Volonté renouvelée
La tassé fumait. Elle dégageait de la chaleur. Elle réchauffait ses doigts lorsque ces derniers s’enroulaient autour de son corps. L’odeur du café se mélangeait à celle des pétuneurs, des buveurs et des accointances sexuelles. Le brouhaha bien que proche, l’entourant d’une étreinte ferme, lui semblait bien lointaine. Le stylo demeurait immobile sur le vaste champ de bois, une table arrondie et orientée vers la fenêtre donnant sur le parc fleuri. Le carnet d’écriture qu’il utilisait pour garder une trace de son intrigue, ses personnages et des lieux siégeait face à son regard perdu comme un roi ennemi se moquant de son adversaire mourant. L’atmosphère joyeuse de la taverne contrastait avec l’aura bleue de Liudvikas, un écrivain à succès.
- Monsieur Lupaskas, votre déjeuner, annonça l’un des serveurs, un kappa, coiffé d’un chapeau en haut de forme noir.
L’écrivain se hâta à débarrasser la table de ses affaires qui prenaient toute la place. Le kappa le remercia d’un mouvement de tête, déposant un plateau garni. Il inclina légèrement la tête en signe de respect. Liudvikas le remercia pour son travail, donnant un pourboire de 5 roubilles. Le serveur ramassa l’argent, souriant doucement, puis se dirigea vers une nouvelle table pour prendre une commande. Le client passa une main dans ses longs cheveux châtains, descendant au bas des fesses lorsqu’il les laissait se détacher, soupirant. Il huma l’air, laissant la joie transparaître un court instant sur son visage fatigué. Les odeurs de son déjeuner attaquaient son nez. Il saisit une cuillère. Il commença à manger, contentant son estomac qui criait famine depuis de nombreuses heures.
Liudvikas Lupaskas était le cinquième fils de la famille royale du Royaume de Terre ou appelé le Royaume de Amaimon. Il avait pris un chemin différent, comparé à celui emprunté par ses frères et sœurs, choisissant de vivre de sa passion : l’écriture. Il avait démarré sa carrière en publiant un recueil de nouvelles cependant ce dernier n’eut pas un grand succès auprès des nombreux clubs de lecture des différents royaumes. Il n’avait pas arrêté après ce premier échec. Il avait publié un recueil de poésie par la suite, attirant les âmes poétiques vers lui comme un aimant. Son temps, autrefois, avait été divisé par son éducation royale ainsi que ses activités comme le saut dans le volcan ou encore l’art et par la finalisation de son premier tome de la trilogie qui l’avait propulsé au devant de la scène internationale des écrivains. Ce succès l’avait aidé à s’éloigner de son statut de prince. Sous les feux des projecteurs, il avait écrit le deuxième tome les trois années suivantes, donnant de temps en temps des entretiens à quelques personnes, passionnées par ses livres. Durant ces années-là et les suivantes qui avaient suivi la publication de son deuxième tome, ses autres œuvres eurent droit à leurs propres succès. Son statut d’écrivain à succès lui avait permis de le faire connaître Le bourreau funeste, permettant à son nom de naissance à quasiment disparaître.
Si les soixante premières années de son succès avaient été belles, elles n’avaient pas pour autant été tranquilles Elle avaient été entrecoupées par la dépression qui l’avait saisi suite à une déception amoureuse, d’une dispute avec sa famille concernant son métier, d’une agression qui avait réveillé des souvenirs traumatiques de son enfance. Cinq années auparavant, Liudvikas avait publié le dernier livre de sa trilogie Temple funeste. Suivant cette publication, il avait commencé une nouvelle descente en enfer, tombant amoureux d’une personne qui l’aurait poussé au ravin si Amycus n’avait pas été là pour le rattraper, agonisant chaque jour, cessant d’écrire peu à peu, abandonnant à contre-coeur cette passion qui le détruisait. Liudvikas avait contemplé depuis quelques mois l’idée de tout arrêter avant que ce ne soit trop tard. Il se désolait de ne plus pouvoir finir la saga qu'il avait commencé à écrire durant son enfance et son adolescence, ne laissant que son meilleur ami la lire.S’il n’arrêtait pas d’écrire, survivrait-il à la pression pesant sur ses épaules ? Sa passion le dévorait littéralement, le poussant à ses retranchements, demandant à ce qu’il se plie aux demandes.
- Excusez-moi ! appela une voix féminine le sortant de son tumultueux passé.
Liudvikas leva son regard vers son interlocutrice, une inconnue aux courts cheveux blonds ornés de deux couettes, tenant entre ses bras un grimoire qui lui semblait familier. Un sourire poli se dessina sur son visage hâve ayant pour unique but de mettre à l’aise la personne.
- Que puis-je pour vous, mademoiselle ? questionna poliment le démon, observant les mouvements de la jeune qui n’était pas encore en âge d’être considérée comme une adulte.
- Seriez-vous véritablement Le bourreau funeste, prince Liudvikas ? demanda dans un langage soutenu l’inconnue, se mordant nerveusement la lèvre inférieure.
Liudvikas n’avait jamais été reconnu auparavant. Il avait fuit la lumière des projecteurs comme la peste. Il appréciait le fait que la jeune femme ait gardé une voix basse. Il ne souhaitait pas que son séjour soit gâché par les autres clients. La taverne qui l’hébergeait lui avait assuré que son identité resterait un secret.
- En effet, répondit-il d’un ton neutre, invitant d’une main l’inconnue à s’asseoir en face de lui.
Du coin de l'œil, il aperçut la sécurité engagée par ses soins, conformément au protocole royal, se positionnait aux différentes sorties.
- Je m’appelle Morana, quatrième enfant et deuxième fille des Fraskas, appartenant à court de Azazel, altesse. Je suis honorée de finalement vous rencontrer !
Fraskas. C’était l’une des plus importantes familles du Royaume de Azazel, elle occupait le marché des sculptures et des jouets pour enfant. Son éducation sur l’économie du monde revenait au galop, l’envahissant d’informations.
- Je n’aurais jamais cru qu’une Fraskas soit intéressée par la littérature, déclara Liudvikas, ornant ses lèvres d’un sourire amusé.
- J’écris, je lis beaucoup et je participe aux ateliers sur l’écriture et la littérature. Ma famille ne s’intéresse pas à ça. Elle pense que je perds mon temps, murmura Morana d’un ton triste, reflétant les émotions du plus vieux sans le savoir.
- Navré d’entendre ça.
Cela lui rappelait sa propre famille.
- Vous êtes mon héros, révéla brusquement Morana, les yeux brillants, je sais que vous considérez de quitter l’écriture pour de bon…
- J’ai décidé de cesser d’écrire, coupa le prince d’un ton sec, posant abruptement son verre de jus d’orange.
- Vous n’avez pas envie d’arrêter d’écrire, accusa Morana, se mordant une nouvelle fois la lèvre inférieure.
Tic de nervosité ? songea Liudvikas, ennuyé par la présence de cette lectrice.
- Vous ne savez peut-être pas comment vous apparaissez à nous, lecteurs. J’ai lu toutes vos œuvres, plusieurs fois, me délectant à chaque fois de votre plume poétique, terrifiante et rafraîchissante. Votre bien être, votre vécu, vos émotions, toutes parts de vous, transcendent dans vos livres. Vous êtes une force qui brise les attentes et ramasse à la petite cuillère les nouveaux lecteurs !
Le bourreau funeste ne sût pas répondre à ces mots. Son cœur était en miette depuis sa dernière rupture amoureuse - il avait décidé de faire une croix sur l’amour. Il était touché par les mots de la jeune fille.
- Je suis touché par vos mots mais…
- Mes excuses de vous couper aussi impoliment, altesse, mais je pense que vous avez besoin d’entendre cela : Il est limpide à mes yeux que l’écriture est votre passion, que vous avez encore tant de choses à nous faire partager. Ce que vous vivez - et je ne connais rien de ce qui vous arrive, pas d’inquiétude à ce sujet ! - n’a pas à vous séparer de ce que vous aimez faire le plus. Pourriez-vous continuer à vivre sans écrire ? Je pense que vous nous avez pas livré la prunelle de vos yeux, mon prince !
Elle cessa net de parler. Ses joues rougirent brusquement, réalisant quel ton elle avait utilisé lors de son discours. Liudvikas ne prononça aucun mot, fixant Morana complètement sous le choc. Certes, ce n’était pas la première qu’on lui parlait de cette manière.
- Vous ne le savez pas mais vous n’avez jamais cessé de me motiver avec vos œuvres planétaires ! Sortez-vous les doigts…
Morana couvrit sa bouche, rouge comme une pivoine. Elle se sentit immédiatement honteuse de s’être emportée contre le prince. Elle inclina profondément la tête en signe d’excuses.
- Je vous présente mes plus sincères excuses pour mes propos déplacés…
- Non, vous avez raison. Excusez-moi, mademoiselle Fraskas, merci pour vos mots.
Le démon se leva précipitamment. Liudvikas quitta la pièce, ne prêtant aucune attention à ses gardes ni à Morana qui paraissait toute déboussolée au départ soudain du prince.
-
- Tu es difficile à trouver, ‘vikas, souffla son meilleur ami en pénétrant sa chambre, un sourire crispé sur son visage.
Liudvikas demeura silencieux, fixant la lune qui brillait dans le vaste ciel. Amycus s’avança vers son ami, sentant le désespoir qui habitait son ami, la tristesse qui le hantait, l’agonie qui l’achevait.
- Était-ce nécessaire d’envoyer une telle lettre au Roi et à la Reine, tes parents ? Ils ont ordonné à tes aînés de te trouver et te ramener illico-presto au palais.
- Qu’est-ce que ça peut bien me faire ? fit Liudvikas d’une voix enrouée.
- Tu ne peux plus continuer sur ce chemin autodestructeur ! tonna ton meilleur ami, remerciant silencieusement les protections qui gardaient le son entre ces quatre murs.
- J’arrête déjà l'écrit…
- Non, ce n’est pas de ça que je veux parler ! coupa Amycus posant une main sur son épaule droite. Tu as un terrible comportement à cause de la dernière salope qui a ruiné le bonheur que tu vas regagner ! Tu abandonnes l’écriture parce que tu n’es pas assez fort pour aller au-delà de ton vécu ! Tu n’abandonnes pas seulement une passion mais également ton rêve ! Ce rêve où tu passais tes journées à me parler de cette œuvre que tu gardes encore secrètement, de ces poèmes que tu écrivais discrètement lors de tes leçons de langue ! Tu es allé là où je n’aurais jamais pu aller avec ma mère dans mon dos me parlant constamment de rejoindre la garde royale ! Tu n’es plus le prince que tu étais auparavant, tu n’es plus l’auteur que tu étais ! Tu es ni l’un ni l’autre ! Tu es la personne la plus importante pour moi, jamais je ne te laisserai tomber et tu le sais ! Si tu arrêtes l’écriture, jamais plus ta vie sera la même ! Tu souffriras encore plus car l’écriture est et demeurera toujours ton échappatoire ! Tu n’es plus le prince que j’ai appris à connaître, tu n’es plus l’auteur à succès que j’ai appris à supporter dans ses épreuves, tu es qu’une coquille vide !
Amycus cessa de parler, reprenant son souffle et observant soigneusement les réactions de son ami à travers le miroir. Tel une ombre, il l’avait soutenu à travers les épreuves et l’avait accompagné au sommet.
- Liudvikas, tu as assez fuis le passé. Le bourreau funeste fait partie de toi, tu ne peux pas le détruire du jour au lendemain. Abandonner cette flamme qui brûle en toi serait de tuer une partie de toi. Je… (Il hésita à ce moment-là, se demandant s’il allait trop loin)
- Merci Amycus, interrompit d’un air absent le prince, peux-tu me laisser seul ? Demain, nous parlerons.
Amycus ferma sa bouche. Il fronça les sourcils cependant il obéit à l’ordre caché. Peut-être que le prince n’était pas encore mort..Liudvikas tomba à genoux le moment où son meilleur ami quitta les lieux. Il ne voulait pas arrêter l’écriture, cette passion dévorante qui le gardait en vie, qui lui servait comme arme face à ceux qui pensaient qu’il n’était qu’un incapable. S’il l’arrêtait, survivrait-il ? Des larmes coulaient doucement sur ses joues, reflétant l’état émotionnel dans lequel il était depuis plusieurs mois. Pouvait-il véritablement abandonner son seul rêve ? Il ouvrit la bouche. Aucun mot ne sortit. Seul le cri agonisant jaillit. Il puisa dans son passé, ses émotions et son désespoir.
Si j’abandonne maintenant… Est-ce que je pourrais vivre comme si de rien n’était ? Suis-je capable de revenir à l’époque d’autrefois ? Serais-je capable de devenir la personne que tout le monde veut que je sois ? Je ne peux plus fuir comme je le faisais auparavant… Ce livre… Cette saga… me hante, ne quémande à ce qu’elle soit révélée, publiée… Je ne peux pas le faire… Suis-je capable d’aller de l’avant ? Quant est-il de mon rêve de gamin ?
Des souvenirs enfantins envahissaient son esprit, repoussant la négativité, amenant le bonheur et la nostalgie. Il se revoyait lisant avidement les œuvres de célèbres auteurs chaque soir avant d'aller se coucher et en cachette lors des évènements sociaux que ses parents animaient. Liudvikas avait toujours voulu rendre ses parents fiers dans le domaine qu’il excellait comme ses frères et sœurs.
Non ! surgit une pensée pleine d’espoir et de détermination. Je ne peux pas abandonner maintenant ! Si je le fais, ils gagneront ! Ressaisis toi, Liudvikas ! Je vais leur montrer à tous ces enquiquineurs, à tous ces sans cervelle, à ces bons à rien qui passent leur temps à critiquer ! Je deviendrais le premier prince-écrivain de l’histoire !Mû par un nouvel espoir, porté par Morana et Amycus, le prince s’installa à son bureau sortant son carnet de notes ainsi que son manuscrit. À la lumière des bougies, il reprit son travail, retrouvant le plaisir d’écrire. Les minutes passèrent rapidement, se transformant en heures. Le bourreau funeste se concentra le reste de la nuit sur sa première œuvre. Aux premières lueurs du jour, il se força à quitter sa chambre pour reprendre ses bonnes habitudes. Lors de son petit-déjeuner, il apprit que Amycus avait été appelé par la capitale. Tel un soldat s’avançant vers le champ de bataille, Liudvikas décida d’écourter son séjour pour retourner dans son royaume, affronter le passé et d’amorcer la venue prochaine de La carte étoilée.
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