20. Prescredi
— Le plus dur, voyez-vous, c’est l’oubli.
Je sursaute et tourne la tête. Le miséreux publicitaire me regarde avec insistance, assis sur le même banc. Je le fixe également, les mains posées sur mes cuisses.
— Ce n’est pas ce que vous avez dit l’autre jour.
— L’autre jour, c’était l’autre jour.
L’homme lève les yeux vers le ciel, où la Lune vient de percer les nuages. Des ombres dansent sur son profil au contour incertain.
— Comment êtes-vous entré ?
— Dans ce jardin ? C’était il y a bien longtemps et depuis, je suis ici chez moi. Connecté à chaque arbre, chaque taillis, chaque brin d’herbe. Leurs racines ancrées dans la terre sont une extension de moi-même ; les insectes grouillent entre mes doigts. C’est une sensation très agréable.
Tandis que je l’écoute, certain que chaque mot qu’il prononce est important, je ne parviens pas à détacher mon regard des lignes familières qui dessinent son visage.
— J’ai peu de bons souvenirs du dehors, continue-t-il après un grand soupir. Le murmure qui rôde derrière les grilles me remémore à quel point je suis fragile et comme à l’époque, je me méfiais de tout. Pourtant, je n’ai pas vu venir les mauvais jours. C’est arrivé comme ça, c’est tout. Depuis, cet endroit me rappelle que j’existe et agit comme…
— Une parenthèse ?
L’homme se lève et s’étire longuement. Je suis certain d’entendre ses os craquer.
— Pour ma part, cela fait un bail que la parenthèse s’est refermée.
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