42. Les Noxis
Les venelles de Cyryul ne se vidaient jamais. La cité brûlante menait une double vie. Le jour accueillait les natifs du désert, habitués aux températures extrêmes, la nuit et sa fraicheur appartenaient aux marginaux, aux fêtards, aux crapules et aux Noxis. La peau de ces derniers était blanche comme le plumage d'un faucon des neiges. Jamais ils ne sortaient en plein soleil et ils étaient aussi respectés que crains. Adossé à un mur plongé dans l'obscurité, Kjeld les observait avec curiosité. Ils se déplacaient lentement comme si le temps n'avait aucune emprise sur eux.
Le mage reprenait son souffle et ses esprits après son évasion.
Je dois retrouver Selenn.
Il fallait qu'il emprunte le portail de Trieste mais ses souvenirs se limitait à une caverne sableuse perdue dans le désert. Kjeld ne voyait qu'une seule solution.
Il faut que je retourne dans la tanière d'Alzebal.
Il jura entre ses dents.
— Je peux vous aider?
La voix le fit sursauter. Une femme âgée à la peau diaphane le regardait avec bienveillance. Ses cheveux blancs comme la neige étaient rassemblés en une longue tresse qui tombait jusqu'à ses hanches.
Kjeld lui sourit.
— Je ne pense pas madame mais votre gentillesse me touche.
— Vous semblez avoir échappé à la mort.
— En effet.
— Vous fuyez n'est ce pas?
L'amusement, qu'il avait ressenti, se changea en méfiance. Il fronça les sourcils.
— Qui êtes vous?
— Je me nomme Hunilf.
— Comment savez vous que je suis en fuite?
— Vous êtes essoufflé, vous êtes caché contre un mur sans lumière. Nul besoin d'être un génie pour le deviner.
Kjeld sourit.
— Je suis désolé, ma méfiance peut-être offensante mais elle m'a sauvée la vie de nombreuses fois et je n'ai pas beaucoup d'amis par ici.
Le regard d'Hunilf était froid et contrastait avec sa voix douce et chaude.
—Est ce je peux vous aider?
Le mage se redressa. La solicitude de cette femme lui semblait louche. Il se positionna de façon à pouvoir fuir.
— Pourquoi voulez vous m'aider?
— Je suis une Noxis.
Kjeld s'agaça.
— Et donc?
Hunilf eut un sourire taquin.
— Vous n'êtes vraiment pas d'ici.
Le regard du mage se perdit un instant dans sa mémoire brisée.
— Ni d'ici, ni d'ailleurs. Je suis de nulle pa...
La vieille femme l'interrompit.
— Les Noxis sont ceux de la nuit. Depuis longtemps notre peuple aide les âmes égarés dans les nuits de Cyryul.
— Pourquoi?
— C'est ainsi.
Kjeld se résigna et se contenta de la réponse évasive d'Hunilf. Il secoua la tête.
— Vous ne pouvez pas m'aider. Alzebal est la personne que je fuis.
La vieille femme s'assit en tailleur devant Kjeld.
— Mon peuple ne la craint pas.
— Il le craindra quand elle s'en prendra à vous.
— Nous sommes pacifiques et...
Kjeld l'interrompit à son tour.
— Une qualité qui n'arrête malheureusement pas la violence et les guerres.
Hunilf termina sa phrase sans tenir compte de l'intervention de Kjeld.
— Et Alzebal ne s'en prendra jamais à notre peuple.
— Et pourquoi donc?
— La peur. Sans nous le dome protecteur de la cité disparaitrait.
Kjeld renonça à demander pourquoi. Il n'avait qu'un objectif en tête et son temps était précieux.
— Si vous êtes si puissants. Alors dites moi comment aller au cercle de Trieste du désert des Maelstroms.
— Nul besoin de vous y rendre. Il existe un cercle ici.
Kjeld s'accroupit pour se mettre au même niveau de regard que Hunilf.
— C'est impossible.
— Mon père a construit le premier cercle, ici.
Le mage s'agaça.
— Mensonges! Les cercles ont des millénaires. Ca voudrait dire que vous vivez depuis...
Il s'arrêta comme s'il avait peur de terminer sa phrase. Elle la termina pour lui.
— Des centaines et des centaines d'années.
Il eut, un instant, envie de la croire.
— Vous êtes, il hésita, immortelle?
— Non pas immortelle, nous mourrons mais moins vite.
Kjeld eut une intuition. Son cerveau lui soufflait souvent les théories les plus improbables et qui se révélait être, dans la grande majorité, la vérité.
— Vous êtes les descendants des premiers êtres?
Hunilf ferma les paupières une seconde en guise d'assentiment.
Le mage se releva brusquement. L'excitation s'emparait de son esprit.
Les premiers êtres!
—J'ai toujours cru que les derniers vivaient dans la Forêt des Larmes.
— Certains y survivent encore mais ils n'ont plus rien à voir avec nous. Ils sont vindicatifs, solitaires et égocentriques.
— Alzebal sait ce que vous êtes?
— Non.
— Qui est au courant?
— Les Noxis et vous.
— Je ne comprends pas. Il secoua la tête.
— Pourquoi me dire tout ça? On ne se connait pas. Je pourrais être un mercenaire d'Alzebal.
— C'est impossible.
Hunilf se releva avec grâce, s'approcha de Kjeld et caressa la joue du mage qui voulut reculer mais le contact de la main de la vieille femme était si doux qu'il y renonça.
— Vous avez du sang noxis qui coule dans vos veines.
— Vous êtes folle.
— Vos souvenirs ont disparu n'est ce pas? Votre passé n'est que brouillard. Vous avez des savoirs que vous n'expliquez pas.
— Comment savez vous? Vous me connaissez?
— Non je ne vous connais pas mais je sais ce que vous êtes.
— Que suis je alors?
— Vous êtes à moitié Noxis mais je sens de l'ombre en vous. Comme si...
Elle se tut et une vague d'inquiétude ondula dans son regard. Il sentit les doigts de la vieille femme trembler sur sa joue.
— Comme si quoi?
— Comme si vous étiez un mage des ombres. Comment est ce possible?
Kjeld écarta d'un geste vif la main de Hunilf. Il la fixa d'un regard âpre et s'éloigna d'elle.
— Ne partez pas. je peux vous aider.
— Laissez moi tranquille vieille folle.
Le mage avait presque cru cette illuminée. Il s'en voulait d'avoir perdu autant de temps. Il accéléra le pas. Au moment où il s'engageait dans une autre ruelle. Une dizaine de Noxis le cernèrent et avant qu'il ne puisse utiliser sa magie, des flots de murmures se déversèrent dans son esprit et il sombra dans l'obscurité.
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