43. Séparation
Quand venait la nuit dans la Forêt des Larmes, chaque bruissement, chaque brise, semblait menaçant. Les arbres se réveillaient et murmuraient leurs secrets aux vents glacés du nord. Les spectres enfouis sous les mousses vertes planaient entre les feuilles, cherchant à tourmenter le voyageur imprudent. Loup n'en avait cure, il était concentré sur les traces qu'avaient pu laisser Grys. Comment s'était-il échappé?
Ca ne sert à rien Loup.
Iria le suivait à distance.
Loup?
La rage et la frustration de Loup se ressentait jusque dans ses mouvements brusques et désordonnés.
Il fait nuit, on ne trouvera rien.
— On le tenait Iria! Qu'est ce qui s'est passé?
La jeune femme demeura silencieuse. Loup inspectait chaque trace suspecte mais rien ne permettait de retrouver la piste de Grys. Il s'était volatilisé. Loup serra les poings et martela le sol violemment.
C'était moi.
Le son des phalanges tapant sur la terre se tut. Les mots d'Iria résonnèrent dans son esprit et firent l'effet d'un poignard qui s'enfoncerait lentement dans sa poitrine.
Loup se retourna vivement vers la jeune femme.
— Tu te fous de moi?!
Non, je voulais sauver ton fils. Suivre Grys pour qu'il m'amène jusqu'à lui mais j'ai perdu sa trace. Je suis désolé.
Loup enfouit son visage entre ses mains et le frotta.
— J'avais confiance en...Il s'interrompit et la pointa du doigt.
— Va t-en Iria.
Sa voix trahissait autant la colère que la déception
Loup, je...
—Va t'en Iria. J'ai fait une erreur en restant avec toi. Je suis mieux seul.
S'il te plait, je pensais t'aider.
Il leva la main en secouant la tête.
— N'insiste pas Iria. Je ne veux plus te voir et t'avoir dans mes pattes. Tu m'as trahi.
Je ne voulais pas...
Il dégaina son épée et la planta dans le sol juste devant la jeune femme.
— Je devrais te tuer pour ça! Tu as laissé partir l'assassin de ma femme et ma fille! Merde!
Iria baissa la tête. Quand elle la releva, Loup avait disparu, la laissant seule avec sa culpabilité.
***
Loup se faufilait à travers le feuillage dense de la forêt. Sa colère ne le lâchait pas pourtant il regrettait déjà sa réaction excessive envers Iria. Il savait qu'elle avait voulu bien faire et la jeune femme ne s'était pas trompée sur une chose. Il valait mieux attendre que le jour se lève. Loup se mit en quête d'un endroit pour passer la nuit. Au hasard de ses pas, il se retrouva sur une petite plateforme naturelle. Un bel arbre ployait ses branches vers le sol caillouteux, semblant vouloir s'y répandre. Les Terres du Nord s'offrait aux yeux de ceux qui s'attardaient. La nuit était claire. La forêt se révélait à la lumière blafarde de la lune mais au loin une masse sombre, cotonneuse annonçait la venue de nouvelles chutes de neige. Loup soupira et contempla le panorama.
Au Nord, le Mont Noir semblait vouloir se perdre dans les nuages. Il pensa à Arcis.
Ai-je fait le bon choix?
N'aurait-il pas du rester avec lui et oublier sa vengeance? Il secoua la tête. Alzebal n'abandonnerait jamais. Sa seule échappatoire était la mort de son ennemi, pour qu'Arcis puisse vivre sans fuir. Il mourrait pour son fils sans hésitation. Loup serra les dents, Savoir que le tueur de sa famille respirait toujours était et serait insupportable. Il n'avait pas le luxe du choix. Loup savait que la mort d'Alzebal n'effacerai pas les deux blessures qui martelaient son coeur. Deux absences cruelles. Deux puits de douleur qui s'agrandissaient et le temps, impitoyable, les approfondissaient. Il eut soudain du mal à respirer. Chaque inspiration lui était pénible. Loup chancela et posa sa main sur le tronc de l'arbre pour éviter la chute. La souffrance s'atténua subitement comme elle était venue. Il inspira à fond et se hissa dans l'arbre. Il s'installa dans un endroit d'où il pouvait voir toute l'étendue de la forêt tout en demeurant invisible. Il regarda l'horizon et tenta de puiser dans la beauté du paysage l'apaisement dont il avait besoin.
Au sud il apercevait les toits les plus hauts de Starnnarg, la Cité des Larmes. De paisibles volutes blanchâtres s'envolaient rejoindre les nuages. Alors que sa respiration ralentissait, Yian, son ami tavernier, vint lui rendre visite dans ses pensées. Il n'y avait pas songé depuis de nombreuses années. Le temps, destructeur de souvenirs, lui avait volé le visage de son ami mais son rire était ancré dans sa mémoire. Il résonnait comme une douce musique à ses oreilles.
Mon pauvre Yian, que me conseillerais tu?
Tu me servirais une pinte de bière d'abord et après tu me dirais avec ta grosse voix:
"Ne désespère pas mon ami, Tes choix sont tes choix. Je te soutiendrais quoique tu fasses même si tu fais n'importe quoi!
Je lui dirais "Merci, ça m'aide beaucoup!"
Et là il rirait, me taperait sur l'épaule et me servirait une autre pinte."
Le fantôme de son ami apaisa sa colère et la fatigue prit le dessus. Avant de sombrer vers les limbes torturés de ses rêves, Loup s'attacha au tronc avec une corde afin d'éviter de s'écraser au sol pendant son sommeil.
Il appuya la tête contre la rude écorce sans quitter des yeux le paysage qui se recouvrait peu à peu de brume. Il se laissa emporter par l'épuisement.
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