Chapitre 16 - Virgile

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A peine Julia eut-elle quitté l’appartement que Nicolas alla frapper, une fois de plus, à la porte de sa sœur. « Louise ? Je peux entrer ?

_ Nan ! » répondit-elle en ouvrant un peu le battant. « Qu’est-ce que tu veux, Nico ?

_ Te parler. » Elle referma la porte, et Nicolas soupira en serrant les dents, hésitant entre l’envie de défoncer cette foutue porte pour l’empêcher de se retrancher dans sa chambre, et celle d’aller mater un film pour oublier un moment cette situation merdique. La poignée pivota à nouveau, et Louise sortit dans le couloir avec Attila. Elle avait changé de tenue, nota-t-il, il avait eu le temps d’apercevoir le T-shirt qu’elle mettait pour dormir, une minute plus tôt, et là elle portait le sweat à capuche qu’elle avait eu à Noël.

Elle passa devant lui et alla se vautrer dans le canapé, son chien sur les talons.

« Alors ? Tu veux quoi ? Si t’as rien à dire, je retourne me coucher.

_ Oh si, j’en ai, des choses à dire, ma grande. Y’en a marre, de tes manières ! Tu viens de foutre en l’air une soirée. Virgile est dégouté, il est pas prêt d’inviter à nouveau Julia.

_ Bon débarras.

_ Pardon ? Mais tu t’entends, Louise ? Qu’est-ce qui te prend, bon sang ? »

Comme elle ne répondait pas, il reprit : « On a bien compris que tu n’aimais pas Julia, si tu veux savoir. Mais tout ce que tu vas gagner, c’est que Virgile va continuer à passer ses soirées dehors avec elle, plutôt que de rester ici avec nous. Je ne suis pas sûr que tu gagnes au change. En plus, Julia est très sympa. Tu fais ch…, Lou ! On a pas signé pour ça, nous ! »

Elle se renfrognait un peu plus à chaque phrase que son frère assénait, fronçant les sourcils et serrant les dents.

« Sérieusement, tu as intérêt à te calmer, hein, sinon tu vas finir en pension, c’est moi qui te le dis ! »

Virgile apparut dans l’encadrement de la porte : « Qu’est-ce qui se passe, ici ? Pourquoi tu cries comme ça, Nico ?

_ Elle m’énerve ! On peut rien dire, rien faire, avec elle ! Son comportement puéril me tape sur les nerfs !

_ Elle t’entend, je te signale. » intervint Louise en se levant. « T’es pas obligé de parler de moi comme si j’étais pas là !

_ Oh, ben ça y est, tu as retrouvé ta langue ?

_ Wow, wow, wow… On se calme, là. » temporisa Virgile qui voyait Attila se mettre en position de défense. « Va dans ta chambre, Nico. Lou, reste là, s’il te plait. »

Il regarda son frère quitter le salon, et s’assit en faisant signe à sa sœur d’en faire autant.

Nicolas venait de péter un câble. C’était inattendu. Lui, si patient et psychologue, toujours à dire qu’il fallait laisser du temps à Louise, venait de la menacer de la coller en pension, rien que ça ! Comme s’il n’avait pas interdit à leur père d’y penser, quelques mois plus tôt… Nico qui perdait patience, et Virgile qui jouait le casque-bleu, si ça n’était pas le monde à l’envers…

« Alors, Lou… qu’est-ce qui se passe ?

_ J’en sais rien, moi, c’est lui qui vient de m’agresser, là ! » se défendit Louise.

« Oui, OK, je crois qu’il a emmagasiné pas mal de choses depuis trop longtemps, et que tout vient de ressortir, là. Sans filtre.

_ J’irai pas en pension, je te préviens.

_ Mais non, Lou, t’inquiète pas.

_ Je te jure, j’irai pas.

_ Lou, il n’en est pas question ! Nico est en colère, ses mots ont dépassé sa pensée. J’irai lui parler après. Mais toi, dis-moi ce qui t’arrive ? Pourquoi tu n’aimes pas Julia ?

_ Mais c’est pas que je l’aime pas !

_ Ah bon, c’est quoi alors ? » Ca y ressemblait très fort, en tout cas… Virgile voulait bien une explication, là…

« Je m’en fous, avec qui tu sors, hein. Tu fais ce que tu veux.

_ Merci de ta permission ! » blagua-t-il. « Mais alors, dis-moi pourquoi tu faisais la tête, ce soir ?

_ T’es jamais là ! et pour une fois que tu sors pas ce soir, elle est là aussi ! t’es jamais là, Virgile…

_ Ben toi non plus t’es jamais là, Louise : tu es toujours dehors avec Attila. Et quand tu es là, il est là aussi.

_ C’est pas pareil.

_ Non, bien sûr : Julia peut participer à une conversation, elle, et rendre une soirée intéressante… Qu’est-ce qui se passe, Lou ? On allait bien ce weekend, non ? C’était bien la rando, ça t’a plu. Pourquoi d’un coup ça ne va plus ? »

Il n’eut pas de réponse, juste une Louise malheureuse et qui ne parvenait pas à le cacher. Il tendit un bras hésitant vers elle, en entoura ses épaules un peu timidement, pour lui faire comprendre qu’il voulait l’attirer contre lui. Elle se laissa faire, posa la joue sur son épaule mais sans s’abandonner. Elle était raide comme un bout de bois, les muscles contractés. Virgile hésita entre cesser de la torturer, et profiter de ce moment qu’il aurait presque pu appeler un câlin. Et décida de profiter.

« T’es jamais là… » répéta Louise.

« Tu as l’impression que je te délaisse, Lou ? Tu voudrais qu’on passe plus de temps ensemble ? »

Il obtint enfin une réponse : un hochement de tête silencieux.

« D’accord.

_ D’accord ? » Elle semblait étonnée de sa réaction.

« Oui, d’accord. Mais à une condition, non deux en fait : d’abord, que tu cesses d’être jalouse de Julia. Je te l’ai dit, tu es ma sœur et je t’aime, et ça ne changera jamais. Et la deuxième, c’est qu’on fasse des choses ensemble, qu’on partage des choses, des activités… Tu veux bien ? »

Elle hocha à nouveau la tête, et il pressa légèrement son épaule en retour.

« J’ai envie de passer du temps rien qu’avec toi, et puis aussi des moments à trois avec Nico. Et parfois, peut-être que vous passerez du temps tous les deux sans moi. Et on a aussi besoin de temps pour nous, pour faire des choses seuls ou avec d’autres amis.

_ Ou Julia.

_ Ou Julia, oui. Et c’est valable aussi pour toi : tu as le droit de voir tes amis en-dehors du lycée, de les inviter ici si tu veux, ou d’aller au cinéma avec eux, par exemple.

_ J’ai pas d’amis. » grogna-t-elle.

« Des copines, alors ? » tenta Virgile.

« Pfff… sont craignos, les filles de ma classe.

_ Ouais, c’est pas évident d’arriver en cours d’année, quand les amitiés sont déjà installées… »

C’était la première fois qu’elle abordait le sujet, ils avaient déjà essayé de la cuisiner gentiment là-dessus, mais elle n’avait jamais répondu.

« Et là-bas, à Paris, tu avais des copains, des copines ?

_ Un peu… » Elle balaya le sujet d’un haussement d’épaules.

« Lou, dis-moi : tu as gardé contact avec eux ?

_ Nan.

_ Pourquoi ?

_ Pfff… c’était pas important. Je suis mieux ici. »

Virgile se coucha ce soir-là avec l’impression mitigée d’une soirée en demi-teinte : d’un côté, inviter Julia avait été un véritable fiasco, vue la réaction de Louise. D’un autre, il avait l’impression qu’un nouveau tournant avait été franchi, sa sœur avait enfin verbalisé certaines choses, et ça leur permettrait peut-être d’avancer. L’avenir seul pourrait le dire…

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