21 - 5 - Le voyage, la susceptible fin
– Tu en dis des conneries, Second. Tu en dis !
Occupé à se masser l’arrière du crâne, Second ne prêta pas attention au Capitaine.
– Oh ! Tu m’écoutes ?
Grincheux, Second répondit :
– Vous venez de me mettre une claque derrière la tête ! Alors non, je ne vous écoute plus… mon Capitaine.
– Je rêve ou tu boudes ?
– Je ne boude pas ! dit-il sans vraiment faire d’effort pour apparaître convaincant.
– Pour une claquounette-tapinette ?
– Pour ça et pour l’étranglement et pour les reproches et pour les insultes et…
Second se mit à réfléchir et conclut le plus largement possible :
– Et pour l’ensemble de votre œuvre, mon Capitaine !
– Donc pour si peu, tu boudes ?!
– Non, je ne boude pas ! Je suis… en colère après vous.
– Calme-toi, boude-boudineur, ou devrais-je dire "susceptible" ?
– Je ne veux plus vous répondre.
– Je tiens tout de même à te dire qu’au final, je ne comprends pas pourquoi tu t'emportes de la sorte, énonça très calmement le Capitaine.
Sans même qu'il ne s’y attendre, un éclair noir jaillit du regard de Second et l’atteignit en pleine face.
Le Capitaine en fut presque étourdi, mais se ressaisit vite. Second fronça les sourcils en voyant le coin de ses lèvres trembloter :
– Ne me dites pas que vous allez rire ?!
Le Capitaine éclata de rire.
– Mais ce n’est pas vrai, vous riez.
Le Capitaine rigola de plus belle. Ce fou-rire contamina Second qui fut bien obligé de se joindre à lui. La tension redescendue, il se plaignit :
– Vous savez que vous m’avez fait mal, mon Capitaine ?
– Tu l’as bien cherché !
– Non, vous êtes un tortionnaire.
– Pas du tout, mais je reconnais ton côté souffre-douleur.
– J’espère que vous n’y prenez pas trop de plaisir, mon Capitaine.
– Toi non plus.
Tout deux se regardèrent, le sourire toujours aux lèvres, soulagés et heureux d’avoir su s’expliquer.
– Tu sais, Second, je pense que tu t’entendrais bien avec une certaine personne.
– Ah bon ? Qui ça ?
– Si tout se passe bien, je pense que tu auras l’occasion de la rencontrer.
Hey hey, j’dis ça, j’dis rien, mais j’pense que si Second croisait la Commandante ce s’rait rigolo à voir, non ? Vous n’pensez pas ? Bon, on verra bien.
Le capitaine, s’apprêtant à clore cette conversation, leva la main, et vit Second, dans un réflexe protectionniste, reculer.
– Oh, on dirait un chien craintif. N’aie pas peur, tu n’as rien fait, je ne vais pas te frapper.
Et le Capitaine, tout doucement, tapota l’épaule de Second d’un geste amical, sincère et gentil.
– Voilà, voilà, rien de plus, bon Second, crut-il bon de rajouter.
– Promis ?
– Mais oui ! Que veux-tu d’autre ? Que l’on s’embrasse ? Qu’on mange ta fameuse banane chocolatée ?!
– Non… enfin pas là, pas aujourd’hui. Mais je voulais juste dire : promis vous ne me taperez plus ?
– Non… enfin pas là, pas aujourd’hui. Mais de quoi sera fait demain, on ne le sait pas. Carpons diem !
– En fait ça ne se conjugue pas, mon Capitaine. Qu’entendez-vous par de quoi sera fait demain ?
– Oublie demain ! On est amis ! Collègues ! Frères-d’arme ! Une vraie relation de confiance s’est maintenant installée entre nous, non ?
– Plus qu’installée, je pense qu’elle s’est… imposée. Il me semble même qu’elle ait été un peu martelée cette relation, mon bon Capitaine, crut bon de préciser Second.
– Peu importe les formes, peu importe la façon, l’important est que notre union soit profondément… le Capitaine s’arrêta, pensant justement aux formes et à la façon dont tout cela serait interprété.
Second, lui, compléta :
– Ancrée ? Scellée ? Fortement...
– Oui ! Restons-en à forte, ce sera bien, une union forte, s’empressa de dire le Capitaine.
– Une union forte mais sans violence, s’assura Second.
– Voilà, tout en douceur et en amou… Mais non ! s’agaça le Capitaine.
– Comment ça "mais non" ? Vous n’allez pas redevenir brutal ?! s’inquiéta Second.
– Mais, mais, mais… Oh, j’ai l’impression qu’il faut toujours que ça dérape… On est unis fort ? Est-ce que cela te va ?
– Grammaticalement je pense que l’on peut mieux faire… Mais à voir votre expression je vais m’empresser de dire que cela me convient parfaitement, mon Capitaine.
– Alors n’insistons pas, restons-en là !
Heureux de cette alliance, forte, le Capitaine put enfin reprendre le fil de la conversation :
Et comme ça, s’concentrer sur c’qui les entoure ! Parce que n’faut pas déconner, l’océan bah il commence à s’agiter ! On est là, on les écoute, mais vous croyez quoi ?! Que rien n’se passe ? Que l’temps s’fige ? Qu’ils ne sont plus qu’deux au monde ?! Bah non ! N’soyez pas stupides ! Les bateaux bougent et la tempête approche. J’rappelle aux mémoires molles qu’il y en a une au loin ! Donc allez hop, tout l’monde se r’mue et en avant pour l’aventure !
– Il est grand temps d’agir ! Car sais-tu qu’à moi, l’océan, la seule chose qu’il me dit c’est qu’il est grand temps de naviguer un peu. Alors avant de carper quoi que ce soit, et si tu veux profiter de demain, VA ré-per-cu-ter mes ordres !
Les soudaines directives lui firent oublier la claque, le carpe diem et leur amitié naissante. Second se figea et, presque indigné, révolté, limite susceptible, clarifia :
– Mon Capitaine, je m’excuse mais… si vous aviez été réactif, si vous m’aviez de suite répondu, ce serait déjà fait !
Interloqué et surpris par tant d’irrespect, le Capitaine resta sans voix. Mais avant qu’il ne se décide à faire passer son second par dessus bord, Second enchaîna :
– Alors ! Vous me le dites, oui ou non, le nom de cette voile ?!
À nouveau enragé et à bout de nerfs, le Capitaine…
J’vous l’donne en mille, qu’est-ce qu’il fait, encore ? Quoi ? Ça y est, les "malades" sont d’retour ! Mais ça n’va vraiment pas mieux vous, hein ?! Vous voulez… sincèrement ? Alors qu’ils sont tout juste fort complices ? Ok, tant pis, j’vais encore aller, une fois d’plus, dans vot’e sens. Allez, c’est r’parti, jouons avec vos délires :
Le Capitaine, furax, d’un geste rapide comme l’éclair, lança un direct du gauche dans la face de Second. Sa lèvre explosa, coupée net par ses dents de devant. Se servant de l’effet de surprise, le Capitaine enchaîna avec un coup d’coude dans l’œil ! Je n’vous parle pas des dégâts… si ? Alors j’en parle : l’os orbital, toute la partie où y’a l’sourcil, explosa littéral’ment ! Un bout d’os racla l’œil avant que – toujours l’œil – ne s’enfonce vers le nez, assurant ainsi un strabisme à vie !
C’est quoi un strabisme ? Mais ça coupe l‘action si j’explique en plein milieu ! Bon, vit’ fait : un strabisme, c’est loucher, Second avec ce coup d’coude, louch’ra à vie !
Mais rassurez-vous, il n’eut pas l’loisir d’sen soucier bien longtemps. Parce qu’après l’direct, après l’coup d’coude, le capitaine se pencha, lui tira les mollets et, ce qui devait arriver arriva : Second fut passé par dessus bord !
On continue ? J’vois à vos têtes que oui, les malades…
Enfin, j’m’excuse quand même mais j’tiens à préciser qu’si j’avais su, dans c’t’histoire, on aurait évité les dialogues, j’me s’rais concentrée sur l’action ; j’me s’rais moins fait chier ; quelle perte de temps, final’ment… à r’tenir pour la deuxième partie… et voir aussi pour une version courte…
Une fois à l’eau, Second, loin d’êt’e mort, s’agita dans tous les sens. Le Capitaine se pencha par dessus le... ? Bien ! Le bastingage et l’encouragea à coup de : « Crève sale connard arrogant ! Poète de mes deux ! Philosophe à deux balles ! Petit tas de merde insolent ! »
Quoi de mes deux quoi ? J’ai pas dit deux fois quoi ? Quoi ? De mes deux ? Poète de mes deux ! Ah, "de mes deux", quoi. Oh, "de mes deux"… c’est, euh… réfléchissez ! Qu’est-ce qui va par paire ? Rien ? Allez, un effort ! Ciseaux ? Bof. Chaussures, c’est bon. Oreilles, bien ! Allez, un indice, continuez avec le corps humain. Mains, jambes, yeux, pieds, coudes… C’est bon, c’est bon, stop ! On r’centre sur des trucs plus drôles, allez, encor’ un effort. Fesses, oh, les fesses oui. Seins ? Pas mal. Poils ? Non, nul, y’en a bien plus ! Rien d’autres ? Qu’est-ce qu’ils sont chastes, ces petits, malades mais chastes.
C’est à dire ? C’est à dire que pour vous le sexe reste encore un gros mot. SE-XE. SE-XE. Allez, cette fois-ci essayez avec moi, rapid’ment : s’xe. On articule : se-xe. On parle normal : sexe. On le crie : SEEEXXXEEE. Bah voilà, c’est bien, c’n’est pas un gros mot, ça fait partie d’la vie, c’est avec ça qu’on fait les bé… euh… c’est avec ça qu’on fait les bésoins... besoins… pipi... quoi. On n’va quand même pas s’lancer dans la r’production, hein ? On n'l'a pas fait au début, là maint'nant on est fatigués, on va rester simp’e, pas la peine que j’vous r’tienne encore trois heures de plus.
Bon, où en étions-nous ? De mes deux sexes ? Euh bah non, c'n'est pas loin mais en fait ça n’marche pas. T’as beau avoir une tête de bite, t’en as qu’une ! Quoi ? Ça y est, l’est comme Second, il fait son susceptible ! C’est bon, j’retire. Tête de cul, va !
Alors pourquoi "sexe" si ça n’marche pas ? Parce que c'était par là, tout près du sexe, qu’est-ce qu’il y a tout près du sexe… non ? Pfff… bon, de mes deux sexes si vous voulez ! Moi, j’abandonne les explications, j’en ai marre ! Disons que "de mes deux", c’est une façon d’parler. On s’en sert pour dévaloriser quelque chose, pour montrer un manque évident de considération, c’est tout ! Cherchez pas midi à quatorze heures ! Poète de mes deux, intello d’mes deux, Gigi d’mes deux, question d’mes deux, vous d’mes deux, d’mes deux sexes, ras l’bol de mes deux, j’sature de mes deux ! Voilà ! On peut l’mettre après tout. C’est une façon d’dire que… que… que c’n’est pas terrib’e. Voilà, ce s’ra bien comme ça.
Comment ça comme cette histoire de mes deux ? Ok ! Très bien, j’avais prév’nu, c’est bon, stop, arrêtons là l’massacre, j’arrête, j’arrête tout, je m’pose, j’abandonne, je r’nonce, j’men carre le coquillage de toute la fin et là, c’est donc la fin ! LA FIN ! FIN FINALE !
Oui, oui j’suis susceptible, et tiens, ce s’ra ma DERNIERE définition, parce que j’ai beau en parler d’puis l’début, y’en a pas un qui s’manifeste ! Susceptible veut dire que je m’offense et me vexe facil’ment !
Vous croyez qu’ça m’fait plaisir d’entend’e ça, "histoire de mes deux" ?! J’me décarcasse, je m’égosille, j’vous occupe, j’prends soin d’vous, je n’vous cache rien d’la vie, j’vous instruis, j’m’apprête à vous faire découvrir l’inimaginable, j'vous conte une aventure pleine d'action, une histoire vraie et historique, sans temps mort, j’vous apprends comment surviv'e dans not'e monde et… et… histoire de mes deux ?! Ça en arrive que ça s’termine par "HISTOIRE DE MES DEUX" !
Et pas la peine d’attend’e que j’me calme, nous y sommes, je n’revindrai pas sur ma décision. C’est la fin, c’est terminé pour aujourd’hui !
D’toute façon faut r’connaître qu’on est allé trop loin, soyons honnêtes, ça n’a que top duré !
Alors, aussi abrupte que cela puisse l'être, l’histoire s’arrête là, avec cette fin !
Et la suite ? Vl’à qu’vous demandez une suite ? Vous n’manquez pas d’air ! Vous n'mécoutez pas, j'viens d'vous dire qu'c'était fini ! Peut-être, oui, peut-être une suite, un jour, peut-être, si j’vous r'invite. C’n’est pas gagné ! En attendant ouste, je n’veux plus vous voir ! Fichez l’camp, pas d'suite de suite !
Oh oh, stop ! On ouv’e pas non plus la porte, vous attendez là vos parents ! Non mais, c’est moi la représentante légale ici, j’voudrais pas encore avoir à faire avec la justice ! Ils s’raient bien capab’es de m’accuser d’abandon d’sales gamins… bien qu’entre nous... J’vous assure qu’on devrait avoir l’droit d’vous abandonner ! À l’époque du p’tit Poucet on s’posait quand même beaucoup moins d’questions ! D’ailleurs, puisqu’on a encore deux minutes, vous n’seriez pas partant pour une p’tite balade en forêt par hasard ? Pfff… on n’est pas prêt d’écrire d’jolies histoires avec vous.
Allez, attendez là, dans le calme ! Et à bientôt peut-être.
FIN
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