33. Embuscade
Embusqué depuis plusieurs heures, Grys s'impatientait, le portail de Triestre demeurait désespérément inactif et il détestait attendre. Il contenait sa nervosité en se mordillant frénétiquement les ongles. Le mercenaire ressassait les derniers événements. Ses échecs le torturaient et il s'en voulait d'avoir été aussi négligent et stupide. L'image de Tyssy assise sur le trône d'Alzebal le hantait. La colère et la honte rongeaient son esprit. De nombreux souvenirs jaillissaient dans son esprit, s'entrechoquant comme les eaux tumultueuses des torrents du Nord.
"Comment ai je pu rater les signes ?!"
Grys serra les dents. En dépit de ces nombreux vices, le mercenaire avait une qualité indéniable. La loyauté. Il avait aimé Tyssy. Il se serait jeté du haut de la plus haute montagne de Milsden pour elle.
"Comment a t-elle pu!"
Grys serra les poings jusqu'au sang. Il grogna. Tyssy l'avait blessé avec le pire des poignards. Celui de la trahison.
"Il faut que je me calme."
Il respira profondément. Il reprendrait la main mais pour le moment il devait faire profil bas et cela passait par la capture de Loup. Embusqué dans un coin de son esprit, la revanche viendrait et elle ne souffrirait d'aucune clémence.
Grys fit un inventaire des forces en présence. Dix mercenaires prêts à en découdre. La moitié choisit par ses soins, l'autre par Alzebal. Autant dire qu'il n'avait confiance qu'en une partie. Il soupira, prononcer ce prénom était devenu une épreuve. Grys essuya son front du revers de la main. La sueur coulait sur son visage comme une rivière à la fonte des neiges.
La chaleur du désert des Maelstroms était insupportable, surtout pour un natif des Terres Sauvages et le voyage avait été aussi pénible que de s'asseoir sur un nid de fourmis de feu. Un trajet à dos de priguz était mortel pour un séant habitué au confort de sièges molletonés mais nécessaires si des voyageurs voulaient survivre aux brûlures du sable du désert des Maelstroms. Grys détestait ces grosses créatures à six pattes semblables à des chevaux sans crinières. Ils empestaient et étaient aussi moches qu'un fessier d'ivrogne qui aurait tout lâché dans ses haillons et pourtant les stupides nomades ne survivaient que grace à eux. Même pour s'hydrater, ils buvaient la bave abondante et très nutritive de ces animaux. Grys eut un haut le coeur à la simple idée d'ingurgiter ce breuvage.
Le mercenaire leva la tête. Il sentait un changement. L'air semblait un peu plus frais. Une lumière vive jaillit alors du portail de Trieste. Les sbires se préparèrent à bondir sur Loup. La longue attente décuplait l'excitation du combat qui allait être âpre et sans pitié. Grys resta caché derrière son gros rocher.
Le rayonnement diminua d'intensité et une silhouette se détacha dans le cercle de pierre.
Une jeune femme se tenait debout au centre du portail.
Elle regarda autour d'elle le visage stupéfait.
Personne ne réagissait.
Grys secoua la tête de dépit.
— Qui es tu petite fille? Lança un mercenaire en ricanant.
La jeune femme ne répondit pas et tendit le majeur en guise de réponse. Des rires retentirent dans la caverne.
— Faites vous plaisir! Cria Grys. Après s'être brièvement levé, il resta assis derrière son rocher en secouant la tête. Le mauvais sort s'attardait au dessus de son crâne.
Aussitôt une flèche quitta l'arc du mercenaire le plus éloigné et fila vers l'insolente. Cette dernière se mit en mouvement avec une célérité étonnante. Elle saisit la flèche au vol et la renvoya aussitôt à son expéditeur. Sans avoir pu esquisser le moindre geste de défense, le projectile traversa la gorge de l'infortuné. Ce dernier tenta de prononcer quelques mots mais un flot de sang les étouffa, il s'écrasa lourdement sur le sable.
Les mercenaires se regardèrent, interloqués.
La jeune fille les regarda tous, un par un, pendant une poignée de secondes, avec un regard de défi, alors elle se mit en mouvement et le bal débuta.
La jeune femme glissa sur le sol sableux et percuta du poing l'entrejambe du mercenaire le plus proche. Il hurla en se tenant ce qui restait de ses attributs masculins et tomba à genoux.
Les mouvements de la jeune fille étaient imprévisibles. La désarroi se lisait dans les yeux des sbires pourtant aguerris.
Déjà deux de moins.
Plus que huit.
La gorge tranchée d'un geste vif, un colosse s'effondra.
Sept.
Une dague plantée dans le haut du crâne, un jeune homme chuta sur le sol, le regard vide de vie.
Six.
Eventré avec sa propre épée, un guerrier hirsute pleura de douleur en se tenant les intestins.
Cinq.
Sans avoir le temps de crier, un sbire tatoué trépassa la nuque brisée.
Les quatre derniers mercenaires reculèrent et, avec courage, s'enfuirent.
Le repli lui étant impossible, Grys sortit alors de sa planque avec une insolente assurance.
- Nom d'un cul de priguz, t'es qui fillette?
"Iria"
La voix de la jeune femme résonna dans son esprit mais ses lèvres ne bougeaient pas.
"Une télépathe!"
Elle lisait dans les esprits comme dans un grimoire ouvert. Grys comprenait maintenant, la diablesse anticipait toutes les attaques.
"Il faut que je fasse le vide."
" Je t'entends petit homme. Tu vas mourir aussi."
Grys ancra ses pieds dans le sol prêt à recevoir les attaques d'Iria.
" Ne pas penser, ne pas penser."
Iria lança son assaut mais sa course fut interrompue brutalement. Elle tenta de crier mais aucun son ne s'échappa de sa bouche. La seule chose qui sortit d'elle, ce fut la pointe effilée d'une lame noire qui transperçait son épaule. La douleur et la surprise se confondit sur son visage.
Du néant, derrière elle, un mage noir avait surgi et l'avait saisi par la taille.
— C'est bien la première fois que je suis heureux de voir un traître noir, ricana Grys.
Le mage tourna sa lame dans la plaie. Les yeux d'Iria reflétèrent la souffrance. Son tortionnaire retira alors la dague d'un coup sec et leva le bras, prêt à asséner le coup fatal. Ce fut le moment choisit par la jeune femme pour lancer son coude vers le visage de son agresseur. La violence du choc terrassa le mage qui s'effondra sur le sol. Iria tituba puis se jeta aussitôt sur le cercle de pierre et disparut dans un halo lumineux.
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