12. Jeudi encore
La scène est particulière. Dans l’entrée fraîche d’un immeuble cossu, deux inconnus vantent les qualités d’un mets composé de deux tranches de pain traditionnel, entre lesquelles un artisan a déposé avec soin viande de porc finement rationné, pâte cuite d’appellation d’origine contrôlée et légumes crus.
— Je fais un détour exprès, et après je me dépêche de rentrer chez-moi pour le déguster. Je fais ça tous les jours.
— C’est drôle que nous ne nous soyons jamais croisés, dis-je avec mon air le plus innocent.
— Tu en es sûr ?
Je préfère me contenter de hausser les épaules. Je ne sais pas où va cette curieuse conversation, à la fois rassurante et décevante. Au fond de moi, la sensation de danger qui alimentait cette entreprise rocambolesque a été soufflée par une bouche aux incisives écartées. Me voyant silencieux, Everest reprend :
— Je parle, je parle, mais tu es attendu. À qui rends-tu visite ? Je connais tout le monde dans l’immeuble.
Je regarde autour de moi, à la recherche d’une échappatoire.
— Je crois que je me suis trompé de numéro (je soupire d’un geste que j’espère parfaitement théâtral). Ces portes cochères se ressemblent toutes…
Le géant — même si, à présent, il ne paraît plus aussi effrayant, il n’en reste pas moins imposant — se dandine un instant, comme s’il avait soudain une envie pressante.
— Ça te dirait de… venir manger ton sandwich à la maison ?
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