Le petit garçon travaillait sans relever la tête, à peine visible sous l’ombre de l’escalier. Il avait dégagé la neige au bas des marches du perron et tentait d’agrandir l’entrée d’une cavité naturelle sertie dans le sol gelé.

Un peu plus tôt, sa mère reprochait à son père d’avoir ENCORE sorti l’une de ses collections. Ce ne sont pas des jouets ! avait-elle vitupéré. Le petit pourrait les porter à la bouche et les avaler ! Édouard, prenant conscience du danger qui menaçait son fils de trois ans, avait remballé avec soin les plats d’étain de trente-quatre millimètres et les avaient remisés dans le bas du buffet. Peer n’avait rien perdu de la scène. Christiana, afin d’enfoncer le clou, continuait ses reproches tout en surveillant la marmite où mijotait le repas. Des soldats ! On ne devrait pas laisser un petit enfant s’imprégner d’images de guerre. Elles étaient comme des démons en quête d’un corps d’ange à souiller. Tous ces soldats devraient être enterrés dans un trou assez profond pour n’en jamais ressortir. Comme tout soldat ! Et Christiana de déverser sa peur en lourdes phrases pleines d’apocalypses mortelles.

Peer n’avait pas tout saisi, hormis que ces figurines renfermaient tous les dangers du monde et que par elles le malheur allait s’abattre sur la famille. Dès que ses parents furent hors de vue, il s’empara de la boîte que son père venait de ranger, en sortit toutes les pièces qu’il stocka sous son gros pull, referma le couvercle et remit le contenant vide à sa place. Puis, il se dirigea vers la porte grande ouverte par laquelle le soleil de décembre s’invitait dans la maison. Sa mère, le voyant passer, lui cria :

— Peer, tu ne t’éloignes pas !

— Non Maman.

Après avoir enlevé deux petits cailloux, Peer réussit à insérer le grand entonnoir rouge subtilisé dans la remise.

De temps à autre, sa mère lançait :

— Peer, tu es là ?

— Oui Maman, répondait-il sans lever la tête ni cesser sa tâche importante.

Finalement, il empoigna un à un les petits soldats verts et les laissa tomber dans l’entonnoir. Quand ce fut terminé, il réfléchit et décida de briser l’entonnoir en menu morceaux à l’aide d’une grosse pierre. Il enfourna soigneusement les morceaux rouges dans la cavité et recouvrit le tout de cailloux et de terre, puis de neige tassée.