11. Jeudi
J’ai pris mon après-midi. Le prix de cette absence est élevé — rattrapage des heures perdues, courbettes à ce salaud de la Dircom, mais l’on paye souvent cher ses idées fixes. Je n’ai rien dit à ma femme, évidemment.
Sur la rue de Dunkerque, Everest s’arrête devant une porte cochère aux vantaux richement décorés, surmontés d’une imposte cintrée munie d’une petite fenêtre.
Il compose sur le digicode. J’inspire profondément, rassemble mon courage et accélère afin de me glisser après lui. J’ai juste le temps d’amortir le lourd battant avant que celui-ci ne se referme, et pénètre dans l’entrée de l’immeuble. Le géant est immobile, à deux mètres à peine, tourné vers moi.
— Bonjour, me dit-il d’une voix étrangement fluette.
— Bon… bonjour.
— Tu habites ici ? Je ne t’ai jamais vu.
Je déglutis. Dans ma poitrine, c’est comme si un doigt glacé était sur le point de lancer la lecture du magnétoscope de ma vie.
— Non, je viens voir quelqu’un.
— Ah oui ?
— Heu…
Je sens ses yeux me détailler des pieds à la tête et s’arrêter au bout de la main qui tient mon propre déjeuner.
— Ah ! dit-il avec un grand sourire, et je remarque alors que dans sa bouche trônent d’impressionnantes dents du bonheur. Toi aussi tu vas dans cette boulangerie ? Ils font les meilleurs sandwichs jambon, fromage et crudités du monde !
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