37. Punitions
La lumière brillante, qui s'engouffrait dans la caverne, s'adoucissait. La nuit s'allongeait tendrement sur le jour. Le calme et le silence étaient revenus et les lieux semblaient n'avoir jamais connu la violence.
Seul, immobile, Grys se tenait debout au milieu des cadavres. Il ressassait le combat. Toute son équipe occit par une gamine. Elle bougeait tel un animal et anticipait chaque mouvement. Serrant les poings, il expulsa sa frustration dans un cri de rage aussi soudain que bref. Les échecs s'accumulaient et sa confiance s'effritait.
Il tentait de récupérer son calme quand les deux mercenaires fuyards se présentèrent, la mine défaite, devant lui. Grys caressa son menton barbu et, d'un ton posé, les questionna.
— Je déteste les déserteurs. Vous le savez?
Le plus grand des deux répondit d'une voix mal assurée.
— Désolé Grys mais cette fille était un vrai démon. On n'était pas de taille.
— C'est vrai. Il fit une pause en faisant claquer sa langue sur son palais. C'était un démon. Vous avez voulu sauver votre peau, je peux comprendre les gars. Vraiment.
— Tu vois nous revenons de nous même.
— Oui je vois et c'est ce qu'il fallait faire.
— Je savais que tu comprendrais Grys! Il donna un coup de coude complice à son camarade.
Grys reprit.
— Oui c'est ce qu'il fallait faire, comme ça je n'aurais pas à perdre mon temps pour vous retrouver.
Les deux mercenaires se regardèrent.
Ils étaient déjà condamnés à l'instant où ils se retournèrent vers Grys.
Les deux dissidents tombèrent le ventre ouvert, tentant désespérément de retenir leurs entrailles. Grys trouva la situation grotesque. D'où venait cet instinct de survie ridicule, qu'espéraient-ils? Les remettre et se recoudre après?
Il laissa les mercenaires exhaler leur dernier soupir dans une mare de sang et de tripes.
D'habitude Grys n'aimait pas se salir les mains mais dans ce cas il n'avait pas eu le choix. Il n'aimait pas se battre mais il savait manier l'épée. On ne devenait pas chef de guilde en tenant sa lame comme un rouleau à patisserie. Le châtiment était nécessaire afin de garder le respect et la crainte et peut-être que cela calmerait Tyssy.
Posément Grys s'assit sur un rocher bien plat et sorti de son sac une petite pipe déjà pleine. Il l'alluma avec un briquet d'amadou. Le mélange d'herbes concocté par son herboriste lui procurait un bien-être bienvenue. Parfois les idées venaient plus vite. Cette fois elles ne vinrent pas. Encore une fois ce furent les ennuis qui se profilèrent à l'horizon sous la forme d'Alzebal et de Lodith. Leurs silhouettes venaient d'apparaître à l'entrée de la caverne. Elles marchaient lentement avec l'arrogance du pouvoir.
Grys resta assis quand les deux femmes arrivèrent à sa hauteur. Il souffla la fumée de sa pipe vers elles.
— Grys Dilur! Encore un échec!
— Ils étaient vingt, des bras énormes comme les cuisses de Lodith.
La géante serra les dents.
— C'était juste une gamine Grys.
Grys sourit.
— Déjà au courant?
— J'ai mes sources.
Le regard d'Alzebal brillait de fureur mais sa voix demeura douce et tranquille.
— Tu es un incapable. Je te faisais confiance.
— La confiance. Difficile de faire plus grossier dans ta bouche. Au fait quand ton roquet d'Orombre est revenu, lui as tu demandé quel goût a le sable dans cette grotte?
— Il n'était là qu'en soutien. Il n'aurait même pas du intervenir et il t'a sauvé la vie.
— C'est une façon de voir les choses.
Grys n'avait qu'une envie c'était de lui sauter à la gorge. L'amour, le respect, qu'il lui vouait en d'autres temps, avaient presque disparu depuis qu'il savait. Il respira plus fort pour se calmer.
— Tu vieillis Grys et je ne peux plus te faire confiance. C'était ta dernière chance. Je t'ai écouté. J'ai accepté ton plan. Mais là c'est trop.
Alzebal secouait la tête. Ses cheveux bruns bouclés se balançaient lentement. Grys la trouva belle, pendant un court instant, resplendissante comme quand, pour la première fois, ses yeux s'étaient laissé séduire par sa rude beauté. Un bref moment qui s'acheva brutalement quand il croisa à nouveau son regard froid et sans âme.
Pour se donner une stature qu'il n'avait pas, il sourit.
— Qu'est ce que tu vas faire?
Une expression de satisfaction sur le visage, Tyssy sortit de sa poche une petite fiole contenant un liquide violet.
— L'antidote. Tu as la mémoire qui flanche. Tu as accepté le contrat d'Orpin d'os. Je vais te laisser tranquillement agoniser. Tu verras c'est très douloureux. Peut-être me demandera tu de t'achever et comme j'ai encore une trace de respect pour toi, je le ferai.
Sereinement, Grys rangea sa pipe et fouilla dans sa poche, il en sortit une petite flasque.
— J'ai la même mais elle est vide.
Lodtih et Alzebal se regardèrent avec autant de stupeur que de colère.
— Croyais-tu que j'avais avalé ta petite graine sans avoir l'antidote?! Je pensais que tu me connaissais mieux que ça ma douce.
Tyssy souffla de dépit et Lodith ragea.
—Mais comment as tu réussi à avoir l'antidote. C'est impossible!
Le mercenaire sourit en pensant au patron de la Taverne du Scorpion qui outre sa délicieuse bière à la pisse de rat, était aussi un maître pour trouver l'introuvable.
— Comme disait mon grand-père adoré...
Alzebal l'interrompit.
— Tu ne l'as jamais connu cul de pourceau!
Grys leva les yeux vers le plafond de la grotte.
— Que de vilains mots dans cette vilaine bouche qui n'a pas toujours été vilaine.
Tyssy contint sa colère. Elle se mordit l'index jusqu'au sang puis l'essuya sur son pantalon.
— Grys, avec toute la considération que j'ai pu avoir pour toi, et le fait que tu sois le père de mes enfants. Tu n'es plus qu'un furoncle purulent. L'incompétence doit être puni. Tu n'y échaperas pas.
Elle regarda la géante et fit un geste de la tête.
Lodith brandit sa hache.
Le mercenaire leva sa main vers elle.
— Une seconde et je suis à toi pour le calin.
Il regarda celle qui avait tant aimé.
— Te souviens tu de ce que tu m'as dit à la naissance de notre premier enfant?
Grys pensait qu'en jouant la carte de sa sensibilité de mère, il pouvait gagner du temps.
Alzebal fit mine de réfléchir.
— Attends ce n'était pas: Ho non! C'est le portrait craché de son père!
Le mercenaire ne s'attendait pas à cette réponse. Il resta interdit pendant une seconde, puis il se mit à rire aux éclats.
Lodith s'esclaffa également suivi par Alzebal. Un rire contagieux qui permit à Grys de mettre les voiles. La géante ne réagit que trop tardivement. Grys sauta sur le portail, non sans avoir lancé deux lames vers les deux femmes. Il toucha la géante à la cuisse et il disparu dans un halo de lumière, il n'entendit pas les cris de colère résonner dans la caverne.
Tandis que la lumière du cercle de Trieste l'aveuglait, Grys entendit la voix de Tyssy sussurer à son oreille.
Tu seras un père merveilleux car tu le protégeras..Je veux qu'il vive une vie sans violence. Je veux qu'il soit heureux. Je veux que tu sois heureux.
C'est ce que tu m'avais dit. J'y ai cru. J'y ai tellement cru.
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