RITA

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Pour la troisième fois de la journée, Rita descendait un sac poubelle aussi lourd qu'elle. Ces fêtes de fin d'année, à son âge, l'épuisaient plus qu'elles ne l'amusaient. La ribambelle d'enfants, de petits enfants, d'amis et d'amis des amis trouvaient ses fêtes toujours aussi réussies. "Mamoune, même les crabes que tu cuisines sont fiers de finir entre tes mains" disait Julia. Depuis la mort de Marc, les préparatifs commençaient une semaine avant et le rangement se finissait aussi longtemps après. Les jours de fête étaient devenus les seuls moments ou elle voyait encore sa famille, ou elle voyait encore des êtres humains. Il y avait bien sa voisine du sixième qui passait tous les jours pour voir si elle n'avait besoin de rien avant d'aller faire ses courses mais, de quoi aurait-elle bien pu avoir besoin? Les soupes et les yaourts qui s'entassaient dans le frigo constituaient sa seule alimentation et nul besoin d'aller tous les jours en chercher, quelques packs une fois par semaine suffisaient amplement à la nourrir.

Malgré l'âge et la fatigue, ses pulsions maniaques ne l'avaient pas quittée, elle continuait à passer l'aspirateur une fois par jour dans son appartement devenu tout d'un coup trop grand. Sa formidable collection de girafes -plus de trois cent cinquante pièces, devait être dépoussiérée toutes les semaines, même celles qui trônaient au dessus du grand meuble du salon et malgré le fait qu'il faille monter sur un tabouret pour les atteindre. Rita s'imaginait souvent tombant à la renverse et agonisant pendant des heures, voire des jours, avant qu'un voisin ou la mort ne viennent la secourir.

Son quatre pièces de Versailles n'avait pas mué depuis plus de 18 ans, seuls quelques miroirs aux reflets agaçants avaient laissé leur place à autant de vieilles lampes délavées croulant sous le poids de leurs chapeaux. Elle était belle autrefois, il suffisait de montrer les vieilles photos du camping à quiconque s'aventurait dans son royaume pour se l'entendre dire. Ses belles boucles couleur Coca-Cola avait disparu au dépend d'un amas de fils délavés, ses jambes d'élégante danseuse arboraient une improbable forêt de varices et son sourire fragile d'antan n'avait plus le même effet avec son dentier un poil trop grand.

La cuisine de Rita était particulièrement petite, un vieux meuble en formica gris se cachait derrière la porte, juste en face du frigidaire, de la gazinière, la machine à laver et l'évier en marbre blanc qui s'emboîtait dans l'angle. Sous la grande fenêtre donnant sur la petite rue se trouvait une minuscule table carrée avec de longs pieds en métal auxquels s'accoudaient deux tabourets de la même fabrique. Rita finissait de laver une poire pour compléter son plateau repas quand un petit toc-toc sur la porte d'entrée la fit sursauter. Réflexe d'être humain moderne, Rita regarde la montre au dessus de la porte tout en se souvenant qu'elle ne marche plus depuis au moins deux ans. C'est seulement parce qu'elle est trop haute qu'elle n'est pas encore dans une benne à ordures quelconque. La petite montre dans le meuble marche, elle indique 20:35. En s'approchant de l'entrée, Rita entend la petite et à peine audible voix de sa voisine Mme Capis.

-"Bonsoir Rita, je remontais chez moi et j'ai vu que ta porte était ouverte, des fois que tu savais pas j'ai préféré te prévenir.

-"Bonsoir Mme Capis, bien en effet j'ai du mal fermer quand je suis remonté des poubelles, une chance que vous ayez remarqué sinon, je partais me coucher la porte ouverte.

-"Surtout que maintenant, Mme Capis passait sa tête à l'intérieur de l'appartement, moi j'ai plus confiance comme avant. Avec tout c'qu'on voit à la télé, plus moyen de dormir tranquille.

-"Ah ça! Moi j'ai trois serrures.

Les deux femmes s'étaient rapprochées et parlaient tellement bas qu'on aurait dit des enfants se racontant un secret à table.

-"Bon, c'est pas tout ça mais moi j'ai laissé mon gigot dans l'four et des fois qu'il s'échappe...

Mme Capis s'élançait déjà à l'assaut de l'escalier pour regagner ses quartiers, elle entendit à peine le "Merci et à demain" de Rita.

Elle referma la porte de ses trois serrures dans un grand souffle de soulagement avant d'attraper le plateau repas et de l'emmener dans le salon pour dîner en regardant la télévision.

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