31. Le destin du Pourfendeur

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Du haut des falaises surplombant la plage de galets bordant la Mer des Filaments, le spectacle de l'attaque du "Pourfendeur" était superbe.

En revanche, à bord du navire, la situation était dramatique.

Les marins disparaissaient un à un, engloutis par les filaments luminescents. Le capitaine Crilone était impuissant face aux événements. Jamais il ne s'était senti aussi démuni. Quelques minutes auparavant, son fidèle ami Atral, englué dans les algues, lui avait tendu une main désespérée mais il n'avait eu le temps que de croiser son regard empreint de douleur. L'infortuné s'était liquéfié devant lui dans un gargouillis infâme. 

Il leva les yeux au ciel et projeta ses pensées vers sa fille.

Je suis désolé Iria. Je ne voulais pas que ça finisse comme ça. 

Papa, viens tout de suite à la proue.

C'est fini Iria. Atral vient de mourir sous mes yeux. Il n'y a plus aucun espoir.

Arrête de te lamenter Capitaine Crilone! Ecoute moi je suis à la proue du bateau. J'ai trouvé quelque chose. Je me trompe peut-être mais je pense que ça peut nous sauver.

Quitte à mourir autant mourir en action. Je vais passer par les mâts. Bouge pas! 

Aucun risque.

Le vieux capitaine entreprit de monter aux cordages de la voilure du mât d'artimon. Son corps craquait sous l'effort. Sa jeunesse était un lointain souvenir mais ses muscles étaient encore robustes. Il se balança vers le grand mât au centre du bateau. Une fois sur ce dernier il recommença la même manœuvre pour accéder au mât de misaine puis le vieux capitaine monta vers la hune pour souffler un peu. De son promontoire, Neyol Crilone pouvait voir les femmes et les hommes de son équipage hurler, tomber, fuir et mourir. Pendant un court instant, il resta regarder, sans bouger, avec peine et désespoir.

Un jeune homme croisa son regard. Il tremblait, paralysé par la peur. Il savait qu'il allait mourir. Il tendit son sabre vers le ciel en direction de son capitaine qui lut un "merci" sur les lèvres du garçon avant que les tentacules ne le réduisent en un liquide brunâtre. Il s'appelait Edsange et pour ses seize ans, Neyol lui avait offert le robuste sabre qu'il levait fièrement vers son capitaine. Le vieux pirate ferma les yeux, résigné.

Iria le sortit de sa torpeur.

Papa!

Il ouvrit les paupières et il la vit lui faire de grands signes. Les algues étaient autour d'elle mais elles ne progressaient plus comme si elles avaient peur d'envahir l'endroit où se trouvait la jeune femme.

Papa bouge tes fesses! Regarde.

Elle indiqua d'un doigt le sol.

Tu m'as parlé un jour de portails qui permettaient de franchir de longue distance. C'est pas ça?

Neyol regarda plus attentivement l'endroit où se tenait sa fille. Un cercle tremblotant de taille moyenne avec des inscriptions étranges.

Un infime espoir se réveillait en lui. Au cours de ses longs périples, Neyol avait entendu parler de certains cercles qui avait été construit sous l'eau et leur puissance était telle qu'ils traversaient par intermittence les flots. Ils apparaissaient alors quelques minutes à la surface.

C'est un portail de Trieste bordel! 

Mais pourquoi...

Neyol l'interrompit.

Ne perds pas de temps! Pose tes pieds au centre Iria! Tout de suite!

Non je ne pars pas sans toi!

Ne t'inquiètes pas, je te suis.

Les deux derniers survivants du "Pourfendeur" se regardèrent intensément. 

A tout de suite Papa.

A tout de suite ma fille. Allez va!

Les deux pieds posés au centre du cercle, elle disparut dans une explosion de lumière.

Le capitaine Crilone, toujours en hauteur sur le hune se retourna quelques secondes. Le "Pourfendeur" vivait ses derniers instants. De splendeur des mers, il était devenu en quelques minutes un bateau fantôme. Tout son équipage était mort. De vieux amis pour certains d'entre eux, des gamins à peine sortis des jupons de leurs mères pour d'autres mais tous faisaient partie de sa famille et il n'avait pas pu les protéger.

- Adieu mes amis, murmura t-il.

Il descendit de sa plateforme et se prépara afin de sauter au centre du cercle. Les mains sur les cordes, il se pencha en avant et se projeta vers le portail. Fier de lui il avait atterri en plein milieu du cercle. Crilone regarda ses pieds posés sur le bois du pont. Le cercle avait disparu.

Il releva la tête. Il fit une grimace.

— Et merde! dit-il.

Les filaments ne tardèrent pas à le piéger. Il ne se débattit pas. Son corps prisonnier commença à se liquéfier.

Il ne hurla pas mais mourut dans la douleur. Ses dernières pensées furent pour sa fille.

Je t'aime Iria. Je suis désolé.

Le "Pourfendeur", brillant de milles feux, s'enfonça lentement dans les eaux luisantes. Les mâts se désagrégèrent et le bateau se fendit en son milieu provoquant un craquement sinistre, dernier soupir d'un vieux combattant battu par plus fort que lui.

Et il mourut comme son capitaine, tous deux liés, à jamais, dans la vie comme dans la mort.

L'océan scintillait paisiblement comme si rien ne s'était passé. Le calme était enfin revenu sur la terrible Mer des Filaments.

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