Everest me fait entrer dans un studio aux proportions ridicules ; l’ours n’a pas seulement la patte coincée dans une maison de poupée, mais son histoire entière. Une pièce au plancher bancal, aux murs nus d’une couleur indéterminée. Une kitchenette qui, pour parfaire le tableau, ressemble fort à une dînette pour enfants. Sous l’unique fenêtre, un convertible accuse un creux impressionnant en son milieu, face à une petite table en formica rouge.

— Désolé, c’est un peu le bazar, dit Everest en retirant son bonnet, révélant une tignasse mutine.

Je n’ai jamais vu un appartement aussi vide.

— Tu habites ici depuis longtemps ?

— Depuis toujours, j’ai l’impression.

Il s’assied dans son clic-clac qui proteste, et tend son bras — qui semble mesurer la moitié du logement — vers une chaise, en formica rouge elle aussi. Je m’y installe et déballe mon déjeuner.

— D’ordinaire, je mange le midi sur le banc d’un jardin public, près de mon lieu de travail. Je fais ça depuis trois ans. Mais depuis la semaine dernière, ce jardin est fermé.

— Tous les chardins chont fermés, répond Everest, la bouche déjà pleine, son casse-croûte minuscule entre les pognes.

— Comment tu le chais ?

— Parchque je chuis chardinier. Achent d’entetien, comme ils digent.

Je termine de mastiquer puis déglutis.

— Ça, c’est extraordinaire ! Cela fait cinq jours que j’essaie de savoir le pourquoi de cette fermeture ! Vas-tu me le dire ?

Everest avale à son tour.

— Si je te le révèle, tu le gardes pour toi ?