juste avant de s’écarter, gentiment, la Commandante serra :
– Petit et tout mou.
– Ah. Ah. Ah. Je me gausse.
– Capitaine, qui a dit que le pelotage n’était réservé qu’aux hommes ?
– Vous êtes lourde, vous gâchez tout le côté sentimental de notre relation.
– Parce que vos paluches sur mes fesses, était-ce pour vous du romantisme ?
– C’était un accident ! Pour le reste, tout n’est qu’un jeu de séduction, un lien s’est tissé entre nous, n’est-ce-pas ?
– Peut-être. Certainement même, sinon vous auriez déjà eu les mains coupées, dit-elle dans un demi-sourire.
– Et vous, vous auriez déjà eu la gorge tranchée.
– J’aurais regardé votre sang s’écouler, lentement de vos moignons, jusqu’à inonder mes semelles.
– J’aurais regardé votre sang chaud se projeter, en jets puissants, jusque sur mon manteau.
– J’aurais écouté vos lamentations.
– J’aurais écouté vos râles d’étouffement.
– J’aurais senti la vomissure imprégnant votre barbe.
– J’aurais senti l’urine mouillant votre culotte. Portez-vous une culotte ?
– J’aurais savouré votre souffrance. Oui !
– Je me serais délecté de votre peur.
– Je vous aurais finalement coupé la tête, dit-elle le plus naturellement du monde.
– J’aurais mis la votre sur une pique, répliqua-t-il aussi sec.
– Je l’aurais balancée dans une porcherie, en guise de friandise aux cochons.
– Je l’aurais laissée plantée là, en guise de support à mouches.
– Vous me plaisez, Capitaine.
– Je dois admettre que vous êtes charmante, Commandante.
Bon, alors, je reprends un peu la parole parce que là, c’est important. On va parler des relations "hommes-femmes".
Mais non, je n’vais pas vous faire la morale. Est-ce que j’vous ai d’jà fait la morale ? Non, bon.
Vous savez que les hommes aiment les femmes et que les femmes aiment les hommes. Comme papa aime maman et comme maman aime papa. Quoi ? Déjà une question, ça commence bien. Ta maman n’aime plus ton papa ? Ah, ça commence mal. On oublie cette histoire de papa et d’maman. Y’a plus d’papa, y’a plus d’maman, ok ? Tes parents n’sont pas morts ? Mais oui, je sais qu’ils ne sont pas morts, c’n’est pas c’que j’voulais dire ! On imagine simplement que j’n’ai jamais parlé de papa et de maman. Si vous préférez, disons qu’les papas n’aiment plus les mamans. Ton papa aime toujours ta maman ? Oui, bon, super, j’suis heureuse de l’savoir. Il est canon ton papa ? Parce que si y’a qu’ça, j’peux peut-êt’e le séduire pour qu’il trompe ta maman, après j’m’arrange pour qu’elle le sache, puis c’est réglé. J’lai d’jà fait, c’est pas bien difficile, ça peut s’faire. Ton papa voit déjà plusieurs femmes ? Ah oui ?? Bah dis donc, il cache bien son jeu, j’pensais pas ça d’lui !
Bon, on n’va pas énumérer toutes vos situations d’famille ! Ce n’est pas l’but ! Faut qu’j’arrête de tourner autour du pot avec des exemples, j’vais m’contenter d’être explicite :
Les hommes sont des cochons et ont envie de s’tapper toutes les femmes qui passent. Les femmes sont hypocrites, car elles aussi adorent copuler, et aiment que bien profondément les hommes les… Ah, j’vois à vos têtes que l’explicite c’est pas c’qui vous branche le plus… On s’refait un p’tit r’tour en arrière et on r’prend du début.
Les hommes aiment les femmes et les femmes aiment les hommes. Certains hommes aiment les hommes et certaines femmes aiment les femmes. Si, si, c’est comme ça, vous aimez bien les abricots et les bananes, non ? Oui, non, non, oui, bah voilà, chacun ses goûts. Mais c’n’est pas parce qu’on aime un truc qu’il ne faut plus goûter à rien. Ok ? Vous avez compris ? Alors attention, j’complique encore la chose : d’autres hommes aiment les hommes et les femmes et d’autres femmes aiment les femmes et les hommes. Voilà, c’est c’que j’disais, c’n’est pas parce qu’on aime quelque chose de bien précis, qu’on n’peut pas aimer autre chose.
Donc jusque là c’est simple, tout l’monde peut aimer tout l’monde et choisir de manger des abricots ou des bananes. Ou d’aut’ e fruits, j’ai choisi ces deux là par pur hasard, ce sont les deux premiers qui m’sont passés par la tête.
Par contre, tous les fruits n’sont pas toujours disponibles. Ça dépend les régions, ça dépend d’la saison. Un autr’ exemple, parce que là j’vous sens largués, parlons mode.
Dans la mode tout r’vient toujours un jour ou l’autre. Dans les année soixante, 1960, oui c’est ça, le sièc’e passé, faites les malins. Donc dans les années soixante, la mode était par exemple aux jeans patt’ d’eph. Qui soit dit en passant étaient déjà à la mode des années avant. Donc ces jeans avec le bout des jambes larges, qu’on appelle donc patt’ d’eph, en référence aux pattes des éléphants, sont red’venus à la mode il y a peu. Et c’est là qu’cet exemple, par extrapolation, devient intéressant. Car le fait, d’aimer tout l’monde, est aujourd’hui accepté, mais ce n’était pas l’cas avant, bien qu’ça l’ait été aux temps anciens des grecs et des romains, où tout n’était qu’orgies et où tout l’monde aimait tout l’monde. Ok ?
C’est quoi une orgie ? C’est un excès de mode !
J’voulais qu’vous preniez conscience, qu’à l’époque des pirates, la mode était donc différente de la nôtre. Ce n’était pas bien vu de tout manger, un menu unique était toléré, fallait fair’ attention si on voulait manger aut’e chose. Par contre le plat du jour était agrémenté différemment qu’aujourd’hui. On avait l’droit de s’toucher, de mater et d’se tripoter un peu. Ça n’choquait pas grand monde. En plus dans cette histoire, le Capitaine et la Commandante s’offusquent entre eux par principe, par fierté, car ils ne sont pas réellement choqués de l’attitude de l’un et de l’autre. Il y a même une certaine complicité, vous l’avez vue, qui s’est déjà créée. Par contre, là où c’est important, c’est qu’de nos jours, dans vot’e vie de tous les jours, bah ça faut pas l’faire. Non. Ce n’est plus à la mode, ce n’est pas au menu. P’tits pirates et p’tites pirates, on n’touche pas quelqu’un qu’on n’connaît pas, et encore moins si la personne ne le veut pas, et plus encore moins, là où ça peut être gênant.
Où est-ce-que ça peut être gênant ? Sur les parties intimes.
C’est quoi une partie intime ? Ça veut dire c’que ça veut dire ! Réfléchissez au lieu d’attendre qu’on vous explique tout, tout l’temps ! L’intimité, c’est c’quon n’veut en général pas montrer : les fesses, le sexe, les seins. Non, pas les pieds ! Oui, j’ai dit sexe ! Arrêtez de glousser comme des demeurés ! Sexe, sexe, sexe, sexe, sexe, ssseeexxxeee ! Voilà, ce n’est pas si tabou, ce n’est pas un gros mot ! Le sexe, c’est naturel. Et au jour d’aujourd’hui, quoi d’mieux qu’l’écologie ? Mais on y r’viendra certainement plus tard, c’est un sujet tendance qui peut m’inspirer.
La morale, mes p’tits pirates, c’est qu’on doit respecter le corps de l’autre, et qu’il faut savoir vivre et s’adapter à la mode du moment. Les hommes ne doivent pas toucher les parties intimes des femmes sans leur consentement ! Et bien entendu, les femmes ne doivent pas toucher les parties intimes des hommes sans leur accord. D’accord ? Tout en sachant qu’à chaque époque sa mode et ses mentalités. Bon, c’n’est pas la morale la plus simpl’ à assimiler mais essayez d’en garder quelque chose. Et si vous savez pas, bah n’touchez pas !
Quelque chose à rajouter ? T’aimes pas les pantalons patt’ d’peh… Ringard, va ! Y’a rien d’plus classe !
Au fil de sa descente, le Capitaine se rendit vite compte que l’atmosphère changeait petit-à-petit : la pénombre s’intensifiait, l’air se chargeait d’humidité. En soit, rien de bien extraordinaire dans un bateau. Mais, en regardant attentivement en bas des marches, il remarqua qu’il semblait y avoir de la brume. Instinctivement, il huma l’air et s’aperçut que l’odeur environnante était différente, comme si le parfum de l’océan venait de se muer en quelque chose de plus terreux. Des senteurs, de foin, d’herbe, de forêt et assurément de fleur, imprégnaient maintenant les lieux. Rien de désagréable et de préoccupant, mais encore une fois un point dérangeant, et surtout tout à fait inhabituel dans un bateau.
Le Capitaine descendit la dernière marche :
<< – Une éternité cette descente ! >>
En posant le pied sur ce deuxième et dernier palier, il s’attendait évidemment à marcher sur un plancher bien ferme. Il fut dérouté de sentir un sol meuble.
<< – Mais où suis-je donc ? >>
Il tenta de regarder autour de lui :
– C’est que l’on ne voit pas grand-chose. Je commence à me demander si, puisque l’on a nommé l’inconcevable, vous ne parliez en fait pas sérieusement. Je vous préviens, je ne me laisserai pas surprendre une deuxième fois.
– Je pourrais vous surprendre vingt fois, qu’à chaque fois vous en seriez encore… surpris. Je comprends néanmoins votre malaise, tout cela doit vous paraître bien étrange. Faites-moi confiance, pleinement confiance, croyez donc en ce lien que vous avez vu se tisser entre nous. Allez, je repasse devant, et maintenant : chuuuttt, contentez-vous de me suivre en silence.
Plus la Commandante avançait dans les profondeurs du bateau, plus ce mélange, d’obscurité et de brume opaque, s’épaississait. Mal-à-l’aise, le Capitaine se retourna, mais déjà l’escalier n’était plus visible.
– On ne voit vraiment pas grand-chose, j’insiste. C’est à peine si je vois devant moi. Je ne sais vraiment pas comment je vais pouvoir rencontrer votre Générale, si je ne la vois pas ! A-t-elle une tare physique à cacher pour vivre dans ce bas-fond ténébreux ? plaisanta-t-il pour essayer de détendre l’atmosphère.
– Puisque pour vous, tout n’est qu’une histoire d’apparence physique, je dirais qu’elle a une croupe imposante qui ne sera pas à votre goût.
– Elle est si difforme que ça ? Parce qu’en matière de goût, je ne suis en fait pas si difficile. Je peux aussi bien manger un abricot qu’un plat de moules. Je sais, il n’y a aucun rapport entre ces deux mets, mais ça démontre l’étendue de ma palette gustative. Et vu que croupe me fait aussi penser à un équidé, j’irais même jusqu’à vous dire que, dans un cas de disette, je pourrais manger du gazon !
– Moi je suis très fruits et légumes : bananes, concombre ou… mais pourquoi est-ce que je vous réponds ?! s’énerva-t-elle subitement, se rendant compte qu’elle s’engageait une nouvelle fois dans une conversation futile, puérile et… de mauvais goût ?
– Parce que…
– Tutututute ! Stop ! clama-t-elle sans élever la voix, mais tout de même prête à lui sauter au cou pour lui arracher à peu près tous les organes.
Le Capitaine n’en rajouta pas. Deux souffles plus tard, elle reprit posément :
– Je voulais simplement vous informer qu’elle n’a pas la forme à laquelle vous vous attendez.
– En attendant, j’y vois toujours de moins-en-moins clair !
– Mon pauvre petit bout-de-chou, avez-vous peur du noir ?
– Vous avez réussi à me faire tomber avec vos marches bancales. Cette fois-ci, je ne voudrais pas trébucher à cause d’un souci d’éclairage.
La Commandante tendit le bras gauche, paume tournée vers le haut. Les doigts de sa main droite claquèrent au-dessus, instantanément une boule blanche luminescente apparut. D’un petit geste, comme pour la pousser, elle l’a fit s’envoler à environ un mètre au-dessus d’elle. La pénombre recula, l’obscurité se fit moindre.
Le Capitaine vit alors nettement qu’une sorte de brume, pas trop opaque, l’entourait encore. Il regarda à travers, mais ne parvint pas à distinguer les bords de la coque ; peut-être était-ce aussi dû à la largeur hors norme de ce bateau. Il jeta un coup d’œil à gauche, puis un coup d’œil à droite, il n’avait vraiment plus du tout l’impression de se trouver dans un bateau naviguant sur l’océan. D’autant plus qu’une odeur, cette odeur d’humidité, de verdure, lui embaumait toujours le nez. Il leva la tête et vit comme une sorte de voile noir à la place du plafond.
À y réfléchir, ce sol, ces effluves, cette brume, il aurait juré se trouver au beau milieu d’une clairière, lors d’une nuit sans étoile… Sensation accentuée par des formes qu’il discerna, de-ci de-là, et qui n’auraient jamais dû se trouver ici :
– Mais, je rêve ?! Est-ce un arbre ? Oui, c’est un arbre ! Là-bas aussi ! Et puis...
Et puis, il réalisa :
– Qu’est-ce donc que cette boule de feu ?! Êtes-vous une magicienne ? Plutôt une sorcière, oui ! C’est ça, ça ne peut être que l’œuvre d’une sorcière ! C’est de la magie ! Et ça n’existe pas la magie ! Qu’est-ce-que tout ça ? Qui êtes-vous donc ?! Quel est cet endroit ?! s’emporta-t-il, soudainement redevenu très sérieux, et même très anxieux.
Le Capitaine en oublia les blagues, les jeux de mots, les débats et la bonne humeur. Abasourdi par la lumière flottant dans les airs, désorienté par un tel lieu, il plaça instinctivement la main sur le pommeau de son épée ; prêt à la sortir à tout moment de son fourreau, il se mit alors en position de garde. Vigilant et sur le qui-vive, il s’apprêtait à agir au moindre bruit suspect, au moindre mouvement qu’il interpréterait comme dangereux.
– N’est-ce pas vous qui vouliez un peu clarté ? Je n’ai créé cette petite boule lumineuse que pour votre contentement. Si cela vous effraie à ce point, je peux tout aussi bien la faire disparaître. Moi, j’arriverai aisément à me repérer.
Le Capitaine, impassible et toujours tendu, grimaça à sa remarque.
– Allez, détendez-vous.
La Commandante se rapprocha prudemment de lui, telle une dompteuse cherchant à calmer un fauve enragé et prêt à bondir. Le Capitaine, quant à lui toujours sur ses gardes, hésita à tirer son épée. Doucement, elle posa sa main sur celle du Capitaine. Une main bienveillante. Puis, d’une voix basse, elle le tranquillisa :
– Laissez donc votre épée où elle est. Rappelez-vous, je ne vous ai jamais rien caché ; tout va vous paraître étrange, voilà ce que je vous ai dit. Vous ne connaissez pas tout, vous êtes même assez inculte. Beaucoup de merveilles sont cachées dans l’ombre. Certains phénomènes, que vous appelez surnaturel, existent. Les hommes ne croient plus en la magie, ils se sont séparés de l’autre monde. Vous, aujourd’hui, allez justement rencontrer une des puissantes de cet autre monde. Une Générale vénérée et respectée. Vous êtes le bienvenu, vraiment, nous ne sommes pas vos ennemies. Soyez-vous même et nous pourrons nous entraider, oubliez l’idée de nous combattre. Rappelez-vous, si vous êtes ici, c’est que la Générale a voulu vous voir. Elle sent en vous tout un potentiel, mais comprenez qu'elle se doit de vous jauger.
– Vous me parlez là d'une... évaluation ?
– Chuuutt, n’ayez pas peur. Il ne tient qu’à vous que nos destins soient liés.
La Commandante s’écarta, et ôta sa main dans une douce caresse. Le Capitaine se détendit, renonça à sa position de garde, lâcha son épée et croisa les bras. Son regard, sévère, n’affichait aucune trace d'inquiétude, juste de l’attention et de la concentration. La Commandante lui sourit. Un sourire fort charmant, encore, se dit-il. Peut-être trop. Un sourire qui, en tout cas, cachait toujours bien des mystères. Elle mit lentement sa main à hauteur de son visage, croisa les doigts et les fit aussitôt claquer. La boule de lumière disparut, laissant l’obscurité reprendre son règne d’une façon plus éclatante encore.
– Ouvrez votre esprit, ne bougez plus, c'est ici que tout commence, acceptez ce que vous considérez comme irréel, la Générale arrive.
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