Chapitre 3 ( partie 1 )

6 minutes de lecture

C’est lorsque la journée entame sa course contre la nuit que Lise se sent enfin prête pour recommencer à explorer nos souvenirs. Après la longue matinée riche en émotions que nous avions partagée, une pause était nécessaire.

La fille de maison est passée. Elle a réapprovisionné le garde-manger et nettoyé la cuisine. Je suis resté dehors pour ne pas la déranger. J’ai observé Lise nager de loin.

Pas vraiment là.

À me refaire la dispute avec Molly encore et encore dans ma tête. À imaginer des répliques différentes, comme si la répétition allait changer le dénouement. Comme si je pouvais altérer la réalité.

Je dois me rendre à l'évidence, Molly n’est plus dans ma tête.Je ne me suis pas résolu à la contacter, mais jamais elle n'était restée aussi longtemps sans me parler. Alors soit elle est plus en colère que jamais soit, comme elle le craignait, elle ne peut plus me joindre. Les deux explications me semblent détestables.

Quand nous sommes rentrés de la gouvernance, à nos 6 cycles, et qu’elle a commencé l'école, sans moi. Quand, pour la première fois de notre vie, notre différence nous a physiquement éloignés l’une de l’autre; c’est elle qui a eu l’idée de m’enseigner ce qu’elle avait appris dans la journée.

Elle a réussi à trouver une utilité à nos séparations quotidiennes.

Si je suis en mesure de me réfugier dans les livres. Si je me sens moins seul avec mes histoires aux héros qui me ressemblent. C’est grâce à elle. A une époque où personne ne me parlait, c’est elle, qui m'a expliqué pourquoi on me traite différemment. Elle m'a apaisé et m’a affirmé que ce n'était pas ma faute.

Elle a toujours été la solution à tous mes tourments. Aujourd’hui c’est elle qui en a été à l’origine.

J’essaie de me rassurer. Nous sommes jumeaux. Nous ne devrions pas avoir besoin d’une connexion artificielle.

Ce qu’elle arrive à faire avec sa puce, j’en suis incapable. Elle sent quand je ne vais pas bien. Elle sait quand, le stress, la peur ou la colère m'envahit, et elle entre dans ma tête pour m’aider.

Nous ne sommes pas toujours du même avis avec Molly, c’est indéniable. Mais je préfère qu’elle me crie dessus plutôt que de subir ce silence.

Ça ne lui ressemble pas.

Ce qu’elle peut être agaçante aussi…

Elle a des amies, une vie, un avenir... Pourquoi me priver du peu de bonheur à ma portée ?

Je ne comprends pas ce qui ce passe.

Lise me rejoint, toute tremblante dans sa serviette, elle s'installe sur le transate prêt du mien.

Que vais-je devenir, quand elle et ma sœur ne seront plus là ?

Le début de la saison humide nous pousse à retourner à l'intérieur, mais cette fois c’est dans la véranda que nous prenons place. La vue sur le lac est magnifique. Les nombreuses plantes et la mélodie de la pluie donnent à la pièce quelque chose de chaleureux et nous y sommes à l'abri.

  • Alors ? Tu as toujours envie d’aller explorer dans ma tête?
  • Plus que jamais.
  • Comment je dois m’y prendre?
  • Ferme les yeux, et pense au moment que tu veux me montrer. Je ne peux pas fouiller. Je ne verrai que ce que tu veux bien partager. Pour Molly et moi c’est différent, on a pas mal de pratique en avance sur toi, et on est jumeau… on est en communion depuis longtemps alors parfois, une pensée nous échappe et l’autre la perçoit; mais ça ne devrait pas arriver avec toi.

Je suis dans une pièce claire, éblouissante, un peu brumeuse, je ne perçois pas tous les détails mais ce doit être un vieux souvenir. Quels cycles a-t-elle?

Un miroir, 6… ou peut-être 7 cycles ? Ça ne doit pas faire longtemps qu’elle a quitté la gouvernance.

Des bruits sourds me parviennent d’une autre pièce. Des adultes. Une fête, je crois. Elle avance dans le couloir qui sépare sa chambre à la salle de réception. Elle les rejoint.

Le salon est décoré de drapés blancs et d’une myriade de petites lumières blanches flottantes disséminées un peu partout. Les portes vitrées ouvertes laissent entrer encore plus de clarté et les décorations qui se poursuivent dans le jardin donnent l’impression d’être dans une tente immense et luxueuse.

Je sent l'émerveillement de Lise.

Et il y a de quoi.

La fête de Beatheleti est un événement majestueux. “Greine” elle-même l'a instauré à son arrivée sur Gravis. Ce n’est pas seulement le moyen de célébrer les mères, bien qu’elles soient honorées en cette semaine spéciale. Mais c’est également l’occasion d'entrer en communion avec notre Mère à toutes; Mère Nature, qui donne la vie.

La petite Lise voit toutes ces adultes autour d’elle, son cœur bat vite et son attention est en alerte. Elle est impressionnée par l’attroupement de femmes qui festoient chez elle.

Comme c’est agréable de découvrir une version miniature, presque vulnérable de la jeune femme forte que je connais.

Elle ne se démonte pas. Avance d’un pas décidé, pleine d’assurance, et s’installe au beau milieu de la pièce, sur un divan. Comme pour annoncer à toutes, que ces lieux lui appartiennent ! Sur un plateau qui passe devant elle, dans les mains gantée d’une serveuse vêtu d’un uniforme d’un blanc immaculé, elle attrape un verre emplit d’un jus au parfum fruité, le porte délicatement a ces lèvres, croisent ces petites jambes d’enfante en prennent garde de ne pas froisser les volants de sa robe neuve, et annonce clairement et bien fort, de sa vois sur-aigu que « ce breuvage est d’une subtilité appréciable! »

Ce qui crée l’hilarité générale suivie de nombreux signes d’approbations en direction de sa mère, ravis de la conduite irréprochable de sa progéniture.

Je sors de ce souvenir amusé, et encore plus charmé que je l'étais en y entrant.

“Ne rentre pas à la maison. Reste dans la forêt.”

Un message de Molly. Elle est toujours là alors. Molly est encore dans ma tête. Mais elle ne veut pas me voir. Ce n’est pas grave. De s’avoir qu’elle est toujours avec moi me suffit pour le moment. Elle doit avoir besoin de temps pour se calmer. Je n'étais pas ravie de devoir rentrer chez ma mère de toute façon. Deux jours de plus au Cabanon ne me feront pas de mal.

  • Ça ne va pas?
  • Si, tout va bien; Molly me disait simplement que je pouvais rester ici quelque temps. C’est exactement ce que j’avais envie de faire, ça tombe bien.
  • Sa na rien d’un hasard, Molly sait toujour ce qu’il te faut. Sa m'agacer a une epoque, vos petite conversations privées… On dirait que je suis de la partie maintenant.

Lise a toujours ce sourire au coin des lèvres. Comme si elle en savait plus que le reste du monde. C’est quelque chose que j’aime chez elle, son air mystérieux. Je la connais depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’elle ne cache absolument rien, mais je crois que ça lui plaît, de laisser son entourage dans le doute. Avec son air mystérieux et son attitude désinvolte.

  • Tu a déjà était sur l’anneau?
  • Non, jamais. D'après ma mère, Fainne n’est pas vraiment un endroit que l’on a envie de visiter.
  • Tu n'es pas curieux?
  • En fait, j'adorerais voir à quoi ressemblent les EH.

Me voilà à nouveau dans la tête de Lise.

Cette fois, plus question de fête ou de petites robes en soie.

Elle est dans une rue grise, poussiéreuse et déserte. Elle tient la main à une jeune femme qui ce plein de ces chaussures inconfortable. L’une de ces sœurs j’imagine.

Molly et moi nous ressemblons, nous somme jumeaux, le même ADN . Mais dans les autres familles, chaque membre est différente. Même mère oui, mais l’autre partie de leur patrimoine génétique vient de la banque centrale.

Lise a beau être brune de peau, avoir de magnifiques boucles noir et un regard tenebreux, la grande blonde qui lui donne la main avec t’en de bienveillance, est sans aucun doute sa soeur. La ruelle ne ressemble à rien que j’ai pu voir auparavant. Rien de vert, aucune végétation. Comme cet endroit est triste. Les murs sont hauts et partout autour de nous, même à l'extérieur. Lise se sent petite et oppressée.

  • Zaniah, pourquoi sommes-nous venus ici?
  • On est presque arrivé ne t’en fait pas.

Son cœur bat vite, elle sert la main dans la sienne un peu plus fort.

Lorsqu’elles arrivent à une porte métallique, qui s'ouvre lentement, le souvenir devient brumeux. Les éléments se dématérialisent doucement autour d’elle. Elle traverse un endroit sombre, étouffant, remplie de beaucoup d’adultes bruyantes. Elle ne lâche pas la main de sa sœur qui la tire en avant. Elle ne voit pas où elle va, mais continue de se laisser guider en serrant cette main comme si sa vie en dépendait.

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