6. Samedi
Ma femme arbore son sourire le plus moqueur alors que je décroche le téléphone, en ce samedi matin, pour appeler la Direction des espaces verts et de l’environnement. Elle m’a déjà suggéré de simplement rester déjeuner à la cantine de l’entreprise, ou d’aller au restaurant avec mes collègues — et ainsi, enfin, tisser quelques liens sociaux avec eux. Au pire (au mieux selon moi), elle m’a invité à trouver un autre jardin. Mais c’est ce jardin, avec son avenue gravillonnée, ses bancs et ses marronniers, qui me plaît.
Ma femme dit que je suis toqué, et je ne crois pas que cela soit un petit pique masquant une tendre compréhension. Je pense qu’elle est persuadée de s’être mariée avec un type pétri de troubles obsessionnels compulsifs. Parce que je vérifie que tout est bien fermé dans l’appartement — fenêtres, four et frigo, porte d’entrée — avant de partir travailler. Parce que je fais réviser la voiture tous les trois mois. Parce que je mange tous les midis depuis trois ans le même menu, dans le même parc, inlassablement.
Peut-être a-t-elle raison. Et alors ? C’est comme ça, c’est tout.
Dans le combiné du téléphone tourne en boucle la reprise au saxophone d’une chanson de Daniel Balavoine. Ma femme me dit d’abandonner. Pourtant, elle me connaît, elle sait que je réessayerai dans une heure, s’il le faut encore l’heure d’après, et ainsi de suite, jusqu’à ce que je tombe sur quelqu’un qui m’expliquera pourquoi ma parenthèse est fermée.
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