Choqués
Oh là là, c’est quoi ces mines ? Non mais, sérieux, r’fermez vos bouches, arrêtez d’grimacer, cessez d’trembloter, n’prenez pas cet air dégoûté, soyez pas affalés, r’dressez-vous, r’saissisez-vous ! J’ai affaire à des chiffes-molles ou quoi ? Qu’est-ce que c’est, une chiffe-molle ? c’est un peureux, un couard, une couille-molle, un péteux tout foireux qu’a peur d’sa propr’ ombre ! Couille-molle, je l’redis, couille-molle. J’vois déjà qu’vous r’trouvez l’sourire. Ça marche à tous les coups. Vous êtes si prévisib’es. Caca, prout, zizi, quéquette, culcul… Et voilà, retour des têtes joyeuses ! Facile comme tout, final’ment.
Enfin, j’ai eu très peur, à vous voir j’ai presqu’eu l’impression qu’vous étiez choqués ! Non… ne m’dites pas qu’vous l’étiez ?! Ah, vous l’étiez… Ah, bah, euh… c’est en fait un signe de bonne moralité, n’en déplaise à ceux qui n’ont rien r’ssenti devant le meurtre de ce pirate insignifiant.
Alors parlons-en. Attendez un peu, je prends ma pipe, ma veste en tweed, un calepin, un crayon, prenez place sur le canapé, commençons la psychanalyse. Non ! J’déconne, restez assis sur l’tapis, j’commence à vous connaît’e, vous allez m’rayer l’cuir !
Bon, donc, ça va ou vous ai-je trop bousculés ? Je n’veux pas r’muer l’couteau dans la plaie, voire les multiples plaies, car souv’nez-vous, la femme s’est acharnée sur l’pauvre homme… non, ok, ne r’visualisez plus rien, stop ! Ça y est, ils refont la grimace. Pipi, fesse, rototo, vomi… voilà, voilà, calme, calme, on garde le sourire.
Allons-y, qu’est-ce-qui vous a… surpris ? Le sang en fontaine. Ok, commençons par le sang en fontaine.
Le sang est un liquide rouge qui circule dans les veines du corps humain. Savez-vous ce que sont les veines ? Non ? Le contraire m’aurait étonnée. Une veine, c’est comme un tuyau. Dans nos corps, dans nos tuyaux les veines, ce n’est pas de l’eau qui coule mais du sang, rouge sombre, gluant, visqueux, poisseux et malodorant. Jusque là, rien d’bien dur à comprendre, hein ?
J’y pense, quand vous s’rez chez vous - et j’dis bien chez vous ! - tentez une petite expérience et amusez-vous à casser un tuyau ; allez-y à grands coups d’marteaux, mettez-y toute votre force ; vous verrez, rapid’ment, de l’eau giclera.
De l’eau giclera ! Ahah ! En y mettant toute votr’ énergie, comme notre chère femme ! Le parallèle est fait, et là on y arrive, si une veine est coupée, le sang coule. Mais quand j’vous disais telle une fontaine, c’était juste pour enjoliver, parce qu’une fontaine, c’est jolie, non ? Donc maintenant que tout est clair, il n’y a plus besoin d’être... étonnés ; si on coup’ une veine il y a du sang, c’est la nature. On n’peut rien contre la nature.
Quoi ? C’n’est pas ça l’problème. Comment ça ? Le problème c’est qu’la scène était choquante. Ah… bande de tafioles, va. Quoi ? Non, rien, j'parlais toute seule, on n’va pas se lancer sur ce sujet là, d’ailleurs j’nai rien contre les tafio… chacun est libre de faire c’qu’il veut, c’est just’ une expression, rentrée dans les mœurs. Qu’est-ce qu’est rentré dans quoi ? Le monsieur dans l’monsie… le sujet sur lequel on n’va pas s’lancer !
Bon, plutôt que choquante, employons le mot gênante, qui me semble plus adapté. Donc si vous avez été gênés, je conçois qu’il n’y ait pas eu d’plaisir. Alors que vous dire… hum… que suffit d’mett’e une rustine, un pansement, et l’sang n’coule plus ! Simpl’ et efficace !
Alors pourquoi les femmes n’en ont pas mis, d’rustines ? Bah ! La Commandante l’a dit, elles ont b’soin d’sang pour voyager !
Pfff, vous m’faites suer. Laissez-moi vous citer les paroles d’un très célèbre penseur : « On écrit sur les murs le nom de ceux qu'on aime, des messages pour les jours à venir. On écrit sur les murs à l'encre de nos veines, on dessine tout ce que l'on voudrait dire. »
Et bah voilà ! Ça la ramène moins, ça vous rappelle bien quelqu’un, hein ?
Ouais, c’est ça, les mignons p’tits "kids-machins-réunis" peuvent faire couler tout l’sang qu’ils veulent, à eux on leur dit rien ! Parce qu’écrire à l’encre des veines, c’n’est rien d’plus, rien d’moins, que d'foutre du sang partout ! Ils chantent ça d’puis des plombes à des millions d’enfants et, à eux, on leur rappe pas les noyaux !
Et puis faut savoir qu’les p’tits "kids-bidules-fanfarons", ils n’ont rien inventé ! Les femmes de not’e récit, bah elles ont tout simplement fait pareil, et des lustres avant eux ! Elles écrivent sur le pont du bateau à l’aide des veines et dessinent les rituels magiques nécessaires au voyage ! Voilà ! Malheureusement, j’reconnais qu’elles ne l’ont pas fait en chanson, et ça, ça a dû vous perturber…
Pourquoi il leur faut tout ce sang ? Ohh, pfff, j’n’en sais rien, moi ! C’est vous qu’allez dev’nir choquant avec vos questions ! Je n’suis pas magicienne, vous m’prenez pour une de ces sorcières ou quoi ?! Moi j’suis du côté des pirates, j’n’y capte rien à leur truc ! Vous êtes pas mécanicien, j’vais pas vous d’mander d’réparer ma Renault ! Alors me d’mandez pas « pourquoi il leur faut tout ce sang » ?! J’n'en sais fichtre rien !
J’pense qu’elles en ont besoin comme ingrédient pour faire leur p’tite sorcellerie. C’est comme pour fair’ un gâteau, si on en fait un au chocolat bah faut du chocolat ! Pour passer dans leur monde, elles ont besoin d’sang et elles en ont pris sur ce pirate de passage. Faut bien qu’elles rentrent chez elles.
Tiens, mieux encore ! Pour voyager il faut d’l’essence, leur carburant c’est l’sang ! Voilà, tout s’explique avec des comparaisons simples.
Du coup il y a eu un mort ? Du coup vous avez raison.
Du coup c’est ce mort ensanglanté qui est scandaleux ? Scandaleux ?! Vous y allez fort… Alors psychologiquons un peu… phisyologiquons… philosophiquons ! Merde… Quoi ? Philosophons ? Ouais… peut-être... pas mal. Mais j’dirais plutôt philosophons ! C’est c’que tu as dit ?! Non, c’est c’que, moi, j’ai dit ! Tutute ! N’en rajoute pas, t’as dit philoso-concon ! Tout ça pour faire marrer tes camarades ! Stop ! Philosophiquons :
La mort, mes p’tits pirates, faut vous dire qu’c’est la vie, pas d’quoi êt’e choqués, tout l’monde y passe : papa, maman, p‘tits frères, p’tites sœurs, et normal’ment d’ici peu mémé et pépé !
Oh c’est bon, si j’n’peux plus rien dire aussi… pfff.
Vous savez, pour être honnête, pour vous parler comme si vous étiez des grandes personnes, pour pas qu’vous n’grandissiez bercés d’illusions, pour ne rien vous cacher, pour ne pas vous faire croire que tout est beau et parfait dans l’meilleur des mondes, pour tout vous dire : la vie est dure. Pire : la vie est injuste !
P’tits pirates, tous les jours sur not’e planète il y a des morts. Tous les jours, il y a des gens qui meurent… et certains ne l’méritent même pas. C’est comme ça, faut l’savoir et en prendre conscience. Vous êtes en âge de comprendre, vous n’êtes plus des bébés, la vie peut êt’e courte, alors profitez sans trop vous prend’e la tête !
Après, j’dois avouer que, sans vouloir vous choquer plus encore, j’ai pris un malin plaisir à vous décrire cette scène atroce, je m’doutais bien que vous n’saviez pas qu’l’histoire prendrait une allure aussi… cruelle. Je plaide coupable, mais je n’m’en excuse pas, car si il y a une fautive à désigner, c’est Gigi ! Je m’suis laissée emporter devant son insistance. Je suis aussi victime que vous.
Mes p’tits pirates, toute cette tragédie, soyons d’accord là-dessus, n’a qu’une seule et unique responsable : Gigi. Alors n’hésitons pas et reportons notre mécontentement sur cette infâme enfant ! Allez, tous ensemble, pointons-la du doigt et huons-la : « Ooouuuhhhh Gigi ! Ooouuuhhh ! T’es qu’une grosse nulle stupide ! ». Au passage, si vous avez d’autres insultes, profitez c’est l’moment. Soulagés ? On s’sent bien mieux après avoir trouvé l’coupable, hein ? Cool.
Ceci dit et fait, rev’nons-en et finissons-en avec la vie dans l’monde : mes p’tits pirates, la "triste et dure réalité" – encore – est qu’il y a des méchants et des méchantes. Des gens qui font du mal, qui apportent le malheur, qui n’pensent qu’à eux et sont injustes ; et il y a en a beaucoup. Oui, comme Gigi, eheh. Donc voilà, il faut qu’vous l’sachiez, pour vous méfiez, pour être prudents. C’est comme tout, quand on sait les choses, on peut mieux les affronter.
Par contre, n’soyez pas trop inquiets non plus, il y a aussi beaucoup d’gentils et d’gentilles. Le tout est d’choisir son camp. Choisissez votre camp. Vous choisirez votre camp… quand vous s’rez grands.
Entre nous, il est plus simple d’êt’e méchants, mais faire du mal aux autres n’est pas à la portée de tous. Faut pouvoir l’supporter, faut avoir un cœur sombre.
D’un aut’e côté, il est plus agréable d’êt’e gentils et d’vivre en paix. Mais c’n’est pas toujours possible, la vie ne laisse pas toujours le choix. Et on en r’vient donc ainsi à : la vie est dure et injuste !
Au fait, ça n’vous rappelle pas mes paroles ? Allez, parce que tout c’que j’dis est fort sensé et intelligent, j’vais m’répèter : « Puis des fois les gentils deviennent méchants et les méchants ne l’sont pas toujours indéfiniment. Les choses évoluent, un jour on est gentil, un autre on est méchant. Rares sont ceux qui n’sont que méchants ou que gentils. Aux yeux de certains on est gentils, tandis que d’autres nous verrons comme des méchants. Final’ment, tout est une question de point d’vue. »
Est-ce que la Commandante est réellement méchante ? Et bah... comment la percevez-vous ? Pas très gentille, hein… En effet, elle n’est pas très gentille, je n’peux pas vous contredire.
Pourtant le Capitaine l’aime ? Alors, qu’en déduisez-vous ? Que faut-il penser si le Capitaine s’amourache d’une méchante ? Qu’il est méchant ? Mes p’tits pirates, la vie est bien plus compliquée.
Et moi, si j’suis méchante ? J’ai eu des périodes de ma vie, et j’en aurais peut-être d’autres, où j’n’étais pas très… sympathique aux yeux de certains, mais fort cool aux yeux d’autres. Tout comme le Capitaine, tout comme la Commandante, et pour compliquer, rapp’lez-vous, à chaque époque sa mode et ses mentalités.
Vous m’faites rire, j’vois à vos têtes, toujours si expressives, que mes paroles sont difficiles à comprendre. On en conclura qu’c’est ça la philosophie, c’est réfléchir à un sujet, lancer des idées, en parler, et essayer d’traduire le tout. Mais bon, on n’va pas non plus entrer en phase de réflexion, hein ? Parce que si vous saviez c'que j'en pense des phases de réflexion !
Alors vous m’dites, parce que sinon j’me tais et tous ensemble on réfléchit à la phase de réflexion à la phase de réflexion à la phase de réflexion… eheh, tordante tout d'même c’t’idée.
Bon, on passe à la suite, plus d’questions ? Non, juste une affirmation, c’est à dire ? Toi tu n’avais pas été choquée ? Ohhh… faut toujours qu’il y en ait une qui s’la raconte. Sale gamine immorale, t’en arriverais presqu’à m’dérouter. Et arrête avec ton "hahahahhihihi", ça m’énerve.
C’est quoi ton prénom déjà ? Corinne ?! Pour de vrai ? Il y a encore des enfants qu’on appelle comme ça ? La preuve… oui, ahah. Moi j’croyais que c’ prénom c’était comme la rougeole, qu’on l'avait vaincu et qu'il avait disparu.
Tiens, ça m’fait quand même penser qu’j’en connaissais une, une Corinne, mais avec un k, celle-là, oui c’était un cas, c’est l’cas de l’dire, j’l’avais rencontrée dans un jardin…
Quoi ? Tu l’sais, j’l’ai déjà dit ?! Mais alors si tu l’sais si bien, méfie-toi, car tu dois savoir qu’elle a mal fini… la Korinne ! Hahahahhihihi !
Qu’est-ce qu’elle est dev’nue ? C’est une toute autre histoire, presqu’ aussi longue que celle-ci, mais puisque vous voulez un indice : n’aimez pas trop la nature !
Allez, passons, continuons. Comme tout ça vous a perturbé, et étant donné que l'on n’avance plus dans l’histoire et qu’de toute façon on aura jamais fini aujourd’hui, apprenons comment s’organise un voyage sur un bateau pirate :
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