Chapitre 1 (partie 2)

9 minutes de lecture

Molly ne me répond pas. C’est ce qu’elle fait lorsque je l’interromps dans ses pensées.

Un peu comme si j’étais entré dans sa chambre sans frapper.

Alors je reste à l’écart. Attendre discrètement. C’est la meilleure stratégie à adopter dans ce genre de situation. Surtout après leurs désaccords de ces derniers jours…

Lise et moi nous sommes rapprochés pendant les vacances. Beaucoup, rapprochés.

Et même si, jusqu’à la semaine dernière, Molly ne manifestait pas ouvertement son désaccord concernant notre histoire naissante, il semblerait que ce ne soit plus le cas.

Chaque fois que je quitte la pièce, je les entends se quereller. Et le silence revient avec moi. Un silence lourd, emplit de regards désapprobateurs.

Croient-elles que je suis idiot ? Ou peut-être qu’elles se trouvent bien discrètes…? Va savoir.

Même avec un accès direct dans la tête de ma sœur, ces derniers temps, je n’arrive plus à la comprendre pleinement.

Je comprends davantage Lise, bien que nous ne soyons pas encore connectés.

Je n'ai jamais eu de secret pour Molly et jamais elle ne m’a caché quoi que ce soit. Les raisons de me préserver de cette dispute-là, me dépassent. Je ne pense pas que le motif soit “seulement” notre nouvelle relation à Lise et moi... Sinon, Molly m'en aurait parlé. Elle est loin d’être la dernière à me faire savoir lorsque mon attitude ne lui convient pas.

Je suis surpris, leur discussion a l’air agréable et joyeuse… j’hésite entre le soulagement et l’inquiétude. Molly n’a pas bloqué sa puce comme c’est le cas habituellement quand je la dérange.

Dois-je écouter discrètement ?

Non, elles m'arracheraient la tête, et en équipe.

Cependant quelques bribes de conversation arrivent jusqu’à mes oreilles, sans l’aide de ma puce. Et Molly sait que je suis là… Pourquoi me laisserait-elle entendre si elle ne voulait pas que j’écoute ?

Je n'ai pas très envie de les interrompre de toute façon. Je vais passer par la porte d’entrée, traverser la maison, et les rejoindre sur la terrasse. Leur donner une chance de s'apercevoir de ma présence physique. Je serai moins suspect et je pourrais surprendre cette conversation mystérieuse en toute innocence. Peut-être même que je pourrais intercepter un petit chausson aux pommes au passage.

  • … quitter toute ta vie, tes habitudes, ta maison, pour vivre dans une école, loin… z’a ne t’angoisse pas, toi? demande Molly, le regard interrogateur posé sur Lise.

Assises côte à côte, face au lac, dos à la grande baie vitrée de la cuisine qui ne me dissimule pas. Je reste silencieux, adossé à l'îlot central de la cuisine encore recouvert de farine, en espérant qu’aucune d’elle ne se tourne de suite.

  • Pas vraiment, c’est ce que j’ai toujours voulu. Je suis plutôt impatiente.
  • Impatiente ?
  • Ne me regarde pas comme ça! Bien sûr qu’il va me manquer. C’est d'ailleurs pour ça, que j’ai accepté votre histoire de piratage de puce. Mais je doit être honnête, j’attends ce moment depuis l’enfance. C’est l’aboutissement de tellement de travail.

Alors c’était ça… Elles parlent de leur départ… au moins elles ne se disputent plus.

  • Je dois bien admettre que je comprends ton enthousiasme. Je ne penzais pas pouvoir étudier en sciences technologiques, en tout cas pas de zuite… alors za à quelque chose de gratifiant mais…
  • …mais tu culpabilises d’être si heureuse de partir loin d’Andrea..?
  • Je ne comprends pas comment tu peux le laizer fantasmer sur un avenir “romantique” avec toi…
  • Écoute, on ne va pas recommencer…
  • ..Héeee, Kalo-iméra les amies. Qu’est-ce que vous faites de beau en mon absence ?

Toutes deux se retournent vers moi. Molly ne soulève pas le fait que je suis là depuis 10 bonnes minutes et je fais comme si je ne les avais jamais entendues parler de moi.

  • Tu en a mis, du temps. Qu’est-ce qui t'a retenue ?
  • J’ai coupé par la forêt.
  • Tu sais lorsqu’on “coupe”, normalement, c’est pour aller plus vite…
  • Comment était la matinée avec maman ? demande Molly avant que je n'aie pu répliquer quoi que ce soit à Lise.
  • Je ne sais pas, elle n'est pas restée, finalement. Tu n'as pas écouté ?
  • Je voulais vous laisser zeul…

Nos regards se croisent. Elle comprend que je fait bonne figure devant Lise, mais que l'indifférence de ma mère m’a perturbé, encore une fois.

Elle m’envoie un msg mental, elle frappe à ma porte. Mais je ne veux pas en parler pour le moment. Nos projets en cette belle journée ont trop d'importance pour être gâchés par un détail négatif.

  • Alors, vous êtes prêtes à farfouiller dans des cerveaux ? Nous demande Molly, un sourire étrange sur le visage.
  • Ça semble tellement dégoûtant quand tu en parles de cette façon.

Je les observe toutes les deux, tellement différentes et pourtant si semblables.

Molly explique à Lise comment nous allons procéder, pendant que je prépare les « autos-doc » dans la salle de soins de la maison.

Je les entends dans l’autre pièce.

  • En réalité 3 puces zont dans nos petites têtes: une sur l'hippocampe z’est la puce A, une à la zone de Wernicke la puce B et une autre à la zone de Broca la C.
  • Ok donc, la puce A pour l'apprentissage, la puce B pour la compréhension des mots et la C pour la production des mots.
  • Exactement. Pour le piratage au début, je ne me zuis intéressé qu'aux puces B et C qui se trouvent dans le cortex pour accéder au lobe frontal ainzi qu’aux zone de wernicke et broca, et donc communiquer par la pensée. Et puis je suis allé plus loin en détournant les fonctions de la puce A qui se situe sur l’hippocampe, elle a pour but de relier le système limbique au cortex et donc, comme tu t’en doute, de permettre la pratique de toutes les langues entendues. Mais l’hippocampe est également un accès aux souvenirs de la mémoire à long terme, alors on c’est dit avec Andrea que partager des souvenirs pourrait également être sympa.
  • Tu vas quand même pas nous ouvrir le crâne hein?
  • Malheureusement ce ne sera pas nécessaire.
  • Molly parfois tu es effrayante, tu l’sais?
  • Vos puces sont déjà installées, je n'ai qu'à me connecter a distance.

Molly est toujours d’un enthousiasme excessif quand il sagis de parler de science ou de tech, moi cela m’ennuie rapidement. Pour le moment je dois connecter le cube aux autos-doc pour qu’elle y ait accès depuis le poste de contrôle lorsque Lise et moi aurons pris place à l'intérieur. C’est un travail simple et mon esprit vagabonde.

Nous sommes au cabanon de vacances de la famille de Lise. Je ne sais pas bien pourquoi elle l’appelle “cabanon”: c’est un bâtiment luxueux aussi grand qu’une maison de ville. Il y a plus que le nécessaire et sa proximité fait que les domestiques de la famille continuent de l’entretenir régulièrement… Ça en fait l’endroit idéal pour nous retrouver tous les trois à chaque occasion; après l'école, les fin de semaines, les vacances et chaque fois que nous voulons être à l'abri des regards indiscrets. Autant dire en permanence.

Cette maison n'a rien d'une cabane. C’est une maison ouverte à la nature. Les branches la traversent, les arbres y ont leur place.

Oui elle est sur le lac; oui elle est isolée de la ville; mais c'est à peu près les seuls points communs avec un cabanon... Si elle avait été construite par l'un des cochons du livre de conte terrien de ma mère, ce serait celle en briques. Bien qu’il n’y est pas de grand méchant loup par ici.

(Je me demande d’où peut bien venir cette fascination qu'ont les terriennes pour les animaux qui parlent et font des actions humaines...?)

C'est une demeure immense. La totalité de la façade qui donne sur le lac est faite de baies vitrées. La hauteur sous plafond donne le vertige, et les murs de briques rouges se séparent en de majestueuses arches d'une pièce à l'autre, très rarement encombrée d'une porte. Lorsque l'on se trouve dans la cuisine,on pourrait presque se croire encore à l'extérieur, dans la forêt, t'en les vitre sont hautes. Cette impression est sûrement exacerbée par le nombre impressionnant de plantes à l'intérieur.

Toutes ces briques, le sol en pierres, les meubles en bois... cet endroit est tellement différent des maisons de mon quartier. Tellement différent de la maison de ma mère.

En fait, je passe plus de temps ici que là-bas.

S’il y a bien un avantage à être un garçon c’est que personne ne s'attend à ce que tu sois quelque part de précis… Elles sont toutes plutôt satisfaites de mon absence en générale… Enfin sauf Lise et Molly bien sûr.

Molly et moi n’avons jamais vécu l’une sans l’autre et notre complicité reste un mystère pour toute personne de notre entourage. J'allais jusqu'à rester sous la fenêtre de son école lorsque nous étions plus jeune, pour ne pas être trop loins d’elle, et écouter les enseignements.

Mais cela n'empêche pas que Molly ne comprend pas toujours ce que l’on peut ressentir lorsque personne ne nous attend, que l’on ne manque à personne… Au contraire Lise, elle, connaît bien cette souffrance.

Sa mère travaille à Prìomh, la capitale. C’est une inspiratrice. Elle aide notre gouverneure a diriger. Ses sœurs sont à l'université, comme il se doit, sur les traces de leur mère. Ses tantes, qui vivent avec elle, dans sa maison, la laissent faire tout ce qu’elle veut tant que ses notes scolaires sont bonnes… Personne ne se préoccupe vraiment de ses activités.

Pour Molly, nous ne “savourons pas suffisamment notre chance”, comme elle est sans arrêt interrogée sur ses fréquentation, ses résultats, ses loisirs… Elle a “plus de pression sur les épaules” selon elle.

Notre mère met tout ses espoirs en elle, et je ne dis pas que c'est une place enviable, mais comment ne pas envier leur relation mère-fille ? Jamais notre mère ne prendrais un rendez-vous ailleurs quand, initialement, elle devait passer la matinée avec Molly…

Elle l’encourage, la soutient, l’aide à atteindre ces objectifs.

Des “objectifs”, voila quelque chose que je ne partagerai jamais avec personne, pas même Lise.

Ici sur Gravis, les enfantes de chaque famille poursuivent les travaux de leurs mères. Lise vient d’une famille de l'aristocratie, ses sœurs deviendront inspiratrices. Lise, elle, a choisi de devenir Porteuse, elle va entrer en école maïeutique. C’est la seule carrière qui ne demande pas de dérogation gouvernementale. Si tu es 100% humaine, que tu remplis toutes les critères et que tu réussis les tests alors tu peux intégrer l'école, peu importe ton rang social. Cela dit, les tests d'entrée sont rigoureux, toutes les postulantes ne sont pas acceptés.

Bien que loin d’elle, la Sororité de Lise est fière de sa réussite.

Pour Molly c’est un peu différent. Notre mère, qui est historienne, est une bourgeoise. Molly devrait normalement étudier la littérature et l’histoire pour respecter les traditions, suivre les traces de notre mère. Mais elle a, très tôt, présenté des aptitudes hors du commun pour les sciences, la technologie et les mathématiques… ce qui lui a permis de décrocher une autorisation gouvernementale pour des études de chercheuse. Si elle le désir, plus tard, elle pourrait être élue pour siéger aux prés d’inspiratrices et donc entrer dans l’aristocratie. Pour la plus grande joie et fierté de notre mère, qui ne vit plus que pour ça.

Moi je n'ai pas d’avenir, je me contente d’exister. Je ne dois surtout pas gêner ma sœur dans son apprentissage. En fait, si je parvenais à me rendre complètement invisible, ma mère ne pourrait pas être plus fière de moi…

  • Ne dit pas ça !
  • Molly ! n'écoute pas ce que je dis dans ma tête…
  • Je n’l'ai pas fait exprès, tu penzes à voix haute. Elle me regarde de ses yeux identiques au miens, et me prend par les épaules comme quand nous étions plus jeunes et qu’elle essayait de me convaincre que personne ne se moquait de moi et que je n'étais pas “une petite fille de 13 cycles G, bien étrange”, contrairement à ce que nos voisines pouvaient affirmer.
  • Tu zais bien que maman s'inquiète pour toi. Elle s'inquiète de ce que tu vas être une fois adulte…
  • Nan, Molly ! Elle n’est inquiète que des conséquences de ma présence pour ton ascension à toi… Arrête d'entrer dans ma tête sans frapper et laisse-moi finir de préparer l'auto-doc, s’il-te-plait.

Elle s’apprête à sortir de la salle de soin, visiblement contrariée que j’ai une si mauvaise opinion de notre chère mère. Elle ne doit probablement même pas remarquer que sa maman à elle n’est en rien la même que la mienne.

Lise entre à son tour dans la pièce et nous demande d'une voix enjouée :

  • Alors ? On les farfouille ces cervelles ?

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