Chapitre 2 (partie 2)

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Lise me dit qu’elle a quitté le cabanon depuis une vingtaine de minutes, et qu’elle a conseillé de me laisser dormir et de prendre un bon repas tous les deux ensuite. Elle est partie il y a seulement 20mn, elle a donc dû attendre au moins 1h que Lise se réveille et sois parfaitement consciente avant de partir.

A ce que je sache, j’ai toujours mis un peu plus de temps à émerger.

Je suis curieux de savoir si elle a toujours un accès à mes pensées et moi au siennes, mais je ne tiens pas à lui parler pour le moment. Je vais donc me retenir de la contacter. Rester loin de la porte de sa chambre. En tout cas pour l'instant. Je me redresse un peu trop vite. Des tas de parasites me brouillent la vue.

  • Je ne sais plus quoi penser. Pourquoi m’a-t-elle fait ça maintenant? Depuis des semaines que nous organisons l'opération et c’est ce moment précis qu’elle choisit pour me parler…?” Je demande à Lise la bouche pleine de ragoût.
  • Elle voulait te laisser l'opportunité de changer d’avis par toi-même.
  • Attends, tu es de son côté?
  • Bien sûr que non, je comprends sa manière de faire, mais je ne partage pas son avis sur notre relation. Ça ne la concerne pas de tout façon.

Ainsi le sujet est clos.

  • On va essayer nos puces? tu veux commencer?
  • Ok, dis moi comment faire.

On s'installe dans la chambre que Lise préfère. Elle s’assoit sur le lit, dos à la baie vitrée qui donne sur la forêt, dense et profonde. La fenêtre derrière elle crée une cerne lumineuse autour de ses cheveux.

Je me mets face à elle, en tailleur. Elle me sourit.

Mère-Nature, que ce sourire est éblouissant.

Elle encadre mon visage de ces mains délicates au longs doigts fins, comme je le lui ai indiqué. Elle plonge son regard dans le mien et le temps s'arrête.

  • Je suis dans ta tête.
  • Et moi dans la tienne.
  • Je vais penser à un souvenir. Tu es prête?

Je suis assis par terre, sous la fenêtre de la classe de Molly, je dois avoir 12 cycles. Devant moi l'immensité végétale. Une fourmi aventureuse me grimpe sur le mollet. C’est un cours d’histoire. J'arrache une longue tige d’herbe, et fait comme un barrage sur la route de l'insecte.

Il y a cette voix qui lit dans la classe, cela résonne comme une mélodie . Pourtant les livres d’histoire du programme gouvernemental ne sont pas écrits pour être lus avec passion. Ils n’éveillent pas la curiosité, ni l’imagination, comme peuvent le faire les livres de Fear, notre mère.

Avec mon brin d'herbe, je guide la fourmi jusqu’au sol. Petite créature espiègle.

Cette voix m’intrigue. Ce qu’elle lit aussi. Molly ne me parle pas beaucoup d’histoire quand elle m’enseigne. Des Hommes, “égoïstes et violents” … “qu’il faut maîtriser pour le bien de toutes”…

Est-ce que je vais devenir ainsi ? Égoïste et violent ?

Je prend le risque de jeter un coup d'œil. Le plus silencieusement possible je me retourne, me redresse légèrement, ne laissant que le haut de mon visage dépasser de l’encadrement de la fenêtre.

Je la vois, debout devant le tableau noir. Elle fait face à toute la classe. Elle a l'air tellement sûre d’elle, tellement détendue.

Je sens les végétaux humide sous mon poid, laisser leurs empreintes sur mes genoux.

Molly, près de la fenetre, me lance le regard le plus noir qu’elle soit capable de faire. Je reprends ma place, à l'abri des regards. Elle demande à aller aux toilettes pour me faire la morale.

“Je ne dois pas me montrer.”

“Je ne dois pas être vue.”

Et surtout « je ne doit pas être en contact avec d’autres enfantes. Jamais ! »

Lorsque Molly repart en direction de son cour, je me risque une dernière fois à regarder par cette fenêtre qui donne sur un univers qui m’est interdit. Privé de savoir, de contact. Privé de vie sociale, de vie tout court.

Elle a levé les yeux vers moi.

La lectrice, Elle m'a vue.

L’espace d’un instant, ces jolies boucles brunes ont tressailli.

  • J'étais toi, c’est incroyable… C’est la première fois qu’on s’est vues. Je ME suis vue, enfante, à 11 cycles, mais j'étais dans TA tête. J’ai ressenti ce que tu as ressenti, ce que tu as pensé… Comme si c'était mon souvenir, en beaucoup plus intense, non en fait, plus précis qu’un souvenir. Je sentais la chaleur, l’herbes, l'humidité sous mes jambes, qui n'étaient pas mes jambes… Molly a fait du bon boulot on dirait. On peut essayer un autre souvenir ?
  • ok, un plus récent.

Ces longs doigts fins pénètrent ma chevelure. Les frissons d'un incroyable bien-être me parcourent. Elle prolonge cette caresse dans mon coup, fait des petits cercles avec ces ongles sur mon épaule. La tête posée sur ces genoux, je suis incapable de garder les yeux ouverts.

N'a-t-on jamais connu de moment plus parfait ? L'un de ces moments que l'on ne voudrait jamais quitter... Malheureusement l'on n'arrête pas la course effrénée du Grian, qui se rapproche inexorablement de l'horizon.

J'ai appris à aimer les ciels de journée. Observer les nuages est devenu plus romantique que de contempler les étoiles. Nos rendez-vous secrets ont le parfum matinal de la rosée en pleine forêt. A cette heure- ci, à cet endroit précis, je peux voir l’anneau dans le ciel. Combien de chances j'avais d'être ici, pour voir ce spectacle?

Le vent soulève ces cheveux qui chatouillent mon visage.

Aujourd'hui nous avons lu “Jane Eyre”. Tant de questions. Tant de fascination pour ces œuvres d’un autre temps.

Je l’ai lu quand j'étais enfant, pour me distraire, mais quel bonheur de le re-découvrire avec elle. Je voulais quelle comprenne ce que je ressent, quoi de mieux pour cela qu’un livre ecrit par une femme, dont la protagoniste est une femme, qui parle d’amour… dans un monde ou être avec un homme que l’on aime n’est pas une aberration, mais une fin heureuse.

Lorsque je rouvre les yeux, je la surprends en train de me regarder.

Elle me sourit.

Ho! Mère Nature, comme ce sourire est satisfaisant !


Je me redresse, c'est bientôt le moment de nous séparer.

- Moi non plus, je n'aime pas te dire au revoir.

- Demain Molly sera avec nous, nous pourrions lui dire.?

- Oui, il est temps je crois.

Les joues écarlates, elle me sourit de son sourire le plus sincère, celui qui laisse apercevoir ces canines. J'en oublie cette affreuse journée. Je laisse mes problèmes derrière moi pour ne laisser de place qu'au bonheur d'être avec une personne qui m'apprécie sans réserve.

Une personne tellement douce et affectueuse qu'elle ne peut pas faire semblant. Ces regards et ces discussions interminables ne peuvent pas être feintes. Je l'espère en tout cas.

Je ne me suis jamais livré aussi ouvertement à personne d’autre que Molly; je ne suis pas allé jusqu'à lui parler de ma relation avec ma mère, mais lorsque je suis avec elle, j'ai le sentiment d'être moi-même. Du moins, celui que j'aimerais être à chaque moment de ma vie.

- Comment trouves-tu ces premières expériences dans nos têtes ?

- Très instructif. Dit-elle, les yeux remplis de malice.

- Il va falloir que l’on inverse les rôles, moi aussi je veux apprendre des choses dans tes pensées.

- Mais quand tu auras vu tout ce qui se passe là dedans… tu auras peut-être peur!

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