9. Mardi
Everest est pile à l’heure. Moi, j’ai pris un peu d’avance ; mon déjeuner pendouille déjà dans le sac plastique, au bout de mon bras. Je guette, invisible derrière un platane, à quelques pas du commerce.
Même parka fluorescente, même bonnet noir enfoncé jusqu'aux yeux, même démarche de butor en route pour massacrer la Terre entière. Alors qu’il pousse la porte de la boulangerie, j’aperçois son visage, lisse et dur comme une tombe en pierre. Une physionomie à la fois ordinaire et remarquable, comme installée depuis toujours dans l’inconscient collectif ; l’archétype du gros bras silencieux, mais terrifiant, du géant paisible qu’il vaut mieux ne pas énerver.
Il sort de la boutique et je lui emboîte le pas, à une distance raisonnable. Je trouve particulièrement ridicule de trottiner ainsi dans la rue, de suivre un inconnu qui pourrait me briser la nuque avec seulement deux doigts, mais quelque chose me contraint à le faire quand même. Curiosité, nouvelle obsession. Je veux savoir qui est ce type, pourquoi il est entré dans ma vie alors que celle-ci, après trois années de routine familière, a décidé de s’emballer. Dimanche, j’estimais que c’était trop, mais visiblement ce n’est pas assez. Alors, quitte à côtoyer l’angoisse, autant le faire à fond, non ? En revanche, ce sera petit à petit ; je ne reculerai devant aucune tribulation, mais je souhaite les affronter une à la fois.
Après une centaine de mètres à le suivre au pas de charge, je le vois s’enfoncer dans le métro.
À demain, Everest.
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