Je regardais souvent Laurie, fascinée par la manière dont elle prenait soin de notre mère. À sept ou huit ans, elle avait cette attention naturelle pour elle : elle lui préparait son thé, se blottissait contre elle sur le canapé, et parfois, lui offrait de petits cadeaux qu’elle avait fabriqués à l’école. Moi, je restais en retrait, comme si j’étais invisible dans ce tableau familial.

Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander : Et moi, qu’ai-je fait de mal ? Pourquoi je n’ai jamais eu droit à ça ? Mais je ne détestais pas Laurie pour autant. Même à cet âge-là, je savais qu’elle n’y était pour rien. Elle était innocente, aimée pour ce qu’elle était. Ce n’est qu’en grandissant que j’ai pris conscience de l’injustice de cette situation.

À dix ans, je savais déjà ce qu’on attendait de moi : obéir, me taire, et prendre mes responsabilités. Je faisais la cuisine, rangeais l’appartement, et je m’occupais parfois de mon petit frère et même de mes neveux. Ma mère, souvent fatiguée ou absente, se contentait de passer dans notre quotidien, comme une ombre.

Un soir, alors que Laurie apportait une tasse de thé à notre mère, je faisais la vaisselle dans la cuisine. J’entendis leur échange depuis la pièce voisine. La voix de ma mère était douce, comme je ne l’avais jamais entendue avec moi.

— Merci, ma doudouce. Tu es un vrai petit ange, lui dit-elle.

Ces mots me firent un pincement au cœur. Je savais que je ne les entendrais jamais. Mais je me contentais de continuer à laver les assiettes, en fixant l’eau savonneuse, comme si je pouvais noyer ce que je ressentais à cet instant.