Everest entrouvre les vantaux de la cabane donnant sur l’espace vert, et je pose un pied sur ses gravillons pour la première fois depuis deux semaines. La mélodie des petits cailloux écrasés sous ma semelle m’arrache un sourire. Sous le halo ténu des lumières de la ville, alors qu’un vent léger brasse mollement les branches des marronniers, j’avance avec prudence et délectation. Sur le sentier, je me sens en Terra Incognita, comme Christophe Colomb le 12 octobre 1492, comme Neil Armstrong le 21 juillet 1969, mais lorsqu’il se jette au détour d’un bosquet dans l’allée principale, c’est comme si j’étais de retour chez-moi.

Mon jardin.

Avant de me laisser sortir, Everest m’a dit : « Surtout, s’il arrive quelque chose de bizarre, n’importe quoi, tu reviens tout de suite. J’ai entendu que certains étaient devenus fous ».

Très honnêtement, je doute qu’un endroit puisse me rendre moins insensé qu’ici. Même à la maison — j’ai un peu honte de l’avouer, j’ai parfois l’impression de ne pas être tout à fait moi-même. Il faut dire que j’ai fait vœu de consommation raisonnable ; ma vie entière tient dans deux tiroirs et sur un cintre du placard à vêtements, le dessus de ma table de nuit, et lutte pour faire sa place sur une colonne de la bibliothèque dans le salon.

Après avoir flâné le plus lentement possible au milieu de l’allée principale, je m’installe enfin sur un banc. Aussitôt, mes fesses épousent son assise comme si elles retrouvaient une vieille amie.

Mon jardin, ma parenthèse.