32. Fuite

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Devant les ruines de la taverne de l'Ours Endormi, s'était agglutiné un petit troupeau de badauds. Avides de ragots et de sang ils se repaissaient de l'infortune de leurs semblables pour le recracher sous forme d'une jouissance malsaine. Le bâtiment était éventré, des morceaux de charpente et des débris de pierres s'étaient répandus au pieds des voyeurs.

Kjeld, le visage tuméfié, arpentait les débris à la recherche d'Acilla et de survivants. De-ci de-là des cadavres jonchaient le sol mais aucune trace de la mère de Selenn.

***

Pour qui ne connaissait pas la ville de Stannarg, celle-ci pouvait se muer en piège. Les rues, venelles, ruelles et impasses formaient un véritable labyrinthe dans lequel certains demeuraient prisonniers jusqu'à ce que la mort ne les délivrent. On les appelait les errants. La légende racontait que la Cité des Larmes se nourrissait de leur tristesse et de leur mélancolie pour les déverser dans les fontaines de Stannarg. 

Au milieu de ce dédale, Selenn fuyait. La jeune femme voulait s'éloigner le plus possible de Kjeld et de sa mère. Le poison de leurs paroles lui était insupportable. Plus personne ne se mettrait en travers de sa route. Auxane lui montrerait la voie et un jour sa petite sœur lui serait rendue.

***

Kjeld inspectait minutieusement chaque parcelle de la taverne quand il découvrit le cadavre de son ami, Metgos le propriétaire des lieux. La gorge serrée, il s'assit sur le sol et toucha le front du tavernier. Il entendit alors un faible gémissement. Il se retourna et vit Acilla. étendue, une jambe coincée sous une poutrelle. Il parvint à la dégager après maints efforts. La blessure était sérieuse, l'os était visible parmi les chairs à vif.

Elle tremblait.
— Ta jambe est en très mauvais état. Ne bouge pas.
Kjeld apposa sa main sur la plaie et rapidement une chaleur apaisante envahit Acilla. La douleur endormie, elle retrouva peu à peu ses esprits.

— Où est ma fille?

Le mage secoua la tête de dépit.

Acilla s'affola.

— Il faut la retrouver!

— Merci Acilla mais je sais ce que j'ai à faire.

L'agacement était perceptible dans la voix de Kjeld mais ce n'était pas contre la pauvre Acilla. C'était contre lui. Il avait échoué et les conséquences de sa débâcle suivraient rapidement.

— Ma petite fille vient de tuer tous ces pauvres gens.

La mère de Selenn tourna la tête de manière à ce que Kjeld ne voit pas ses larmes. Le mage posa sa main sur l'épaule d'Acilla.

— Tout est de ma faute. Après vous avoir transporté en lieux sûrs, je m'occuperai d'elle.

Le mage s'agenouilla.

— Mettez vos bras autour de mon cou. Je vais vous porter. Il faut soigner votre jambe.

Kjeld sortit des ruines, la neige avait cessé de tomber. Les badauds s'étaient dispersés, l'heure du dîner était proche, et surtout "Ils" étaient déjà là. 

On les appelait "Les "Brûleurs". 

A Stannarg tout mort était incinéré sur place sans funérailles. Des mages déchus embauchés par la ville. Un travail dont personne ne voulait.

— Des jours sombres nous attendent.

— Non Kjeld les jours sombres continuent. Ils ne finissent jamais.

Le mage ne répondit pas.

Acilla savait qu'elle venait de perdre Selenn une deuxième fois. Intérieurement, dans les bras de Kjeld, elle faisait ses adieux à sa fille.

***

Poussée par une force inconnue Selenn était sortie de la ville sans encombre. A chaque intersection, elle savait exactement quelle direction prendre. Auxane la guidait, elle la sentait à ses côtés. 

La jeune femme s'arrêta brusquement, face à elle la forêt des Larmes étendait ses bras d'écorce. Jamais elle n'avait vu autant d'arbres réunis au même endroit. Partagée entre l'émerveillement et l'intimidation, Elle ne put refréner des larmes. C'était si beau. A cet instant une partie d'elle-même remerciait Kjeld. Sans lui elle n'aurait peut-être jamais connu ni la neige, ni la forêt. Comme elle l'avait déjà dit, du mauvais parfois naissait le bon. Elle pensa à son père, mort pour qu'elle se réveille enfin et qu'elle retrouve sa petite sœur.  Selenn s'éternisa, la nuit s'était installée et quelques flocons virevoltaient autour d'elle. Elle ne sentait pas le froid. Son corps était brûlant mais elle n'était pas malade. Il s'adaptait. Encore un pouvoir qu'elle se découvrait.

Selenn sourit et pénétra dans le lacis de branches ancestrales.

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