Chapitre 1: La Solitude Derrière les Sourires
Je ne savais pas exactement quand ma mère avait cessé de me voir comme une enfant. Peut-être n'a-t-elle jamais eu ce regard de tendresse, ce regard de mère. Très tôt, j'ai compris qu'il ne fallait rien attendre : ni caresse, ni mot doux, juste des silences lourds et des exigences impossibles à satisfaire.
La maison était un champ de mines.
Chaque geste, chaque mot pouvait faire éclater une explosion. Un vêtement mal rangé, un bulletin scolaire trop médiocre, ou même un jour où ma mère se levait du mauvais pied. Les colères éclataient sans raison. La violence était aussi bien physique que psychologique.
Très tôt, j'ai dû apprendre à jouer les adultes. Je faisais tout à la maison, même les tâches ingrates comme nettoyer les escaliers de l'immeuble, ranger le cagibi de ma mère, et m'occuper de ma petite sœur, Laurie. Si tout n'était pas parfait, il y avait la colère, les mots acides, les gifles, les coups.
Un jour, à neuf ans, en rentrant de l'école, je savais déjà ce qui m'attendait.
Ma mère m'a fixé d'un regard noir.
— C'est quoi ça?
Je n'osais même pas regarder ses yeux.
Elle brandissait mon carnet de notes, le regard rempli de colère. Sans attendre de réponse, elle me gifla. La douleur fut immédiate, mais ce n'était que le début.
Elle attrapa un ceintre, le déplia d'un geste décidé.
- Tu crois que je vais te laisser devenir une incapable, toi aussi?
Les coups pleuvèrent. Je serrais les dents, répétant dans ma tête que ça finirait bien par s'arrêter. Mais ce n'étaient pas seulement les coups qui me blessaient. Les mots faisaient encore plus mal. « Tu n'es bonne à rien. » « Tu finiras comme ces filles sans avenir. » « Personne ne voudra jamais de toi. »
Ces mots, je les entendais tellement souvent qu'ils sont devenus une petite voix dans ma tête, une ombre qui ne me quittait jamais. Au fond de moi, je commençais à y croire. Mais dans un coin de mon cœur, je me battais pour ne pas me laisser engloutir par cette obscurité.
À l'école, je trouvais un peu de paix. Là, je n'étais pas la « bonne à rien ». Là, je pouvais respirer, oublier un peu la réalité de la maison. C'était mon seul espace où je me sentais un peu normale.
Les rôles à la maison étaient flous.
Julie, ma grande sœur, agissait parfois comme une mère de substitution.
C'était elle qui venait parfois me border, me murmurant des mots doux, me promettant qu'un jour tout irait mieux.
Mais Julie était trop jeune pour porter un tel fardeau. Alexandra, une autre sœur, essayait aussi d'être là, mais la situation était toujours instable. Quand elles sont parties, je me suis retrouvée seule avec ma mère et Laurie.
Laurie, la préférée. Laurie, celle qui recevait tous les câlins, tous les cadeaux, toute l'attention. Je n'en voulais pas à ma sœur. Ce n'était pas de sa faute. Mais chaque geste tendre de ma mère envers elle était comme un poignard dans mon cœur. Je savais que l'amour n'était pas distribué de manière égale à la maison. Je n'aurais jamais cette place.
À dix ans, j'étais déjà adulte. Je savais faire la cuisine, laver le linge, m'occuper de mon petit frère et de mes neveux quand ma mère partait en boîte de nuit.
La nuit, je me levais pour leur donner le biberon, pendant que ma mère, ivre, ne revenait que le matin.
Un soir, l'électricité a été coupée faute de paiement. J'étais seule avec Laurie, mon petit frère Sophiane, et mes deux jeunes neveux. La maison plongée dans l'obscurité, il n'y avait aucune lumière artificielle. La peur aurait pu me submerger, mais je n'ai pas cédé. J'ai allumé une bougie et leur ai raconté des histoires pour leur apporter un peu de réconfort.
À douze ans, j'étais plus adulte que ma propre mère. Je savais que dans ce monde, il n'y aurait jamais de place pour moi. Mais je résistais, je tenais bon, même quand tout autour de moi me disait de me laisser tomber.
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