Chapitre 2 (partie 1)
En 1679, du calendrier terrestre, le Français “Denis Papin” construit la première chaudière fermée par la première soupape. Ces travaux permettront à d'autres, quelques années plus tard, l’invention de la machine à vapeur.
Une matinée ou Fear, notre mère, n'avait pas verrouillé la bibliothèque des reliques, Molly en a profité pour subtiliser une archive recensant les hommes importants dans l’histoire de la terre, de leurs impacts sur leur civilisation. C’est dans cette œuvre proscrite que Molly a choisi le nom de l’IA qu’elle a imaginé pour moi, à nos 12 cycles.
Nous l’avons créé ensemble. Comme une sorte de frère virtuel qui me tiendrait compagnie. Il faut dire que les journées étaient longues à cette époque, en attendant qu'elle rentre de l'école. Je ne pouvais pas roder tous les jours autour des classes. C’était trop risqué pour nous deux.
Au début, Denis n'était rien de plus qu'une occupation. J’ai passé de longues journées devant les écrans, à lui donner des caractéristiques morales, physiques et une histoire.
Il a évolué seul sur ces bases et au fil du temps, est devenu bien plus qu’un simple avatar. Il est notre ami.
Très vite, il a fallu lui trouver des occupations, un but.Nous en avons fait un pirate. Nous nous sommes amusés à préparer les plans d'un vaisseau époustouflant qu’il contrôlerait, “l'Hall-Fred ”.Un endroit autonome qui nous permettrait de vivre ensemble, loin du jugement des autres…
Vous savez, le genre de jolie histoire que les enfantes aiment se raconter et qui fait paraître l’avenir plus attirant, plus palpitant, qu’il ne l'est en réalité. Lorsque l’on imagine des aventures extraordinaires, où les héroïnes sont dotées d’un incroyable courage et dont la fin n’est que passion et possibilités.
Molly me trouve immature parfois et me dit que je ne devrais pas continuer à vivre dans mes histoires irréelles.
Elle a sans doute raison.
Mais sans toutes ces histoires fantasques, sans tous mes amis les livres; il y a bien longtemps que j’aurais perdu la tête dans la solitude.
Denis est en quelque sorte le lien qui me raccroche à mes rêveries.
Tout naturellement, c’est lui que l’on a utilisé pour pirater nos puces de communication.
Un pirate dans une mission de piratage! A l’époque nous trouvions cela drôle et spirituel.
Après une réflexion étrange de l’une des amies de Fear sur notre relation, à Molly et moi;
«Comme tes enfantes sont étranges , tu ne crains pas pour la sécurité de ta fille? Elle est si proche de ce “Garçon…” qu'on croirait presque qu’il lui souffle quoi dire dans leurs tête… » nous nous sommes dit que ce serait vraiment merveilleux si cette femme avait raison, et que nous puissions vraiment nous parler dans nos têtes.
C’est ainsi qu'à 12 cycles, Molly s'est intéressé au piratage informatique. Aujourd’hui elle est incollable.
Normalement nos puces sont conçues pour permettre aux humaines de comprendre et de se faire comprendre de tout être vivant doté d’intelligence consciente.
Une avancée technologique qui a permis de concrétiser le langage unique, universel , sans en privilégier aucune. Une révolution mise au point après de nombreux cycles de recherche, en partenariat avec une vieille espèce d’EH qui a disparu depuis et qui est maintenant suffisamment aboutie pour être implantée, par des nanorobots injectés par le nez, a chaque enfantes à la naissance. Le gouvernement a tenu à ce que chaque enfante humaine soit implanté, pour que toutes aient les mêmes possibilités d’avenir.
Cela a permis de prendre l’avantage dans les discussions de l’Organisation Galactique des Commerces. Pouvoir comprendre et être comprise de tous est essentielle dans les négociations tout comme en politique.
Depuis les humaines ont de nombreux alliés, des colonies à des emplacements stratégiques et une place plus que majoritaire au sein de l’OGC.
Aujourd'hui les puces font partie de nos vies à toutes.
Personnellement, je suis bien plus emballé par la fabrication du cube, ou nous avons téléchargé Denis, pour le transporter jusqu’au cabanon et le brancher sur les autos-doc, que par le fonctionnement des puces, mais Molly dit que tout est lié.
La salle de soins n'a pas de fenêtre.
Blanche, minimale, circulaire.
Au centre, les auto-doc.
C’est la seule pièce de la maison qui est éclairée uniquement par une lucarne de plafond en verre. Elle est étroite, on pourrait presque se croire au fond d’un puits, pourtant elle n’est pas oppressante.
C’est la seule pièce à l'architecture semblable aux maisons de ville. Seul le sol en pierre nous rappelle où nous sommes.
Lise et moi devons nous y installer.
La dernière fois que j’ai eu besoin d'entrer dans l’une de ces machines, j'étais un enfant fiévreux et dégoulinant, avant d’en sortir complètement rétabli. C'était quelque temps après notre première modif de puces. Je me souviens avoir eu l'impression d'être minuscule dans la spacieuse cabine.
Maintenant, assis là, au bord de l’appareille, dans ma combinaison stérile, tournant le dos à Lise, dans la même position que moi, j’ai du mal à respirer. Mes mains tremblent.
Je m’allonge accompagné du frison qui court le long de ma nuque jusqu'au bas de mon dos.
Molly se penche au-dessus de moi pour refermer le compartiment de la machine. Elle prend soin de ne pas me regarder. Est-ce qu'elle est stressée? Ou toujours fâchée de notre conversation? Elle me contourne et reproduit son geste sur l’appareil de Lise.
Je ferme les yeux. J'essaie de me détendre, transporté par cette odeur sucrée si particulière qui me ramène à l'époque où mon corps n'était pas encore aussi inadapté à la boîte dans laquelle je me trouve actuellement.
Molly termine de connecter Denis à la console des autos-doc et depuis le poste de contrôle, nous demande si nous sommes prêtes.
Je respire profondément et rouvre lentement les yeux sur les branches qui caressent la lucarne. Le temps est comme suspendu.
Je ne peux pas voir Lise de là où je suis.
J’observe les rayons de lumière qui tapent la vitre et viennent s’échouer sur le mur, y dessinent des formes géométriques. En me raccrochant à l’idée que Lise, dans sa boîte, doit voir la même chose que moi.
Cela sera-t-il douloureux ? Je n'ai pas souvenir d’avoir souffert la dernière fois.
Molly me contact ;
- Tu es sûr de vouloir continuer sur cette voie? Le départ de Lise pour ses études serait le moment idéal pour prendre un peu de distance.
- De la distance, nous allons forcément en prendre puisque nous ne serons plus ensemble physiquement. tu devrais comprendre mieux que personne nos raisons de ce piratage…
- Et mieux que personne je comprends votre relation. Mieux que vous-mêmes, apparemment … je te connais, toi, pour être mon frère jumeau, ma moitié depuis toujours. Mais je connais aussi Lise, comme ma meilleure amie depuis presque aussi longtemps. Je connais ta vérité a toi, ta vision du monde. Mais aussi celle de Lise, qui n’est en rien compatible avec la tienne. Elle fait partie de ce monde, en est fière, le revendique, quand toi, tu es un être né au mauvais endroit, à la mauvaise époque.
- C’est ce que tu penses? Que je suis un intrus, que je ne devrais pas exister?
- Je n'ai jamais dit, ou pensé, une chose pareille et tu le sais! Je crois profondément qu'il y a une place pour toi, quelque part, et que tu vas finir par la trouver et t'épanouir. Mais je sais aussi que cette place n’est clairement pas aux côtés de Lise.
- Et bien sûr, c’est à toi, miss Condescendance, de dicter ce qui est bien ou non pour Lise et moi? Ne vois-tu pas l'hypocrisie dans ton discours ? Ne crois-tu pas que Lise est parfaitement capable de décider elle-même de ce qu'elle veut pour son avenir ?
- Mais elle aussi est terriblement égoïste. Elle sait pertinemment que jamais vous ne pourrez être ensemble et elle continue de t’encourager dans cette folie.
- Tu te trompes sur nous! Elle m’aime! Et je l’aime aussi! C’est aussi simple que cela.
- Mais vous n’avez même pas la même définition de « l’amour » ! Ça n'a rien de simple… Enfin… ouvre les yeux… Toi, tu l'aimes… tu l’aime d’une façon qui n’existe plus… et elle… elle passe du bon temps avec un ami. elle fait une pause avant de reprendre; Andy, tu sais qu’il y a un risque que toi et moi nous perdions la communication en piratant vos puces?
- Alors il est surtout question de ça finalement? Tu crois que je l'ai choisie, elle, en te sacrifiant, toi? Le risque que l'opération altère notre lien, à nous, est infime.
- Tu ne peux pas en être sûr! Est-ce que tu as peur de la perdre, si tu ne gardes pas le lien avec elle?
- Molly, tu es ma sœur, jamais notre relation ne changera! Alors qu’avec Lise, rien n’est moins sûr.
- Dans ce cas, ce n'est pas de “l’amour” comme dans tes livres. Tu la retiens prisonnière en agissant ainsi. Tu l'empêche de devenir qui elle veut être, pour ton seul plaisir personnel. C’est de l'égoïsme, rien de plus. Mais tu as raison, je me suis trompée sur toi. Peut être que la vision que ces femmes ont des hommes n’est pas si éloignée de toi finalement.
Maintenant que je suis bien énervée, que je sens mon coeur battre dans toutes les veines de mon corps tendu, elle me demande de rester imobile et de me détendre. M'annonçant qu’elle va effectuer le piratage comme prévu mais qu'elle partira de suite après, prétextant qu’elle a des choses a faire en ville.
Je maîtrise mon envie de hurler en me concentrant sur ma respiration.
-1
-2…
-3…
-4..inspiré
Lise n’a pas la moindre idée…
-5…
de mon état de nerf et…
-6..expiré
elle ne mérite pas que…
- je gâche tout, à cause d’une dispute…
-7…
avec ma sœur.
Le gaz se propage dans la cabine, ma vue se trouble, et lentement, je perds conscience.
Lorsque je me réveille avec un sérieux mal de crâne, Molly n’est plus là. Ni dans la pièce, ni dans ma tête.
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