Chapitre 9
Eldria ressentit un immense soulagement. C'était fini... Cela avait été horrible, mais c'était fini... Pourtant, quelque chose ne la rassurait pas. Le vieil homme semblait s'être beaucoup intéressé à elle. Bien plus qu'à Salini et Karina. Elle espérait que son choix n'était pas déjà fait. Elle n'avait aucune envie de devenir l'objet des désirs sexuels d'un tel vieillard rabougri... Ni de quiconque d’ailleurs.
C'était maintenant au tour de Dricielle. Du coin de l'œil, Eldria observa la jeune fille. Elle espérait de tout son cœur qu'il ne la toucherait pas elle aussi... Mais Dricielle était déjà en très mauvais état. Elle sanglotait péniblement, et son corps tremblait. Les joues rouges, elle fixait le sol. Elle n'avait pas trouvé la force de ses trois amies, au grand désarroi de celles-ci. Il fallait la comprendre, elle n'avait certainement aucune envie qu'on la touche de nouveau... L’avant-veille à peine, elle avait été violée, et certainement dépucelée. Eldria ressentit une forte compassion envers sa compagne de cellule. Elle aurait voulu pouvoir l'aider, mais elle avait beau chercher, elle ne pouvait rien faire. Elle tourna furtivement la tête en direction de Salini et Karina en quête d'un quelconque soutien, mais celles-ci semblaient aussi dépassées qu'elle par les évènements.
– Voici heu... Dricielle... commença Madame Martone, s'apercevant de l'état de la jeune femme. C'est une hem... très jolie brune de 18 ans, même si visiblement quelque chose la... heu... tracasse quelque peu...
Une nouvelle fois, le vieil homme l'interrompit.
– Faites-vous souffrir vos pensionnaires au point de les faire pleurer ? Ces filles devraient respirer le bonheur, et profiter de tous les plaisirs de la vie...
Sans un regard supplémentaire, il se dirigea vers la jeune fille attachée à gauche de Dricielle. Eldria crut apercevoir le regard noir de Madame Martone en direction de sa jeune amie. Elle avait maintenant très peur pour celle-ci, qui n'avait pas suivi les ordres. Madame Martone risquait de s'en prendre à elle. Malheureusement, ce qui était fait était fait, plus de retour en arrière possible.
Cette inspection forcée continua pendant encore plusieurs dizaines de minutes. Le vieil homme, suivi de près par Madame Martone et ses deux laquais, avançait de fille en fille, écoutant son accompagnatrice énumérer la description et les nombreuses qualités physiques de chacune d'entre elles. De manière générale, Eldria constata que son argumentaire consistait principalement à décrire les filles jeunes comme de jolies demoiselles dociles désirant tout apprendre de la vie, et les femmes plus âgées comme étant expérimentées et à même de satisfaire facilement tous les désirs les plus fous. Ce fut en tout cas ce qu'elle constata sur les huit ou neuf captives suivant Dricielle. Après quoi, il lui fut difficile d'entendre quoi que ce soit à mesure que le petit groupe s’éloignait. Le seul évènement qui la rassura fut quand le vieil homme s’octroya de nouveau le droit de toucher la poitrine d'une fille de dix-sept ans, avant de lui poser à elle aussi des questions intimes. Bien qu'Eldria ressentît une certaine compassion à l’égard de cette inconnue qui, comme elle, semblait beaucoup plaire à l'acheteur, elle fut heureuse d’apprendre qu'elle n'était plus la seule à avoir attiré son attention.
En tout, il y eut cinq femmes, dont Eldria, pour lesquelles le vieil homme s'était arrêté. Le seul incident survint lorsque l'une d'elle, vers le milieu de la file, avait crié :
– Non ! Laissez-moi ! Ne me touchez pas ! Laissez-moi partir, s'il vous plaît ! Vieux porc, ne me touchez pas !
Alors qu'elle continuait de hurler, deux gardes avaient accouru et détaché ses chaînes, avant de la tirer rapidement hors de la cour alors qu'elle se débattait en hurlant. Eldria avait eu le temps d'apercevoir la jeune femme brune, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans, avant qu'elle ne disparaisse par une porte, laissant ses cris résonner quelques secondes dans la cour où régnait désormais un silence de mort.
Cinq candidates potentielles... Chacune ayant vingt pourcent de chance – ou plutôt de malchance – d'être choisie... Cela aurait pu être mieux, mais cela aurait aussi pu être bien pire, se dit Eldria pour se consoler.
Une fois toutes les filles passées en revue, Madame Martone, l'acheteur et ses deux laquais quittèrent la cour en empruntant la porte par laquelle ils étaient arrivés quelques minutes plus tôt. Lorsqu'ils passèrent devant elle, Eldria distingua certaines bribes de ce que disait Madame Martone, qui continuait à s'exprimer sur un ton mielleux :
– ... très bons choix je dois dire... suis sûr que vous ne serez pas déçu... saura satisfaire tous vos désirs... reste à sélectionner la bonne...
Une fois le petit groupe parti, accompagné de deux gardes, un nouveau silence s'installa. La tension était à son comble. Eldria était certaine que le vieil homme allait choisir une des cinq filles qu'il avait pris la peine de palper. La liste était peut-être même réduite à quatre à cause de celle s'étant rebellée. Que ferait-elle si c'était elle qui était choisie ? Cette question la terrifiait. Bien sûr, elle aurait préféré ne pas avoir à rester dans cette prison, mais au moins elle y connaissait Salini, Dricielle, et Karina. Elle n'était pas seule. Qu'adviendrait-il d'elle s'il elle devait partir elle ne savait où, accompagnée de ce vieillard pervers ? Comment tiendrait-elle sans personne avec qui se soutenir mutuellement ? Qu'attendrait-il d'elle ? Lui demanderait-il de se masturber devant lui ? Ou même pire ?
Elle avait peur, et sentait une boule dans son ventre, une boule qui lui faisait mal. Elle fut sur le point de vomir, mais, fort heureusement pour elle, son estomac était vide depuis plus d'une journée maintenant. À sa gauche, Dricielle sanglotait toujours doucement. À sa droite, Salini et Karina l'observaient d'un air concerné.
– Ça va aller, murmura Salini. Il y a tant de filles... Aucune chance que ce soit toi... Ou même l'une de nous quatre...
Eldria voulu rassembler ses forces pour lui répondre et lui faire part de ses doutes, mais elle n'en eut pas le temps. La porte près d'elles s'ouvrit une nouvelle fois avec fracas. Cette fois-ci, seul un grand soldat portant armure et un casque en émergea. Le sang d'Eldria se figea dans ses veines. Aucun doute possible, l'homme se dirigeait d'un pas rapide dans sa direction. Elle eut tout à coup du mal à respirer, alors que la peur s'emparait d'elle une fois de plus. Il n'y avait plus rien à faire, plus rien à espérer. C'était donc elle qui avait été choisie... La fille candidate la plus proche était attachée à cinq poteaux du sien, et il était clair que le soldat ne se rendait pas vers elle.
Eldria sentit les larmes lui monter aux yeux. Le soldat allait la détacher et la mener rejoindre le riche vieillard, qui aurait probablement payé une fortune pour qu'elle devienne sa propriété. Son objet... Jamais plus elle ne reverrait Salini, Dricielle, ou Karina. Jamais plus elle ne reverrait sa famille et ses amis à la ferme de Soufflechamps. Jamais plus elle ne serait libre. Esclave elle allait devenir, et esclave elle resterait.
Jamais plus elle ne reverrait Jarim...
C'était le moment. Le soldat était sur elle. Il la contourna. Eldria allait bientôt sentir des mains la détacher de son poteau. Puis elle partirait... Elle ferma les yeux, pour retenir ses larmes.
Mais rien ne se passa.
Eldria rouvrit brusquement les yeux, mais ce qu'elle vit ne la soulagea pas pour autant. À sa gauche, l'homme était en train de détacher Dricielle.
– Non ! s'écria Karina. Non, pas elle !
Le soldat ne lui prêta aucune attention. Il finit de détacher Dricielle, l'attrapa sans ménagement par le bras, et la fit remonter la file par la gauche avec lui.
– Non ! cria une nouvelle fois Karina, d'une voix dont on devinait l'émotion poindre.
Eldria était trop abasourdie pour réagir. Pourquoi Dricielle ? Pourquoi pas elle ? Dricielle n'avait pas semblé intéresser le vieil homme. Elle les regarda s'éloigner, sans comprendre. Mais contre toute attente, le soldat s'arrêta derrière une autre captive, et entreprit de la détacher elle aussi. C'était la jeune fille de dix-sept ans, l'autre candidate la plus proche. Petite et mince, elle avait de longs cheveux châtains qui lui tombaient en cascade jusqu'au bas des reins. Tout comme Dricielle, Eldria constata qu'elle s'était mise à pleurer, probablement consciente de son sort. Le soldat l'attrapa elle aussi par le bras, puis revint sur ses pas et entraîna les deux prisonnières vers la sortie de la cour.
Deux filles ? Eldria ne comprenait pas. Madame Martone n'avait parlé que d'une seule élue. Quelque chose lui avait-il échappé ? Avant de passer la porte qui l'emmenait peut-être vers une autre vie, Dricielle lança un dernier regard apeuré en direction de ses trois amies restées attachées derrière elle, impuissantes.
– Arrêtez ! lança une dernière fois Karina, les larmes aux yeux.
Mais Salini lui murmura de se taire. Elles ne pouvaient rien faire, à part peut-être empirer la situation.
Nouveau silence de mort. Trois poteaux s’élevaient désormais tristement dans le long alignement des captives.
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