8. Le Mont Noir
Loup s'éveilla en sursaut un goût de mort dans la bouche. Leur fuite leur avait laissé peu de temps pour le repos. Les quelques heures d'un sommeil agité furent impuissantes à soulager les évènements tragiques de la veille. La douleur et la peine s'étaient installées sur leurs épaules et alourdissaient leurs corps et leurs esprits. Les deux rescapés avaient trouvé refuge dans une vieille cabane de chasseur abandonnée à l’orée, au nord de la forêt des larmes.
Arcis dormait encore. Loup posa une main sur les cheveux de son fils. Son regard se fixa sur les ruisselets de larmes à peine asséchées qui sinuaient sur les joues de son enfant.
Son coeur se serra mais il emmura son chagrin.
Pas maintenant.
Il fallait qu’il lui trouve un véritable abri et un seul lieu lui venait à l’esprit.
Le Mont Noir.
Loup caressa la joue d'Arcis aussi tendrement que le faisait Dwenn. L'enfant ouvrit les yeux sur un nouveau monde. Un monde sombre et désespéré, qu'il n'aurait pas dû découvrir aussi tôt.
— On part Arcis. Nous avons beaucoup de route.
Sans un mot, l’enfant se leva et après un petit déjeuner frugal fait de baies rouges acides, il prépara son sac.
Le ciel était encore noir de nuit mais on devinait les nuages bouffis de pluie qui martèlerait la terre plus tard dans la journée. Les monts se dressaient devant eux, sombres et menaçants. Pendant plusieurs heures, les deux voyageurs arpentèrent les petits chemins qui serpentaient entre les collines de Gravisse. Loup connaissait bien les environs. Les arbres y étaient aussi rares que les animaux. De nombreux rochers étaient plantés dans la terre comme s'ils étaient tombés du ciel. Un paysage où la mélancolie suintait du sol et s'insinuait dans votre esprit; l'endroit était peu propice à l’allégresse. Arcis était muet depuis la mort de sa soeur et de sa mère, les mots pesaient encore trop lourds pour qu'ils puissent les prononcer.
A l'heure de midi, ils s'arrêtèrent quelques minutes pour manger un repas, sans saveur, à l’abri d’un gros rocher. Loup leva les yeux. Le Mont Noir était visible, cerné de brume, son sommet jaillissait vers le ciel à la recherche de la lumière. Des siècles de légendes lugubres avaient fini de faire de ce lieu un endroit maudit. Mais Loup savait ce que cachait cette montagne, et cela n'avait rien de maléfique.
Le chemin se fit de plus en plus tortueux et la végétation plus dense. Au détour d'une colline, ils firent face, dans une petite vallée, à un bosquet de dizaines d'arbres gigantesques. Une bruine glacée commençait à fouetter leurs visages déjà rougis par le froid du crépuscule. La nuit baissait son rideau. Fourbus, ils décidèrent de camper à l'ombre de ces sentinelles de bois. Leurs branches, comme des bras, et leur feuillage, dense et persistant même l’hiver, leur offriraient une protection naturelle. Loup les reconnut.
— Ce sont des arbres de Gravisse Arcis.
Devant le regard interrogateur de son fils, Loup lui expliqua.
— Certains anciens, même s'ils n’étaient pas tous d’accord, racontaient qu’ils furent les premiers habitants des royaumes de Milsden, ils parlaient et marchaient comme nous. Ils vivaient dans d’immenses cités de terre dont les vestiges étaient devenus les collines où nous sommes. Apparemment ils avaient cohabité un temps avec les premiers hommes et s'étaient enracinés pour je ne sais quelle raison. C'est très rare d'en voir encore. D'ailleurs c'est étrange, je ne me souviens pas qu'il y en ait eu par ici.
Ils s'installèrent au milieu du bosquet. Loup alluma un feu, la chaleur les apaisa. Assis sur son sac, Arcis fixait les flammes. Il sursauta quand la main de son père se posa sur son épaule.
— Fiston, je vais chercher le souper.
Quelques minutes plus tard le chasseur revint avec un lièvre famélique. Son fils pencha la tête en grimaçant.
— Je sais, je sais mais c'est tout ce que j'ai pu trouver.
Il le dépeça et le mit à cuire sur l'âtre brûlant. Ils mangèrent sans mots dire.
Après le repas, père et fils s'étaient allongés, la lumière du feu, vacillante, allongeait les ombres des longues branches.
—Tu entends?
De légers murmures dans une langue inconnue flottaient au dessus d'eux. Arcis se tourna vers lui.
— Ce sont les arbres. On dit qu'à la nuit tombée, ils racontent leur histoire dans les vents. Beaucoup ont été abattus il y a des centaines d'années. Leur bois est plus dur que le plus dur des aciers. Des armes devenus des légendes ont été construites dans leur écorce. Mais plus personne ne sait comment le forger aujourd'hui. Encore un savoir perdu.
Il regarda son enfant, il s'était endormi, bercé par les chuchotements sylvestres. Loup ne parvint pas à dormir immédiatement. Dwenn et Tili flottait dans ses pensées. Il ferma son esprit à leurs images. Il devait être concentré. Le chagrin attendrait. Il finit par se laisser aller aux murmures des histoires ondoyant dans le vent. Il lui sembla, un instant, comprendre quelques mots et s'endormit.
Le lendemain ressembla au jour d'avant. Pluvieux, morose et silencieux. Les arbres de Gravisse s'étaient tus et seuls quelques oiseaux égarés brisaient de temps à autre le silence pesant. En début d'après-midi, ils étaient au pied du Mont Noir. Ils ne voyaient pas à un mètre. Une brume épaisse et froide, obscurcissait les lieux. Arcis frissonna.
— Ne t'inquiète pas. Loup mit sa main sur l'épaule de son fils. Je connais bien cet endroit, tu n'as rien à craindre.
Enfin je crois.
Il laissa sa main sur la garde de son épée. Il siffla. Effrayé un oiseau s'envola. Loup scrutait le brouillard
Il siffla à nouveau et soudain le brouillard sembla se dissiper.
Une voix rocailleuse retentit et un vieil homme claudiquant apparut. Ses yeux étaient vifs et émergeaient à peine d'une longue barbe grise qui mangeait son visage et semblait s'agripper comme du lierre à ses vêtements. Il portait un pantalon de toile brun élimé, une tunique grise grossièrement tricotée et une cape noire qui protégeait son dos voûté. Il s'appuyait sur un long bâton sculpté.
— Il s'est passé bien des hivers depuis la dernière fois que j'ai entendu ce sifflement.
— J'imagine que les visiteurs se font rare ici, Ereïm.
Le vieillard souffla.
— Ereïm? Voilà fort longtemps que je n'ai pas entendu prononcer mon prénom. On m'appelle plutôt vieux fou ou sorcier de pacotille. Il plongea ses petits yeux dans ceux de Loup. Et je ne pensais que mon petit-fils me nommerait ainsi.
Arcis écarquilla les yeux.
— Préfères tu vieux fou?
Ereïm balaya les sarcasme d'un geste de la main.
— Appelle moi comme bon te semble. Vas tu me présenter ton jeune compagnon?
— Arcis, je te présente ton arrière grand-père.
Un rire tonitruant emplit l'air.
— C'est bien la dernière chose auquel je m'attendais!
Il regarda Arcis avec un sourire bienveillant.
— Bonjour jeune homme!
Arcis inclina la tête en guise de salut.
— Il a perdu sa langue ton rejeton?!
Loup serra les dents.
— Non c'est sa mère et sa petite soeur qu'il a perdu.
Ereïm se tourna vers Loup, le regard empreint d'un mélange de tristesse et de colère.
— Qu'est ce que tu racontes?!
— Nous avons été attaqué, elles ont été tués.
Ses derniers mots furent un calvaire à prononcer.
— Et bien sûr tu n'étais pas là pour les protéger.
— Garde ton fiel derrière tes dents gâtées vieillard!
Le vieil homme secoua la tête et maugréa.
— Toujours dans les problèmes et les mauvaises fréquentations!
— Père m'a bien enseigné.
— Un peu de respect pour mon fils! Tu n'es pas à la hauteur de son courage!
— J'étais à son enterrement et toi?
— Tu ne sais rien! Ne me juge pas!
Loup pointa le doigt vers son grand-père.
— Toi non plus tu ne sais rien alors, garde toi de me juger devant mon fils.
Arcis regardait attentivement les deux hommes s'affronter à coups de mots.
— Assez! Ereïm agita la main en guise d'agacement. Que viens tu faire ici?
— J'aimerais qu' Arcis reste ici quelques temps.
— Je suis trop vieux pour m'occuper d'un enfant.
— Et tu étais trop jeune pour t'en occuper avant. Arrête ta comédie vieil homme! J'ai besoin de le savoir en sécurité.
Le vieillard râla quelques secondes en tournant en rond.
— Qui te dis qu'il sera en sécurité avec moi?
Loup ne répondit pas et se contenta de regarder Ereïm dans les yeux.
— C'est d'accord! Laisse l'enfant.
— Merci.
— Pas de merci, je ne le fais pas pour toi. Tu restes quelques jours?
— Non, juste cette nuit. J'ai déjà perdu trop de temps.
— Arf! Allez suivez moi. On a un peu de route encore.
Ils suivirent le vieillard voûté par les trop nombreuses années qui le séparaient de sa jeunesse. Le brouillard se dissipait au fur et à mesure qu'ils grimpaient et se reconstituait derrière eux. Une heure durant, le vieillard grogna dans sa barbe jusqu'à leur arrivée sur un petit plateau. Une grande maison, semblant sculptée dans la pierre, s'élevait contre la falaise. Sur la droite un petit sentier s'échappait vers le sommet du Mont Noir.
Ereinté autant par ses bougonnements que par le trajet, Ereïm souffla dans sa barbe.
— Nous voici arrivés!
Devant la grande porte d'entrée, le vieillard prononça quelques mots dans une langue gutturale.
Les murs tremblèrent, Arcis recula. Une autre issue venait de s'ouvrir à gauche du petit groupe.
— Allez, entrez!
Les trois silhouettes disparurent dans la maison et la porte se referma.
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