3. Mercredi
Je plie soigneusement l’emballage de mon sandwich, avale une gorgée d’eau à même la bouteille, puis entame le croissant. C’est mon petit rituel quotidien que bien heureusement, l’homme d’hier n’est pas revenu perturber.
J’ai pas mal cogité à son sujet, j’ai même rêvé de lui. Je suis directeur artistique — aujourd’hui, on ne dit plus publicitaire —, alors forcément, son histoire m’a touchée. J’aimerais assez ne jamais le recroiser.
Pendant que je me délecte de la délicieuse viennoiserie, je regarde le tableau qui s’anime sur le banc d’en face. Une jeune femme a les yeux rivés sur son téléphone portable, tandis qu’à son côté un petit garçon joue sagement à la balle. Le contraste entre ces deux générations et leurs activités m’interpelle, mais ce qui me touche davantage, c’est l’impression de me revoir dans ce gosse : short rouge, jambes de serins et sous-pull froissé, cheveux blonds en bataille au-dessus d’un visage trop sérieux, les joues creusées par d’insondables fossettes. Un cliché tout droit sorti d’un album de ma mère. C’en est terriblement frappant.
Il pourrait être moi.
S’il était vraiment moi, je pourrais lui raconter ses trente prochaines années. Il serait ainsi prévenu de son avenir, de ses échecs et de ses peines. D’un autre côté, cet enfant ne connaîtrait aucune surprise ; il avancerait avec amertume, attaché au fil d’un destin tout tracé.
Je n’aurais pas voulu que l’on m’inflige cela, alors dans le doute, je préfère m’abstenir ; que ce petit-moi écrive sa propre histoire.
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