28 - Épilogue.

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À peine les chaussures mises et les manteaux enfilés, la sonnette retentit :

– Gigi, va ouvrir, ce doit être les papas et mamans.


Gigi, telle une enfant modèle, sans renâcler, obéit, ouvrit et découvrit la première maman :

– Coucou belle Gigi, argumenta par pure politesse la maman, oh, je vois mon petit chenapan qui se cache là bas. C’était bien mon canard ? Tu t’es bien amusé ?

– Oh oui, maman ! La maman de Gigi n’a pas arrêté de dire des gros mots !


À entendre Chenapan déblatérer des bêtises, la Pirate accourut à la porte :

– Bonjour madame, c’est un petit ange que vous avez là ! Et un sacré farceur aussi. Je leur ai raconté une petite histoire toute mimi, et vous savez c’que c’est, pour les faire rire, les p’tits gredins, rien n’vaut un gros mot comme “pipi” ou “caca”. On s’est bien amusés.

– Madame Gigi, il y avait aussi…


La pirate s’abaissa à hauteur du visage de Chenapan, mit le doigt devant sa bouche et d’un regard dur, effrayant, elle arriva à faire passer le message « si tu caftes, j’te jure, j’te tue ».

Un peu apeuré, certain qu’elle n’hésiterait pas à mettre sa menace à exécution, Chenapan se retint et corrigea :

– Il y avait aussi… "prout".

– Oh, Chenapan, tout cela devait rester entre nous. Méchant rapporteur, ah, ah, se força-t-elle à rigoler. Voilà, madame, excusez-moi, vous savez tout, il y a aussi eu un “prout”.


La maman ricana, remercia Gigi et la Pirate de leur accueil et s’apprêta à partir. Chenapan voulut s’assurer d’une chose importante :

– Madame Gigi, vous nous raconterez la suite demain, hein ? N’est-ce pas maman que je peux revenir demain ?


En entendant cette excellente proposition, les autres enfants, même Lassé et À-bout, approuvèrent avec joie :

– Oui madame, à demain !

– On veut la suite demain !

– Oui, dès demain matin, s’il vous plaît !

– Merci madame !

– Ouais !

– Elle a dit oui ! Ouais !

– Non, mais non… je… s’opposa, ahurie, épouvantée, la Pirate.


La maman de Chenapan, devant tant d’allégresse, de passion, d’emballement, ne put que donner son accord :

– Madame, il vous faudra me révéler votre secret, vous les avez conquis ! Puisque vous le proposez, je vous le ramène donc demain. Bonne soirée.


Prise de court, la Pirate essaya de protester :

– Mais, mais, non, je… non, je n’ai rien suggéré… non… revenez… revenez ! J’ai piscine ! Demain j’ai piscine !


Mais les enfants toujours exaltés et déchaînés couvrirent le son de sa voix, si bien que la maman monta dans sa voiture et s’en alla. Vexée, la Pirate se tourna, fulmina en silence, se contint, un peu, puis gueula :

– Vos gueules les mioches !


Ce qui devait arriver arriva :

– Euh… bonsoir madame, dit un papa qui se présentait à hauteur de la porte.


Confuse, rouge, surprise, elle chercha une excuse qui ne vint pas.


– Ça c’est mal passé ? Ma fille a-t-elle été méchante ? C’est qu’ils étaient nombreux… Vous vous emportez souvent comme ça ? termina-t-il sur un ton de reproche.

– Je… non… c’est… enfin…

– Papa, non, la maman de Gigi a été géniale ! Elle terminait juste son histoire, d’un Capitaine un peu grossier. Mais elle nous accueille à nouveau demain. Hein, madame, dès demain ? certifia la petite fille avec dans le regard le message : « si tu dis non, je me plaindrai à mon papa et je lui raconterai tout ! Gna gna gna. »

– Oh, tu es top, maman ! appuya Gigi d’un sourire signifiant « te voilà piégée, gna gna gna ! »

– C’est que… l’histoire est terminée, essaya-t-elle de plaider pour s’en sortir.

– Mais non, maman Gigi, ce n’était que la fin de “mon île”, hein ? Maintenant on DOIT retourner voir le Capitaine Borgne et Brute !

– Ah oui !

– Sur Île !

– Demain !

– Demain, demain, demain, demain, demain, demain… prêchèrent tous les enfants d’un ton diabolique, tels des esprits malveillants psalmodiant des incantations maléfiques.

– Tu es sûre, ma puce ? s’assura le papa toujours un peu soucieux.

– Oui, papa ! Je veux, absolument, revenir demain !

– Bon, et bien puisque vous l’accueillez, à demain madame. Bonne soirée.


Hébétée, pétrifiée, vaincue, le sourire forcé elle céda :

– Voilà… oui, je l’accueille… à demain… donc…


Et à tour de rôle, les parents vinrent chercher leur progéniture. Un ou deux, trois ou quatre plutôt, lâchèrent que la maman de Gigi leur avait parlé de sexe, qu’il y avait eu du sang, beaucoup, trop, que le livre-jeunesse choisi et raconté s’était avéré inadapté, inapproprié, et que des meurtres et bien d’autres atrocités pas vraiment de leur âge leur furent contés.

Tout fut bien sûr minimisé, relativisé, ou bien encore réfuté. En tout cas, rien n’y fit, tous les parents, certainement comme tout bon parent irréprochable, acceptèrent à nouveau de se débarrasser, et ce dès le lendemain, sans trop à comprendre ou à savoir, de leurs enfants.


Une fois seules, une fois tous les chérubins partis, la Pirate s’adressa, ravie, à sa fille :

– Merci, Gigi. Une longue journée ne t’a pas suffi. Il t’en faut une deuxième ! Génial, j’en trépigne d’avance ! Place, donc, au tome deux !

– De rien m’man. On va bien s’amuser, j’ai hâte de connaître la suite. Viv’ment d’main !

– Oui… oui… ne te réjouis pas trop vite, y’aura des surprises. Des mauvaises ! En attendant, vous m’avez épuisée, je monte prendr’ un bain.


Allongée dans l’eau chaude, embuée de vapeur collante, relaxée par les sels apaisants glissés dans la baignoire, illuminée de douces bougies, la Pirate se laissa aller et se détendit, soulagée de s’en être sortie pour aujourd’hui. Ne se projetant pas à ce "demain" qui déjà s’annonçait effroyable, elle n’eut qu'une envie : penser à elle.

Dans un tel besoin de bien-être, sa main, sous l’eau, effleura son genou, puis remonta vers sa cuisse et, alors que son autre main s’arrêtait sur sa poitrine, titillant un téton, submergée par un désir personnel, intime, irrésistible, elle s’apprêta à…


DING-DONG, sonna la sonnette.


– Putain, mais putain de putain de merde. J'n’aurais donc jamais un moment à moi ! C’n’est pas posssib’e ! Putain d’journée ! Rest' encore un mioche caché ou quoi ?!


DING-DONG, carillonna à nouveau la sonnette.


– Mais c’est ça, c’est ça, l’a qu’à insister, elle croit que j’l’ai pas entendu ou quoi ?!


DING-DONG, s’obstina la tenace sonnette.


– Arghh ! Arghh! Gigi, va voir qui c’est !


DING-DONG, persista, s’entêta, l’acharnée sonnette.


– Gigi ! VA VOIR ! Et hurle si il y a un problème. Seul’ment, si il y a un problème !


Bien entendu, pas plus de dix secondes ne s’écoulèrent avant que Gigi ne hurle :

– MAMAN ! MAMAN !

– Ça m’aurait étonnée… Pfff, faut toujours qu’ce soit compliqué… toujours ! Et faudrait qu’on arrive à pas s’prendre la tête ? J’vais t’en foutre moi des « il faut rigoler, rire et s’amuser, en tout’ occasion, en toute circonstance, et le plus souvent possible, gna gna gni gna gna gna » s’imita-t-elle elle-même, absolument convaincue qu’elle avait raconté n’importe quoi aux enfants.


La pirate, à son grand regret, désespérée, inassouvie, sortit donc de son bain. Elle se drapa d’une longue serviette blanche, s’enroula les cheveux d’une plus petite, toute noire, et descendit vers la porte d’entrée. Lorsqu’elle découvrit la silhouette sur le pas de la porte, face à Gigi, elle s’arrêta net. Étourdie, abasourdie, inquiète, elle se crispa et serra instinctivement la rambarde de l’escalier.

– Maman, la dame m’a dit…


Sans la laisser continuer, la Pirate intervint d’un ton calme mais ne souffrant aucune contestation possible :

– Écarte-toi, Gigi.


La silhouette, à voir le trouble d’une maman, à entendre l’avertissement, se voulut rassurante :

– Ma chérie, voyons, pour qui me prends-tu ? Quelles sont donc les horreurs que l’on a bien pu te raconter à mon sujet ? Ne te méprends pas, je ne suis pas ici pour, lui, faire du mal.


Un court silence s’installa et la Pirate, d’un ton grave, l’air sérieux, préoccupée, lui demanda :

– Alors que viens-tu faire là, Commandante ?

– Tout de suite les titres, les grades… Chérie ! Oublie les formalités, nous sommes ici en famille, appelle-moi maman.

– Maman ?! manqua de s’étouffer Gigi.

– Gigi, veux-tu bien t’écarter de ta grand-mère, s’il te plaît.


FIN


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