L'Orage

4 minutes de lecture

Lorsque vient la pluie, des étrangers s'engouffrent chez moi. Ils passent à travers les bardeaux usés du toit, sous la vieille porte de bois, parfois même à travers les fenêtres rongées par les mites. Leurs visites se font de plus en plus rares. Cela fait plusieurs mois qu'il n'a pas plu la moindre goutte d'eau, la verdure s'assèche et la terre devient poussière.

Auparavant, ils venaient presque toutes les semaines, chaque fois que la pluie cascadait des cumulonimbus ou autres nuages à averse. Leur première visite eut lieu un soir d'orage, en plein été. Le vent fouettait les arbres d'un millier de gouttelettes au rythme du tonnerre. Je me souviens avoir entendu l'eau ruisseler à l'étage, puis les poils de Toru, lové sur moi, s'étaient brusquement hérissés. Il bondit à terre, cracha en direction d'un danger invisible, avant de filer dans l'obscurité, entrecoupée d'éclairs de lumière vive. Je me levai à mon tour, pris une bassine et me dirigeai vers l'étage.

Un filet d'eau claire dévalait les marches pour former une énorme flaque aux pieds des escaliers. Des bruits résonnaient à travers le plancher. Une multitude de pas lourds et secs, semblables au son de sabots fracassant le bois. Je crus à des chevaux au galop, ou une harde de rennes plus haut dans la montagne, et attribuai la proximité du vacarme à mon imagination trop fertile. Peut-être n'était-ce que la pluie battant sur les vitres trop fines, ou la foudre ravageant la forêt de pins.

Bassine à la main, j'enjambai la flaque et montai les escaliers. L'eau s'écoulait du plafond, et venait atterrir sur le sol avec délicatesse pour former un petit ruisseau à l'itinéraire bien défini. Pas une seule goutte ne venait sortir de son lit, pas une éclaboussure. Je posai la bassine sous la fuite lorsque le bruit des sabots reprit de plus belle, emplissant tout l'espace. La foudre s'était tue. La berceuse d'une pluie fine peinait à se faire entendre, étouffée par le galopement éperdu de chevaux ou de rennes.

La sensation d'une présence se fraya un chemin dans mon esprit. Mais avant même qu'elle s'y ancre solidement, un filet d'eau attira mon attention. La bassine débordait, laissant s'échapper un flot transparent qui regagnait le petit ruisseau déjà formé, comme mu par une volonté propre.

Je m'étonnai qu'un débit aussi faible ait pu remplir le récipient à une telle vitesse. Peut-être ma rêverie avait-elle duré plus longtemps que je ne le croyais.

Je saisis la bassine à deux mains et entrepris de la vider dans la baignoire, non sans marquer mon passage de miroirs liquides aux formes irrégulières. Mais lorsque je la retournai au-dessus de la cuve en fonte émaillée, l'eau ne daigna pas se déverser. Elle restait bien blottie dans la bassine, ondulant au gré de mes mouvements sans se soumettre aux lois de la gravité. Je compris alors qu'il ne pouvait s'agir que d'un rêve. Tout ceci me laissait pourtant un goût d'étrange réalité, bien éloigné de la saveur éthérée des songes.

Abandonnant la bassine et son eau récalcitrante, je ne me rendis pas tout de suite compte que les flaques s'étaient muées en de minces filets d'eau. Ces derniers ondulaient sur le sol pour se diriger vers les escaliers, comme une chose organique, presque vivante. Ils venaient grossir le ruisseau, et atterrir dans la flaque au rez-de-chaussée, désormais une véritable mare. Mare à l'aspect singulier, de par sa constitution parfaitement circulaire, comme contenue dans un bassin invisible.

Hypnotisé par ce phénomène envoûtant, je mis quelques instants à m'apercevoir que des litres et des litres d'eau continuaient de s'écouler du plafond. Quand bien même la pluie semblait avoir cessé, le liquide sorti de nulle part poursuivait sa route en direction de la flaque.

Les choses prirent alors une tournure encore plus fantastique, dépassant toutes les déconcertantes manifestations physiques qui avaient eu lieu jusqu'alors. La mare avait cessé de s'étendre en surface pour commencer à s'élever en hauteur, formant peu à peu une sphère d'eau, prisonnière d'une cuve imperceptible à mes yeux. Durant cet inconcevable processus, le chalet n'avait cessé de trembler sous les sabots d'un millier d'équidés ou de cervidés, rebondissant sur les murs, le sol et le plafond.

J'étais paralysé par un mélange d'effroi et d'excitation, incapable de détourner le regard de ce qui me semblait n'être qu'un mirage. La sphère d'eau atteignit bientôt près de trois mètres de diamètre avant de stopper son expansion au-dessus du sol. Puis, comme sculptée par des mains habiles, elle prit peu à peu la forme d'un animal mystérieux.

Je reconnus cependant d'immenses bois, plus proches de ceux d'un mégacéros que de ceux d'un cerf ou d'un renne. De fines hélices d'eau, me rappelant la forme de brins d'ADN, reliaient les différents membres au tronc de la créature. Malgré son apparence incongrue, je lui trouvais un je ne sais quoi de singulièrement humain.

Mais avant que la chose ne soit complètement formée, un rayon de soleil perça à travers la fenêtre, et dans un râle semblable à une expiration, l'hybride d'eau disparu dans un nuage de vapeur, me laissant à nouveau seul avec moi-même.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Chloé T. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0