Chapitre 15 - Julia

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Printemps 2009

Virgile avait insisté pour qu’ils passent la soirée chez lui. C’est vrai qu’ils sortaient souvent, et le cinéma, le restaurant, boire un verre dans un bar, ça finissait par revenir cher, plusieurs fois par semaine. Julia avait donc accepté. Elle s’entendait plutôt bien avec Nicolas, il était sympathique, avenant, plein d’humour mais sérieux aussi. Les deux frères étaient différents mais se ressemblaient par bien des côtés. Avec Nico, elle s’était sentie acceptée au premier regard, tout naturellement.

En revanche, avec Louise c’était une autre paire de manches ! Leur première rencontre avait été explosive, elle avait pété un câble pour on ne savait quoi, mis son frère en colère, braillé des insanités, et pour finir s’était enfermée dans sa chambre en claquant la porte. Charmante soirée… Julia avait préféré partir pour les laisser régler leurs comptes en famille.

D’après Virgile, la situation s’améliorait, mais Julia avait du mal à comprendre que Nicolas et lui passent tous ses caprices à leur sœur. Et aussi, qu’ils en aient la responsabilité. Ils étaient de jeunes adultes, à peine majeurs finalement, encore étudiants. Et ils se retrouvaient avec une ado à élever ! Virgile disait que leur père était dans son monde – à côté de la plaque, si on demandait son avis à Julia, mais elle s’était bien gardée de le dire à voix haute – et vivait trop loin de Clermont pour imposer à Louise des allers et retours quotidiens jusqu’au lycée. La solution la plus rationnelle était donc qu’elle vive avec ses frères, qui partageaient déjà l’appartement où ils avaient grandi – et que leur père avait simplement quitté dès leur majorité pour aller vivre chez sa propre mère, âgée.

« OK, Virgile, je comprends le côté pratique, et elle n’a plus cinq ans, elle est autonome, d’accord. » avait-elle admis, le jour où ils en avaient parlé. « Mais franchement, vous lui passez tout ! Elle est capricieuse et…

_ Louise n’est pas capricieuse, Julia. Elle a besoin de nous faire confiance et on y travaille. On doit l’apprivoiser, en quelque sorte.

_ C’est ta sœur, pas un animal sauvage !

_ Ecoute, c’est comme ça, c’est tout. Ça ne m’amuse pas vraiment, si tu veux savoir. J’ai conscience qu’elle nous teste, aussi, elle teste les limites. Elle a besoin de savoir qu’on est là, et qu’on sera toujours là quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise. Elle a eu le sentiment d’être abandonnée, qu’on ne voulait plus d’elle, il y a sept ans. C’est ce que sa mère lui a fait croire. Elle a besoin de voir qu’on ne l’abandonnera pas, qu’on ne la renverra pas chez papa à la première connerie, ou si elle nous en fait voir de toutes les couleurs.

_ Waouh… t’as trouvé ça tout seul ? » s’était-elle étonnée, un peu dubitative face à cette théorie qui tenait plutôt la route, mais était un poil trop psychologique quand on connaissait Virgile.

« Nan, c’est Nico qui le dit. »

Bon, venant de Nicolas ça semblait déjà plus plausible. Mais tout de même, cette famille… leur dynamique… c’était vraiment étrange à voir. Elle se demandait parfois où elle avait mis les pieds.

Ce soir-là, en sortant de l’amphi après son dernier cours, Julia retrouva Virgile qui l’attendait dans le couloir, et ils marchèrent, main dans la main, jusqu’à chez lui. Ils auraient l’appartement rien que pour eux, pour un petit moment : Louise allait promener son chien pendant des heures, chaque soir en rentrant du lycée.

En entendant claquer la porte d’entrée, Virgile se redressa, tira sur son T-shirt, passa une main dans ses cheveux pour se recoiffer. Julia avait le chignon un peu de travers, et son rouge à lèvres avait légèrement débordé. Louise passa devant la porte du salon sans jeter le moindre regard dans la pièce ; la présence des chaussures et du manteau de Julia dans l’entrée lui avait appris tout ce qu’elle devait savoir.

« Tu viens passer un moment avec nous, Lou ? » l’appela son frère.

« Pas le temps, j’ai mes devoirs à faire ! » répondit-elle sans s’arrêter. Virgile soupira en entendant la porte de la chambre de sa sœur se fermer. Au moins, elle ne l’avait pas claquée, c’était déjà un bon point…

« Tu ne vas pas lui reprocher de faire ses devoirs, quand même ? » s’étonna Julia.

« Non, mais je suis sûr que c’est juste une excuse pour ne pas rester avec nous… » ronchonna-t-il. « Bon, Nico ira lui parler tout à l’heure.

_ Pourquoi tu n’y vas pas ? » demanda Julia. Ces trois-là avaient un fonctionnement étrange, qui la dépassait un peu. Louise faisait la gueule à longueur de temps et fuyait tout contact, qu’il soit physique ou visuel, cela attristait et énervait Virgile, mais sans qu’il fasse rien pour arranger les choses. Et Nicolas faisait tampon entre les deux, tentant d’aplanir les difficultés.

« Non, tu exagères. » protesta Virgile quand Julia lui fit part de sa réflexion. « La situation s’améliore, je te jure. C’est pas flagrant, là, OK… Mais le weekend dernier, en rando, on a partagé la même tente et je te jure qu’elle était moins distante, on a parlé un peu…

_ Oh, de quoi ?

_ De… randonnée.

_ Oui, rien de personnel, quoi. » Elle appuyait là où ça faisait mal.

« Oui, ben c’est toujours mieux que quand elle refusait de rester dans la même pièce que moi, comme au début. Et qu’elle ne croisait pas mon regard. Je sais que c’est pas génial, et que je me raccroche à des petits trucs de rien du tout, mais j’en ai besoin pour ne pas perdre espoir, Julia, tu peux comprendre ça ? Mais la rando, ça lui plait. Franchement, elle avait le sourire, dimanche. On a juste besoin de temps pour se retrouver, j’en suis sûr. »

Nicolas ne tarda pas à rentrer à son tour, et c’est lui qui alla frapper à la porte de leur sœur pour la prévenir qu’ils allaient passer à table. Louise le suivit jusqu’à la cuisine où ils s’installèrent autour d’un plat de pâtes carbonara, mais de tout le repas elle ne leva pas le nez de son assiette, ni ne dit un mot. Julia tentait de faire la conversation à Virgile et Nico, mais elle avait l’impression de pédaler dans la semoule. Elle partit tôt, plus tôt que prévu, pas mécontente de quitter l’appartement que la présence silencieuse et presque accusatrice de Louise rendait peu accueillant.

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