Voir un spécimen comme Everest prendre le métro, c’est comme contempler un grizzli avec la patte coincée dans une maison de poupée. Il se tient au milieu du wagon, la tête baissée et le menton enfoncé dans son col, une pogne agrippée à une barre verticale — on a plutôt l’impression que la barre s’agrippe à lui, son déjeuner dans l’autre. La rame bouge autour de lui. Les passagers de ce train sont des brins d’herbe, soufflés par le vent, aux côtés d’un grand chêne.

Assis sur un strapontin, je lui jette des coups d’œil réguliers ; possible que ce soit également ainsi que je reluque les jolies filles. Secoué comme tout le monde — sauf Everest —, je réfléchis à ce qu’un pareil énergumène pourrait bien faire dans la vie. Policier actif pour le compte de la DGSI ou agent du FSB — peut-être les deux à la fois ; vigile dans un laboratoire de haute technologie hypersecret ; garde du corps d’un homme d’affaires milliardaire et influent ; plus simplement un sportif professionnel — lanceur de poids, champion d’arts martiaux mixtes ; ancien bûcheron canadien reconverti dans l’équarrissage de bœufs japonais ; déménageur spécialisé dans le transport d’armoires normandes.

À la station Anvers, Everest descend sur le quai, allégeant considérablement la rame qui tangue et me sort de mes pensées. J’ai tout juste le réflexe de m’en extirper avant que les portes ne se referment.

Pas le temps de poursuivre ma filature. Pour en savoir davantage, je vais devoir m’organiser.

À demain, Everest.