Amour chimérique

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Ce jour marquerait l'Histoire. Les ennemis d'autrefois célébraient la plus inattendue des unions, celle de leurs enfants. À la Cour d'Amaraï, mille et un kimonos en fleurs se pressaient à leur passage. Cris de joie et chants d'espoir accompagnaient les défilés princiers jusqu'aux portes du temple de la Bienveillante Nanami, comme autant de prières de transformer le rêve en réalité...


 À genoux devant l'autel sacré, Rahyel ne croyait pas en toutes ces fables.


 Rien ne changerait. L'avenir radieux que son mariage vendait au peuple ne viendrait pas. Du moins, pas de la manière attendue. Cette mise en scène ne servait que de façade pour des négociations plus importantes. Si un événement aussi anodin suffisait à apaiser les tensions existantes, le Conseil ne courberait pas l'échine de si mauvaise grâce devant les sommes engagées par le Roi. Une triste vérité. Il n'était qu'un pion sur l'échiquier politique.


 Surplombant le Prince, la statue de la Sirène ouvrait grand les bras. Déesse de l'Amour et de la Création, Elle lui accorda sa protection contre les fantasmes de la foule, enjolivés par la passion des poètes. Ici, il n'entendait plus que la douce sérénade de l'eau. Elle glissait le long des parois de pierres pour rejoindre le bassin des carpes koï devant lequel se tenait la Grande Prêtresse. Figure terrestre de la parole divine, elle avait revêtu les traditionnels kimono blanc et hakama bleu de cérémonie. Elle initia sans tarder le rituel de purification.


 Une vague d'impatience traversa Rahyel. Tant pour en finir avec cette mascarade que pour découvrir sa promise. Il devait se l'avouer. Pendant des semaines, il avait observé l'avancée des préparatifs d'un œil mauvais. Seul le maigre espoir de plaire à son monarque l'avait convaincu de ne pas se plaindre de l'honneur qui lui était accordé. À présent qu'il vivait l'événement, sa curiosité éclipsait ses réticences. L'inconnue avec qui il partagerait sa triste vie l'intriguait. Il ne l'avait jamais rencontrée et savoir qu'elle était assise là, en face de lui, sans qu'il ne la voit, le frustrait. Impossible de se soustraire à la tradition. Elle exigeait des fiancés qu'ils gardent la tête baissée jusqu'à l'échange des vœux.


 Alors il en fut ainsi.


 Les jeunes gens trempèrent index et majeurs dans une coupole d'eau sacrée. Le geste permit une entorse involontaire aux règles. Apparut dans son champ de vision une peau caramel. La couleur interpella Rahyel. Elle lui parut surnaturelle, tant elle contrastait avec la blancheur de la sienne. Un dur rappel qu'ils appartenaient à deux mondes distincts.


 Dans d'autres circonstances, ils ne se seraient pas choisis. Ni même croisés... ou peut-être que si. La fin de la guerre aurait été scellée de cette manière quelle qu'en soit l'issue. Tous les chemins menaient sûrement sous le toit de l'Amour. S'en rendre compte s'avéra plus difficile à digérer que de cacher son désarroi derrière son sens du devoir. Le Prince haïssait les événements qui échappaient à son contrôle. Ils brisaient bien trop de vies, à commencer par la sienne.


 Impuissant face aux volontés divines, il traça une ligne verticale de la lèvre supérieure au creux du cou, signant la fin du rite.

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