38. Croisements

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Alors que le jour s'était levé sur la forêt des larmes, la nuit, insolente, semblait perdurer. De lourds nuages noirs stagnaient tels les eaux sombres d'un marais vaseux. A l'orée d'une clairière, une fumée s'évadait lentementd'un âtre à l'agonie. Quelques braises rougissaient encore au souffle des brises d'hiver serpentant entre les arbres.  

Pour qui sont ces tombes?

La question, abrupte, résonna dans son crâne et extirpa Loup d'un sommeil profond. Il ne répondit pas et fit mine de continuer à dormir.

Ta famille?

Il soupira et ouvrit les paupières.

Pourquoi me poses tu la question puisque tu es capable de lire dans mes pensées.

Iria releva la tête et sourit.

Que je puisse le faire ne signifie pas que je me permets de le faire.

Tu ne l'as jamais fait?

Je n'ai pas dis ça. Je ne le fais que quand j'ai pas confiance.

— Tu ne sais pas qui je suis et ce que j'ai fait.

Mon père m'a appris que dans ce monde il y a trois sortes de personnes. Celles qui m'auraient laissé mourir dans cette forêt, celles qui m'auraient laissé mourir en me volant et celles qui m'auraient aidé. Merci mille fois.

Loup se redressa et regarda Iria dans les yeux.

— Ma femme et ma fille. 

***

L'antique et indomptable forêt des larmes se plaisait à perdre les nombreux voyageurs qui s'y aventuraient pourtant Selennn n'hésitait pas. D'un pas assuré et néanmoins nonchalant, elle foulait la terre noire sans aucun doute. Auxane la guidait, elle veillait sur elle. Sa soeur était au bout du chemin. Une demi-pénombre l'empêchait de profiter pleinement de la beauté des lieux, la jeune femme se disait qu'un jour elle habiterait ici, au coeur de la forêt, là où les arbres sont les plus hauts. Une nouvelle vie avec sa soeur pour oublier les tourments de ces dernières années

Des frissons la parcourait quand elle entendait les paroles de sa déesse. Elle donnerait sa vie pour elle.

Selenn s'arrêta soudain, le regard désorienté, un masque d'angoisse sur son visage. Auxane s'était tu..  

***

Grys atterrit rudement sur le cercle de pierre. Le mercenaire se releva rapidement en grommelant.

L'obscurité était telle, qu'un instant, il crut que la nuit avait détaché ses sombres cheveux sur le jour mais en scrutant le ciel, au delà de la cime des arbres géants de la Forêt des Larmes, un soleil timoré, transparaissait  à travers les nuages opaques.

Le mercenaire se frotta les mains pour les réchauffer, il était gelé. La différence de température entre les Terres Brûlées et les Terres Sauvages était telle que le haut de son crâne exhalait une fumée blanche.

Il fouilla dans son sac avec l'espoir d'y trouver un manteau, un pull ou tout au moins un vêtement qui lui apporterai une couche de chaleur supplémentaire. En vain.

Alzebal et Lodith ne le suivraient pas sans renfort. Elles n'étaient pas stupides et la géante était blessée. Il fallait qu'il bouge sinon il était mort. L'image d'un animal étrange, qui vivait dans le désert des Maelstroms, lui vint alors à l'esprit. Le Grestor était une affabulation pour certains,une réalité, voire un culte, pour d'autres. Grys faisait partie des rares qui,  à l'époque où aucun de ses cheveux n'étaient blancs, l'avait vu. Jamais il n'avait narré sa vision mais il ne l'avait jamais oublié.

Haute comme dix hommes, l'incroyable créature déambulait de jour comme de nuit sans jamais s'arrêter. S'il cessait de marcher, il mourrait et c'était ainsi que se sentait Grys.

Comme un Grestor.

Comme un animal.

Comme celui qu'il chassait.

Comme Loup.

Il sourit à l'ironie de la situation et leva les yeux vers la cîme des arbres.

Saleté de forêt.

Grys détestait la nature, c'était un citadin. Les villes étaient ses refuges, le vert était dangereux et sale. Il fallait impérativement qu'il atteigne Stannarg. De là il pourrait regagner sa maison dans le Nord des Terres Brulées. Ses enfants devaient être là-bas, sans doute sous bonne garde. Il regarda autour de lui en grimaçant.

Tous les arbres se ressemblaient dans cette maudite forêt.

***

Un silence pesant s'était installé depuis quelques minutes.

Loup le rompit.

— Comment te sens tu Iria?

Beaucoup mieux.

— Je peux regarder ta plaie?

La jeune femme se retourna et présenta son dos à Loup. La blessure était propre. L'onguent était efficace.

— Qui t'a blessé?

Je ne sais pas. J'étais sur mon bateau, j'ai posé les pieds dans un cercle et je me suis retrouvé dans une sorte de caverne au milieu d'un autre cercle. Des hommes étaient en embuscade. Ils m'ont attaqué.

— Un portail de Trieste sur un bateau?! C'était quoi ce bateau?

C'était le navire de mon père. Le Pourfendeur.

— C'était?

Oui il a coulé hier et tout le monde est mort.

— Et ton père?

Je ne sais pas. Il était derrière moi. Mais...

La jeune femme baissa la tête, peinant à dissimuler ses premières larmes de deuil.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas t'y faire penser.

Loup posa une main sur son épaule. Iria dégaina une lame fine et aussi vive qu'un éclair qui frappe, elle plaça le poignard sur la gorge de Loup. Elle le retira aussitôt, effrayée par son geste.

Je suis désolé.

Loup recula les mains levées.

***

Assise sur une branche morte, tombée sur le sol depuis de nombreuses années, Selenn attendait.

Auxane ne répondait plus.  Sa voix lui manquait déjà et l'inquiétude envahissait son ventre de la jeune femme.

Sa déesse l'avait elle abandonné?

Selenn regarda les alentours. Dans ce clair-obosc, les arbres devenaient des silhouettes inquiétantes. Les branches craquaient sous le souffle du vent et elles s'agitaient lentement de façon irrégulière. 

Elle frissonna d'angoisse.

Au moment où le désespoir s'insinuait en elle, elle sursauta. Auxane venait de lui susurrer à l'oreille qu'il était temps de reprendre la route.

Selenn sourit de soulagement et se leva. Elle parcourut quelques mètres, la forêt se faisait moins dense et une petite fumée grisâtre dansait au loin. La promesse d'une belle rencontre. Auxane l'incita à se hâter et rapidement elle posa les pieds dans une petite clairière découvrant qui était à l'origine de l'âtre.

***

Grys s'égarait toujours plus profondément dans la forêt. Un salmigondis d'inquiétude et de colère montait en lui. Les ronces lui entaillaient les mains. Le froid lui engourdissait les doigts. La puanteur de l'humus lui irritait le nez

Il leva les yeux un instant, Les nuages, geoliers du jour, s'épaicissaient encore ne laissant aucune chance au soleil d'éclairer les bois.

Face à lui les arbres semblaient être plus épars et plus loin une petite fumée lui procura un espoir de chaleur et de nourriture mais au vue de ses dernières déconvenues cela pouvait être aussi une mauvaise rencontre. Il ne se précipita pas et ce fut aux aguets qu'il pénétra dans la clairière.

***

Iria était prostrée depuis quelques minutes.

— Iria?

Elle releva la tête.

— Ca va?

Elle abaissa le visage en signe d'assentiment.

— Ne t'inquiètes pas pour tout à l'heure. Je comprends ton geste.

Il posa avec prudence une main sur  l'épaule d'Iria.

— Tu peux me parler de tes agresseurs?

lls étaient une dizaine. armés comme des soldats. J'en ai tué cinq ou six et certains se sont enfuis.

— Tu en as tué cinq ou six?

Loup esquissa un sourire.

Oui.  

— Toute seule?

Oui ce n'est pas parce que je suis une femme que je ne sais pas me battre.

— Je n'ai pas dis ça, je pensais à ta jeunesse.

Mon père a été un bon professeur.

— Te souviens-tu d'un petit homme trapu qui est sans doute resté à l'écart.

Oui c'est lui que j'ai vu en dernier.

— C'est ce pourri qui t'a blessé?

Non, quelque chose a surgi derrière moi. Je ne l'ai pas vu arriver comme s'il était invisible.

Le visage de Loup respirait la colère. Une petite veine apparut sur son front.

Qui sont-ils?

— Des mercenaires. C'est moi qu'ils attendaient. Ils me chassent.

Et cette chose invisible?

— Un Orombre j'imagine. Ils ont le pouvoir de se dissimuler dans les ombres comme des rats.

Mon père m'en a parlé un jour quand il m'a fait la liste des choses dont je ne devais jamais croiser la route.

Loup fit craquer ses doigts.

Le petit homme? C'est...

— Oui c'est lui qui a tué ma femme et ma petite fille.

Loup se rendit compte qu'il ne parvenait à prononcer leurs prénoms à haute voix

Et donc tu veux le tuer?

— Non je ne veux pas, je vais le tuer, lui et son patron. Je graverai au couteau mon nom sur leurs torses. Je ne vis plus que pour ça et je mourrais pour.

Iria fronça les sourcils et regarda son sauveur.

Comment s'appelaient-elles?

Loup respira profondément, quelques secondes furent nécessaires avant qu'il ne réponde à la question de la jeune femme. 

— Ma petite fille s'appelait Tili et ma femme Dwenn.

Sa gorge se serra.

Iria se leva d'un bond.

Loup! Nous ne sommes plus seuls ici!

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