Chapitre 10 - Mathie

4 minutes de lecture

Noël 2008

La vieille dame était aux anges : depuis quelques jours, elle avait tous ses poussins réunis sous son toit. Jean-Philippe faisait l’effort de sortir de son bureau pour les repas plutôt que de se noyer dans son travail. Louise était un peu moins silencieuse, un peu moins transparente, qu’à la Toussaint – la dernière fois qu’elle était restée plus de deux jours. Virgile et Nicolas faisaient tampon entre leur sœur et le reste du monde, la couvant et la poussant tout à la fois.

Nicolas avaient entrepris de revoir avec elle toutes les leçons qui avaient posé problème jusque-là et occasionné de mauvais résultats. Ils s’installaient chaque matin sur la table de la salle à manger, étalaient livres et cahiers, et parlaient de choses qui semblaient étrangères à leur grand-mère. De son temps, on n’allait pas à l’école aussi longtemps, on en savait moins. L’histoire, la géographie, elle comprenait encore ce qu’ils racontaient. Le français aussi, c’était même intéressant ce qu’ils disaient sur les techniques d’argumentation et les figures de style. Jean-Philippe aurait pu aider sa fille d’ailleurs, il était bien mieux placé pour cette matière que Nicolas. Mais le calcul… enfin les mathématiques, comme ils appelaient ça maintenant… Des formules à n’en plus finir, qui semblaient écrites en hébreux, et servaient à Dieu sait quoi ? Et au final, aucun des trois n’était capable de faire une addition de tête plus vite qu’elle !

Le chien somnolait devant la cheminée, en voilà un qui avait la belle vie !

Lorsqu’elle prévint les enfants que l’heure du repas approchait, Louise remballa ses affaires de classe en moins de temps qu’il en fallait pour le dire, faisant rire Virgile qui asticota Nicolas sur ses talents de professeur.

« Eh, j’aimerais bien t’y voir ! » se défendit le plus jeune en souriant. « Tu crois que ça m’amuse ? Demain, tu t’y colles, si t’insistes ? »

L’après-midi, Louise partit un long moment promener son chien en compagnie de ses frères. Voir ces trois-là renouer des liens distendus par leur longue séparation réchauffait le cœur de Mathilde. A leur retour, elle leur prépara un bon chocolat chaud, et en but une tasse avec eux, se réjouissant de leurs joues rosies par le froid – un peu moins des traces de boue qu’ils avaient laissées sur le carrelage du couloir, et que Virgile promit de nettoyer dès qu’ils auraient fini de goûter. Nicolas proposa de rentrer du bois pour la cheminée pendant ce temps.

« Et toi, Louise, veux-tu m’aider à préparer le repas pour ce soir ? » proposa Mathie à sa petite-fille, souhaitant passer du temps rien qu’avec elle.

« Je sais pas trop cuisiner… » avoua Louise.

« Eh bien, c’est l’occasion d’apprendre. » lui répondit-elle en souriant.

Enroulée dans un tablier deux fois trop large pour elle tellement elle était menue, Louise suivait scrupuleusement les ordres de sa grand-mère concernant la confection des sablés de Noël. Elle découvrait le plaisir simple de passer du temps à préparer de bonnes choses à déguster. Sa mère n’avait jamais été un cordon bleu, se contentant de réchauffer des boites. A l’appartement, Louise aidait ses frères à préparer les repas, mais les garçons privilégiaient des plats simples – ils disaient qu’ils savaient faire à manger mais pas cuisiner. Mathie, elle, connaissait des dizaines de recettes par cœur, se servait rarement d’une balance pour peser ses ingrédients, et maitrisait son vieux four capricieux comme sa petite-fille se faisait obéir de son chien.

Louise lui raconta, un peu honteuse, le fiasco du quatre-quarts brulé de l’anniversaire de Nicolas, sans toutefois expliquer pourquoi il avait brulé.

« Ça viendra… » la rassura sa grand-mère. « Moi aussi, au début, j’ai brulé des gâteaux, raté des plats… Tu peux regarder dans mes livres de recettes, si tu vois quelque chose qui te fait envie, on pourra le préparer ensemble. »

Mathilde avait espéré pendant des années pouvoir à nouveau passer un Noël avec ses trois petits-enfants réunis autour d’elle. Elle avait bien cru que cela n’arriverait plus jamais, mais voilà que le rêve était enfin devenu réalité, et qu’ils étaient là, tous les trois. Pas de sapin dans le salon – Jean-Philippe y avait mis son véto en disant que c’était trop de tintouin pour des enfants trop grands – mais elle avait tout de même demandé à Virgile et Nicolas d’accrocher quelques guirlandes entre les vieilles poutres qui soutenaient le plafond, et ils avaient ramené de leur balade de la veille des branches de houx et de pin qui mettaient une touche de vert dans la pièce. De jolies bougies rouges étaient sorties d’un carton pour égayer la nappe blanche des grandes occasions, et une pile de paquets attendaient près de la cheminée – profitant d’une visite chez le cardiologue quelques semaines plus tôt, elle avait demandé à son fils de l’emmener dans les magasins pour y choisir elle-même ses cadeaux.

Jean-Philippe ne s’était pas foulé, rédigeant un chèque à chacun de ses enfants, mais elle tenait à faire des présents personnalisés. Pour Virgile, un beau pull en laine bleu marine, pour Nicolas le casque audio qu’il avait demandé, et pour Louise un joli portefeuille en cuir, elle n’en possédait pas d’après ses frères à qui elle avait demandé conseil. Les enfants avaient eux aussi joué aux pères Noël, offrant à leur père un stylo Montblanc, plus pour marquer le coup qu’autre chose, et à leur grand-mère une bouteille de son parfum favori. Les deux garçons avaient trouvé pour leur sœur un sweatshirt à capuche qu’elle enfila aussitôt – ‘comme ça tu ne me piqueras plus le mien’ précisa Nicolas – et même Attila avait eu son cadeau : un jouet pour chien qu’il renifla un moment, circonspect, avant de l’adopter quand Louise le lança dans le jardin pour qu’il aille le chercher.

Le reste des vacances passa bien vite pour Louise, entre révisions et cours de cuisine, balades au grand air et soirées au coin du feu. Mathie les vit partir à regret lorsqu’ils regagnèrent Clermont et leur appartement, où ils organisaient le réveillon de la Saint Sylvestre avec leurs amis. Ils ne seraient pas levés de bonne heure le lendemain, et ne feraient pas la route pour passer le premier de l’an en famille. Elle avait eu un beau Noël, et devrait s’en contenter.

Annotations

Vous aimez lire Miss Marple ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0