8. Lundi
Impossible de ne pas voir cette silhouette, immense et large, engoncée dans sa parka orange fluo. Elle passe dans la rue alors que je pousse la porte en verre du hall d’accueil de l’immeuble, et comme nous allons dans la même direction, je lui emboîte le pas. Je dis elle — la silhouette, mais il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un homme ; carrure de déménageur, de catcheur, de barbare en peau de bête ; une montagne sur deux échasses, un sacré morceau. Les mains dans les poches, son gros cou enfoncé dans ses larges épaules, il marche d’un pas déterminé. Je décide de le prendre en filature, trottinant presque pour ne pas me laisser distancer.
Avec une stupéfaction qui me secoue l’estomac, je le vois entrer dans ma boulangerie. En chancelant, je me glisse à sa suite. Tout à côté de lui, dans la file, j’ai l’air d’un chaton galeux plongé dans l’eau, d’un chihuahua sur le dos d’un mastiff.
Je ne sais pas qui est ce type ni ce qu’il fiche ici ; je ne l’avais jamais vu auparavant, c’est un fait certain. Lorsque d’un doigt, aussi épais que mon avant-bras, il désigne au vendeur un sandwich jambon, fromage et crudités, puis un croissant aux amandes, c’est comme si mon cerveau devenait un pot de crème glacée. Mes poils se hérissent, ma respiration s’accélère. J’ai l’impression que mes pâtes au gruyère d’hier, bien que mille fois digérées, forment dans mon ventre une boule de flipper.
Le géant au blouson orange quitte la boulangerie ; dominant avec peine mes tremblements, je regarde ma montre.
À demain, Everest.
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