Adapté.
Enfin, le voyage tant attendu se profilait.
Enfin, son monde allait apparaître aux yeux des pirates.
Enfin, la mission ne tarderait plus à débuter.
Enchantée de cette rapide avancée, ravie de toutes ces perspectives à venir, soulagée de cette question sans détour - « Donc ce voyage ? »- qui, magiquement, égayait ses oreilles, la Commandante, joyeuse, répondit au Capitaine. Mieux encore, dans l’ivresse de ce moment parfait, elle adapta sa réponse et prit plaisir à tout récapituler une ultime fois :
– Oui. Le voyage, oui. Le début sera calme, profitez-en pour vous reposer ; la suite sera plus mouvementée, mais aucunement risquée. Enfin, pas trop, et quand bien même, je vous rappelle que nous nous sommes engagées à réparer votre bateau. Nous ferons même mieux : si vous êtes dignes de notre confiance, nous le rendrons insubmersible !
Le Capitaine, perplexe, haussa le sourcil.
Toujours dans l’euphorie de l’instant, la Commandante, à qui ce mouvement de poils n’avait pas échappé, eut le tort de réagir :
– Faites-vous cela car vous n’avez pas compris, ou est-ce parce que vous doutez ?
– Je doute avoir bien compris.
– Votre bateau ne pourra pas être coulé ! Voilà ce que signifie insubmersible.
– À d’autres ! Maintenant, je comprends que je dois douter.
Désenchantée de ce recul soudain, la Commandante réadapta ses propos :
– Il sera très difficile à couler, bien plus que votre tas de bois actuel !
– Ah, on y arrive. Vous savez, je suis un adulte, je suis en mesure de comprendre les choses, vous pouvez me dire la vérité, aussi simple soit-elle, sans en rajouter trois tonnes, sans essayer d’en faire des caisses. Vous consoliderez donc mon bateau.
– Si vous voulez, concéda-t-elle, prête, naïvement, à passer à autre chose.
– Ce n’est pas si je veux, c’est vous qui venez de me le proposer, continua-t-il sur sa lancée.
– Si vous préférez le terme consolider à celui d’insubmersible, soit ! Est-ce là bon pour vous ?
– Ce n’est pas que je le préfère, c’est qu’il est plus adapté.
Chagrinée que les belles perspectives d’avancées s’éloignent, la Commandante s’emporta :
– Vous me cherchez ?!
– Non, vous êtes là, devant moi. À moins que vous ne pensiez au verbe provoquer ? Qui il me semble, excusez-moi encore de vous corriger, est plus adapté que chercher.
– Vous cherchez à me provoquer, comme cela tout le monde est satisfait, concéda-t-elle avec toujours cette envie de passer à autre chose.
– Pas mal !
– Continuez et, lorsque je vous aurai corrigé, vous ne direz plus cela, ne put-elle s’empêcher de lâcher en guise de riposte, ruinant ainsi tous ses espoirs.
Le Capitaine plissa les yeux, tripota sa barbe deux secondes et exprima tout haut la menace cachée :
– Insinuez-vous que je vais souffrir ?
– Je pense que vous allez me trouver, et que souffrir sera adapté, puisque vous venez de me le proposer.
– Ne sentirais-je pas en vous une légère pointe de nervosité ?
Affligée par cette question sans détour, posée uniquement pour titiller ses oreilles, la Commandante, furieuse, s’adapta à la situation :
– Du tout Capitaine, nerveuse ne semble pas être, comme vous aimez à me le faire remarquer, le terme le plus adapté. Par contre, pour revenir à un sentiment maintes fois ressenti en votre présence, et là parfaitement à sa place, pour ne pas dire adapté, je vais vous avouer que : VOUS ME SAOULEZ !
Imperturbable, insensible à cette hausse de décibels, le Capitaine sentit bien que, certes inadaptée, une précision s’imposait :
– Vous devez penser au verbe "énerver", car dans saouler il y a une idée d’alcool. Buvez-vous, Commandante ?
– Arrêtez, arrêtez, ARRÊTEZ-VOUS, tout de suite !
Et les mains de la Commandante crépitèrent d’éclairs, d’une nouvelle couleur, adaptés à son niveau d’agacement : tout rouge.
Perturbé, sensible à ce changement de nuance, le Capitaine sentit bien qu’un retour à un autre sujet - plus adapté - s’imposait :
– Oui. Donc ce voyage ?
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