Le débarquement
Le retour des soldats fut triomphal. Même le pilote eut son heure de gloire. Les soldats passèrent plusieurs heures en quarantaine puis, sous les applaudissements et les cris de joie, les cinq héros du jour furent escortés dans la grande salle des cérémonies où une petite fête avait été improvisée.
L’échantillon du mammifère fut récupéré puis transféré sous haute sécurité dans un laboratoire qui l’analysa sous toutes les coutures. Rien de particulier ne fut découvert.
Les réjouissances et débauches d’attention mirent mal à l’aise les soldats. De son côté, le pilote en profitait outrageusement pour obtenir des invitations sur les interfaces personnelles de toute la gente féminine de moins de vingt ans du vaisseau.
Finalement, le capitaine ramena tout le monde à la raison et félicita chaleureusement les soldats. Il rappela qu’il restait encore beaucoup à faire avant d’investir cette plage et que chacun devait s’atteler à la tâche. Puis il demanda au sergent et à la caporale de le suivre.
La remontée dans les couloirs jusqu’au poste de commandement fut longue et laborieuse. À chaque intersection, les mêmes scènes de liesse se répétaient. Mais comment en vouloir à tous ces gens ? Arès la désillusion et le doute, l’espoir d’une terre promise viable renaissait.
Finalement, le trio parvint dans la salle de commandement ou les attendait deux officiers : Laura Berkof, capitaine en second du vaisseau et Silia Garnini, officier Radio/transmission. Après un bref échange de salut, le capitaine exposa la situation.
— Sergent Bruno Duval et vous, caporale Mia Yeng, je vous félicite pour cette mission qui est couronnée de succès.
— Merci Capitaine, répondirent les deux soldats.
— Caporale Mia Yeng, vous êtes promue au grade d’officier, lieutenant de la flotte spatiale terrienne.
— Pourquoi faire ? s’interrogea la jeune femme. Hors de question que je quitte la Space-Legion !
— C’est quoi cette embrouille, Capitaine ? intervint le sergent
— Caporale, seul un officier a autorité pour diriger la sécurité d’une colonie extra-terrienne.
Les deux soldats restèrent sans voix. Le capitaine poursuivit :
— Ne me dites pas que vous souhaitez être placée sous le commandement d’un civil ?
— Certainement pas ! répondit Mia.
— Alors l’affaire est entendue. Arta ? Enregistrement sur le journal de bord.
— Bien Capitaine, répondit l’intelligence artificielle en déclenchant l’enregistrement de la séquence.
— En présence du capitaine en second, madame Laura Berkof, et de l’officier Radio/transmission, madame Silia Garnini, moi, capitaine en titre du vaisseau spatial Nautilus-IV, monsieur Peter Nixon, j’élève au grade de lieutenant de la flotte spatiale terrienne la caporale de la Space-Legion Mia Yeng, ici présente.
Les deux officiers présents apposèrent leurs mains sur la console de la salle de commandement afin de valider leurs signatures électroniques. Le capitaine apposa sa propre main afin de ratifier l’acte.
— Procédure validée et enregistrée dans le journal de bord. Le passage de grade est confirmé et applicable immédiatement. Félicitations lieutenant Yeng, ajouta Arta.
Le capitaine reprit aussitôt la parole :
— En présence du capitaine en second, madame Laura Berkof, et de l’officier Radio/transmission, madame Silia Garnini, moi capitaine en titre du vaisseau spatial Nautilus-IV, monsieur Peter Nixon, j’élève au grade de lieutenant de la flotte spatiale terrienne le sergent de la Space-Legion Bruno Duval, ici présent.
Ils refirent tous le même rituel.
— Procédure validée et enregistrée dans le journal de bord. Le passage de grade est confirmé et applicable immédiatement. Félicitation lieutenant Duval, ajouta Arta.
Le capitaine leur tendit deux petites boîtes dorées contenant leurs insignes.
— Lieutenant Yeng, vous êtes officiellement nommée responsable des forces de sécurité encadrant la colonie n°1, installée sur la planète… communément appelée « Acqualand ». En accord avec le lieutenant Duval, il sera placé sous votre commandement trois soldats de la Space-Legion. Ces hommes vous devront une totale ; obéissance, loyauté et fidélité. Choisissez-les avec soin !
Le capitaine salua la lieutenant Mia et lui indiqua la porte de sortie. Les deux officiers supérieurs quittèrent à leur tour la pièce laissant Peter Nixon en face à face avec l’ex-sergent. Le capitaine déboutonna son plastron et invita son invité à se détendre.
— Trois cent trente personnes de sauvées. J’ai connu des jours moins glorieux, dit le capitaine.
— L’avenir nous le dira… répondit Duval.
— Je crains que non. Une fois débarqués, ils seront livrés rapidement à eux-mêmes et nous… Nous devrons continuer notre route vers une autre planète. Vous serez alors nommé responsable de la sécurité de l’implantation n°2, où qu’elle soit. Et moi, je prendrai ce rôle pour l’implantation n°3. Je vous demande donc, dès à présent, de définir les noms des soldats qui devront me suivre. Il m’en faut trois et choisissez-les bien, car ils devront être autonomes.
— À vos ordres, Capitaine.
— Merci, Lieutenant.
Les deux hommes sourirent et se serrèrent la main.
***
Le vaisseau était en pleine effervescence, plus de trois cents personnes allaient quitter le bord et emmener avec eux, un tiers de toutes les ressources disponibles. D’un commun accord, l’équipe des mineurs avait été préservée pour les deux autres colonies. Le groupe des croyants avait décidé, sur les conseils de leur pasteur, de partir pour cette colonie ouverte sur la mer. Les références mystiques de leur gourou auraient pu faire sourire, mais il avait réussi à convaincre les siens que leur avenir s’inscrirait sur ce monde.
Parmi les scientifiques qui intégrèrent cette colonie se trouvait l’officier machiniste José Garcia qui bénéficiait d’une très grande maîtrise des équipements de dessalage. Grâce à l’imposante imprimante 3-D du Nautilus, il avait pu constituer deux unités de dessalement ainsi qu’un bon nombre de pièces détachées.
La capitaine en second, Laura Berkof avait aussi été nommée pour présider, pendant un mois, à la destinée du groupe. Puis, des élections désigneraient le nouveau responsable.
Les colons étaient composés majoritairement de famille. L’attrait de cette plage immaculée ayant été pour beaucoup dans l’enthousiasme des enfants.
Peu de matériel lourd fut chargé dans la navette. Une simple petite pelleteuse à chenille se logea facilement à côté de deux bateaux à moteur. Divers tentes, lits, tables et chaises étaient entassés au milieu de couvertures. Des parois intérieures en métal du vaisseau avaient été découpées pour servir de matières premières au campement. Quelques réfrigérateurs et plaques chauffantes, constituées à partir de l’imprimante 3-D étaient aussi présents. En comptant les affaires personnelles des colons, près de dix tonnes de matériels seraient ainsi acheminées vers la planète.
Bien conscients que cela ne suffirait pas à établir une base solide à leur implantation, les colons avaient convenu que même la navette servirait, dans un premier temps, de centre de commandement. Puis, si cela s’avérait nécessaire, elle serait dépecée en fonction des besoins.
En moins d’une journée, la navette de débarquement fut chargée et prête au départ. Le pilote, héros de la veille, se trouvait parmi les volontaires pour vivre sur ce monde. Sous les encouragements de tous, il en prit les commandes.
Le capitaine savait que le départ de l’aéronef ne devait subir aucun retard. La planète tournait rapidement sur elle-même et un débarquement de nuit était inenvisageable. D’une voix ferme, il pressa les derniers colons à prendre place et attacher leur ceinture.
La navette se détacha du vaisseau. L’excédent de poids déséquilibra la manœuvre, entrainant un début de tête à queue. Le pilote rattrapa la situation, mais se retrouva de biais lorsqu’il pénétra dans l’atmosphère de ce monde. Il corrigea quelques dérives puis informa ses passagers que cela allait un peu secouer.
Les colons vérifièrent les ceintures des enfants et chacun se prépara au choc. Ils ne furent pas déçus !
La surcharge de la navette entraîna une résonance qui se transmit à toute la carlingue de l’engin. Alors que les lumières clignotaient dans le cockpit, une première alarme retentit, puis une seconde. Laura Berkof, la capitaine en second et responsable de la colonie, se détacha pour s’approcher du pilote et le guider, mais une secousse inattendue la projeta violemment contre la porte arrière. Sonnée et le visage en sang, elle fut évacuée vers l’arrière.
Dans la navette, la panique commençait à se propager, la lieutenant Mia Yeng prit aussitôt les choses en main.
— Lila, Fred, passez devant et calmez tout le monde. Que les enfants restent bien attachés !
— OK, Capo… Lieutenant !
— Paul avec moi, on vérifie à l’arrière les filets de sécurité et l’arrimage du matériel.
Elle ajouta sur le canal radio des soldats :
— L’atterrissage va sûrement être difficile, il faut se préparer au pire.
La navette tournait sur elle-même, elle semblait hors contrôle. Depuis le poste de pilotage du Nautilus, le capitaine n’en croyait pas ses yeux :
— Laura ? Que se passe-t-il ?
— Elle est blessée, Capitaine. On l’a évacuée à l’arrière ! cria le pilote dans le micro.
Le capitaine regardait la navette partir à la dérive.
— Mais que fait cet imbécile ? Pourquoi ne rétablit-il pas l’équilibre ?
Il attrapa furieusement le micro et s’adressa directement au pilote de la navette :
— Redressez-moi immédiatement cette navette !
La navette était de toute évidence en perdition, elle tourbillonnait dans le ciel et le pilote ne semblait pas en mesure de pouvoir reprendre son contrôle. Dans le cockpit, la moitié des voyants étaient passés au rouge.
Le capitaine hurla à nouveau dans la radio :
— Pilote, ici le capitaine Nixon, tu vas faire exactement ce que je te dis ! Éteins les moteurs !
L’homme, paniqué, ne savait plus où donner de la tête. Il n’était plus en mesure de prendre de bonnes décisions, alors il exécuta les ordres de son capitaine aveuglément. La navette finit par ralentir et tomber en chute libre.
— Rallume les moteurs et cabre la navette, le nez vers le haut !
En réactivant les moteurs, la navette sursauta et accéléra. L’angle de pénétration dans l’atmosphère n’était plus du tout respecté. Aussitôt, la carlingue extérieure s’enflamma.
Mia repéra immédiatement par son hublot les flammes qui couraient le long du fuselage. Elle activa son micro :
— À tout l’équipage ! Refermez vos casques, immédiatement ! Vérifiez les équipements des enfants !
Dans la navette, la peur se lisait désormais sur tous les visages, mais chacun gardait son calme. Mia contacta ses hommes sur leurs radios :
— Attrapez les extincteurs et refroidissez les parois de la navette avant qu’on soit tous cuits !
Les soldats se jetèrent sur les bouteilles qui se trouvaient à l’avant et à l’arrière de l’appareil et les vidèrent sur les cloisons rougeoyantes.
De son côté, le capitaine continuait à aider le pilote dans ses manœuvres :
— Fonce dans les nuages, tu dois refroidir ta navette ! Vite !
L’homme réagit et réussit à éteindre l’incendie qui les menaçait tous. Le capitaine reprit la parole :
— La navette est endommagée, les portes et accès d’air ont dû être soudés par la chaleur. Tes moteurs vont s’arrêter alors pas de panique et agrippe le manche !
À peine avait-il fini sa phrase que les fusées qui propulsaient l’aéronef s’éteignirent et la navette piqua de nouveau vers le sol. Le pilote était épouvanté, il ne contrôlait plus rien. Le capitaine reprit la parole :
— Écoute-moi bien, va falloir la jouer fine ! Les moteurs auxiliaires peuvent te sauver la mise. Allume-les, puis immédiatement, tu les éteints sinon, ils vont exploser ! Il faut que tu profites de chaque poussée auxiliaire pour redresser ta navette et la ralentir. Il faut amerrir et le faire avec doigté. L’eau te servira de piste d’atterrissage, elle va ralentir la navette et refroidir ta carlingue. Tu dois faire en sorte de finir ta course sur la plage : au point zéro !
— Je vais faire de mon mieux, Capitaine.
— N’oublie pas, Pilote, que pour tous ces gens, tu es déjà un héros ! Ne les déçois pas, ne nous déçois pas !
Le pilote enclencha les moteurs latéraux, aussitôt une dizaine de témoins lumineux de plus passèrent au rouge. La poussée des fusées redressa un peu la navette avant qu’il ne les coupe. Il refit la manœuvre plusieurs fois et finit par rectifier sa chute et reprendre la maitrise de sa trajectoire. Pourtant, il arrivait bien trop vite et la plage n’était plus qu’à quelques kilomètres. Le capitaine intervint à nouveau :
— Pilote ! Cabre ta navette et plonge l’arrière dans l’eau ! Tu dois ralentir !
Il obéit.
Dans l’aéronef, la situation était critique. Les chocs répétés sur l’eau avaient eu raison de quelques sangles et la cargaison virevoltait dangereusement dans tous les sens.
Mia attrapa un épais câble en métal et le souda en travers de la coursive afin que rien ne puisse venir percuter l’équipage ou les colons à l’avant de la navette.
Le pilote plongea la navette dans la mer afin de la freiner le plus possible. La plage n’était plus qu’à quelques centaines de mètres lorsqu’il entraîna l’aéronef dans une rotation sur lui-même.
Mia et les soldats furent propulsés contre les parois brûlantes et rebondirent plusieurs fois parmi les caisses et autres matériels entreposés à l’arrière.
Finalement, la navette percuta la plage et s’échoua à un mètre du fameux point « zéro ». Lentement, elle stoppa sa rotation et s’immobilisa.
Fumante de toute part, les parois abîmées et noircies par l’incendie, la navette était méconnaissable.
À bord du Nautilus, chacun retenait son souffle : quelle était réellement l’ampleur des dégâts ? Tous redoutaient un nombre élevé de morts.
Finalement, des étincelles jaillirent de la carlingue. De l’intérieur, on découpait les portes soudées par l’incendie afin de libérer les survivants. Après quelques minutes d’attente, un panneau entier se détacha du fuselage et tomba sur le sable.
Mia fut la première à s’extirper de l’épave. Elle monta sur le toit de la navette et vérifia qu’aucun début d’incendie ne mettait en péril l’évacuation des civils. Une fois rassurée, une longue toile fut tirée depuis l’intérieur de la navette et deux par deux, l’équipage et les colons évacuèrent. Les familles sortirent en premier et s’éloignèrent en courant.
Le capitaine du Nautilus comptait chaque rescapé. Alors que le flot des survivants commençait à se tarir, les blessés furent à leur tour évacués. Soutenues par des proches ou des soldats, cinq personnes, dont Laura Berkof, furent portées à l’abri. Le pilote, couvert de sang, fut le dernier à être évacué.
Le capitaine intervint sur le canal radio privé de Mia :
— Lieutenant ! Il faut vite couper l’alimentation des moteurs et débrancher les batteries. Les éléments actifs de la navette doivent être neutralisés !
Alors qu’il donnait ses ordres, Arta téléchargea sur la console de l’avant-bras de Mia les plans des divers systèmes à déconnecter. Aussitôt, la jeune femme se glissa dans le poste de pilotage de la navette. Il fallait faire vite, la navette contenait tout leur matériel et leur survie en dépendait.
Mia actionna diverses manettes et appuya sur les boutons que lui indiquait son plan. Puis, elle déconnecta les batteries à l’avant de l’appareil. Arta lui confirma que tous les systèmes liés au pilotage étaient bien hors d’usage.
La jeune femme passa à l’arrière de la navette et à nouveau, ferma des vannes et disjoncta les systèmes électriques. Après plus de vingt minutes d’effort, elle ressortit de l’épave. La cargaison était intacte !
Comme l’avait fait avant elle le sergent, elle retira son casque et, un large sourire aux lèvres, se filma un pouce levé.
Après toutes ces minutes d’angoisse, ce fut une explosion de joie sur la Nautilus. La colonie était sauvée.
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