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Dans la salle de commandement, une dizaine d’hommes et de femmes se faisaient face. Les visages étaient fermés et l’angoisse se lisait dans tous les regards. Autour de la grande table ovale, ils étaient comme abasourdis et aucun mot n’était échangé.
Sur une desserte ronde un peu à l’écart, les navigateurs discutaient bruyamment sur leur position actuelle. De toute évidence, certains remettaient en question les conclusions d’Arta et proposaient les noms d’autres étoiles à la luminosité et la taille comparable.
Le capitaine ne faisait pas grand cas de leur désaccord ; rapidement ils retrouveraient leur calme et reconnaîtraient comme exactes les données fournies par l’intelligence artificielle.
Une femme finit par entrer dans la pièce, tous les regards se tournèrent vers elle.
— Nous sommes trop loin de la Terre et ses colonies pour espérer un secours quelconque…
Silia, l’officier radio semblait dépitée. Tous comptaient sur elle pour les tirer de ce mauvais pas.
— Y a-t-il un moyen de booster notre antenne et espérer que quelqu’un reçoive notre signal de détresse ? demanda José, l’officier machine.
— Aucune chance… Nous sommes livrés à nous-mêmes ! ponctua Silia.
Elle partit s’asseoir près du capitaine et se laissa tomber dans un fauteuil vide.
La salle à l’acoustique particulière, afin que les conversations tenues restent secrètes, bénéficiait d’une lumière tamisée et d’un sol à la moquette feutrée. Une large paroi vitrée la séparait du poste de pilotage et le fond de la pièce était constitué d’une bibliothèque massive en chêne foncé, bondée de livres anciens.
— José ?
— Oui Capitaine ? répondit l’officier machiniste.
— Le bilan moteur est-il achevé ?
L’homme réactiva la tablette intégrée à l’avant-bras de son uniforme et pianota quelques instants.
— Tous les systèmes moteurs sont opérationnels. Le vaisseau est parfaitement fonctionnel !
— Et tu confirmes que seule la minicentrale nucléaire qui alimentait le moteur est à court de combustible ?
— On n’est pas totalement à sec… On en a encore un peu sous le pied, mais il va falloir être économe et bien définir notre cap. Car où que nous allions désormais, ce sera notre point d’arrivée final !
Le capitaine se leva et se dirigea vers la table des navigateurs.
— Alors messieurs ? Notre officier machiniste a posé la question qui nous brûle tous les lèvres : où pouvons-nous aller ?
Le silence s’était imposé de lui-même autour de la table ronde.
Ce système solaire leur était inconnu, toutes ces étoiles mystérieuses et ces mondes restaient inexplorés. Ils ne pouvaient se prononcer sans informations complémentaires. Bruno, l’officier navigateur exposa franchement ses craintes.
— Capitaine, il faut être raisonnable… Nous avons besoin de plus de temps pour définir une destination qui ne soit pas un coup de poker.
Nixon se tourna alors vers son second.
— Laura, de combien de temps disposons-nous ?
La jeune femme, au visage de marbre, se leva et consulta à son tour la tablette tactile de son équipement.
— S’il n’y a que nous à nourrir, nous pouvons finir notre vie sur ce vaisseau, il pourvoira amplement à nos besoins. Par contre, si nous réveillons les colons…
La jeune femme fut coupée par le seul civil assis autour de la table, l’homme en costume sombre l’interpella :
— Plaît-il ?
Monsieur Stanford était le représentant de la multinationale Geo-Cops, propriétaire du vaisseau spatial Nautilus-IV et à ce titre, le garant des intérêts financiers de ses actionnaires.
— Je vous encourage, madame Laura, à considérer les aspects légaux et juridiques de vos propos et hypothèses. Les colons transportés sur ce vaisseau n’ont pas à être relégués au rang de « cargaison » anodine, mais doivent être considérés comme des concitoyens à part entière, ayant signé un contrat avec la compagnie que je représente. Ce contrat comporte plusieurs clauses pour ce type de « situations », mais aucune n’envisage le maintien des dits « colons » en état de cryogénisation, ad vitam aeternam…
— Cela va sans dire, répondit aussitôt le Capitaine. Nous vous écoutons, chère Laura.
— Le nombre des colons s’élève à un millier, dont une centaine d’enfants. Nos réserves actuelles d’air, d’eau et de nourriture nous permettraient une survie de quarante-sept jours.
Le capitaine grimaça :
— Tu confirmes Arta ?
— Affirmatif, Capitaine.
— Cette estimation est-elle à votre goût, monsieur Stanford ?
— Nous devrons faire avec, si j’ai bien compris, répondit l’homme sur la défensive.
Puis Stanford se tourna alors vers Bruno :
— Ce temps est-il à la hauteur des espérances de notre navigateur en chef ?
L’officier navigateur détestait cet homme. Un arriviste prétentieux et imbu de lui-même qui se croyait au-dessus des autres. Leur situation actuelle rebattait les cartes et son argent, son influence et ses relations semblaient bien dérisoires désormais. Alors qu’il s’apprêtait à lui lancer une réponse cinglante, son regard croisa celui du capitaine qui en posant son index sur sa bouche lui intima l’ordre de se calmer.
— Il va sans dire que nous proposerons des alternatives au Capitaine avant cette échéance et que « Monsieur », le représentant du capitalisme de notre monde, pourra à loisir critiquer nos choix…
Les deux hommes se dévisagèrent méchamment un instant puis, le capitaine reprit la parole :
— Nous avons des décisions à prendre et elles concernent les colons également, il faut les réveiller. Arta, prépare la décryogénisation de tout l’équipage puis des civils.
— À vos ordres, Capitaine.
S’adressant à toutes les personnes présentes, il ajouta :
— Et pas un mot sur notre situation actuelle avant que je décide d’en parler ! Suis-je bien clair ?
Chacun inclina la tête en signe de réponse.
Alors que tous regagnaient leur poste ou leur quartier, le capitaine prit l’officier militaire de la Space-Legion à part :
— Inutile de vous dire que tout cela peut mal tourner, Sergent. Préparez vos hommes à toutes les éventualités. Je veux que toutes les armes présentes chez les colons soient identifiées puis stockées dans l’armurerie jusqu’à nouvel ordre.
— Bien, Capitaine, répondit le soldat en saluant.
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