Chapitre 30 - Gauthier
Le vendredi soir, en sortant de sa journée de stage, Gauthier passa à l’appartement voir Nico. Et Louise. Cette dernière était emmitouflée dans son plaid sur le canapé, en compagnie d’Attila, dans la même position que la dernière fois que Gauthier l’avait vue. Il s’arrêta à la porte du salon pour la saluer :
« Hé, Loulou ! Comment tu vas ? »
Elle leva les yeux vers lui et ôta de son oreille un écouteur pour le faire répéter : elle n’avait pas entendu ce qu’il disait. Il entra et s’assit sur un des fauteuils en lui demandant :
« Ça va mieux ?
_ Oui. Et merci de m’avoir raccompagnée, l’autre soir…
_ De rien. T’écoutes quoi ?
_ Sam Cooke.
_ Oh, bon choix. » approuva-t-il. En même temps, c’était son MP3 et sa playlist… Il savait par Nicolas et Virgile qu’elle utilisait énormément le lecteur qu’il lui avait prêté après son accident, et qu’il n’avait pas voulu reprendre. Si elle se faisait plaisir à écouter les morceaux qu’il aimait, il ne voyait pas d’inconvénient à lui laisser l’appareil. Il écoutait surtout de la musique à la maison, en réalité, et son ordinateur suffisait bien…
Louise lui sourit, un sourire gentil, presque complice. Ils parlèrent un moment de Sam Cooke, de sa vie et de sa musique, et Gauthier pour illustrer son propos sélectionna une piste qu’il voulait lui faire écouter. Il s’était rapproché, assis au sol contre le canapé, et ils partageaient le casque, un écouteur chacun.
Nicolas en les trouvant aussi proches battit en retraite et retourna s’occuper dans sa chambre : Gauthier saurait bien le trouver s’il voulait le voir, en attendant il n’allait pas les déranger.
Les morceaux s’enchainaient, ils écoutaient ensemble, commentant parfois à mi-voix, appréciant la musique et le moment de partage. Avisant sur la table du salon un carnet, Gauthier tendit le bras, curieux. Louise frémit près de lui, et il la regarda : « C’est ton carnet de dessins ?
_ Oui.
_ Tu veux bien me montrer ? »
Elle fit une petite moue, un peu gênée.
« Je ne savais pas que tu dessinais encore. » dit-il sur le ton de la conversation, pour la détendre. Elle avait commencé, pendant son immobilisation forcée, à gribouiller de petits dessins maladroits, pour s’occuper. Au stylo Bic sur des feuilles de papier machine, d’abord, puis au crayon gris sur un bloc de papier à dessin qu’elle avait mis dans le chariot des courses de rentrée. Et, plus récemment, elle s’était acheté un carnet, plus facile à transporter. Elle y avait pris goût, même si elle savait que ça ne valait pas grand-chose, elle aimait bien dessiner.
Gauthier avait toujours le carnet à la main, sans oser l’ouvrir. Il la regardait, attendant son aval pour y jeter un coup d’œil.
« Regarde si tu veux, mais c’est pas terrible, hein… je ne suis pas Picasso ! » lança-t-elle en se concentrant sur le petit écran du lecteur MP3, navigant dans les menus pour se donner une contenance et fuir le regard de Gauthier. Il comprit qu’elle avait peur de son jugement. Avait-elle seulement montré ses dessins à ses frères ? Elle était si secrète, parfois…
Il tourna délicatement la couverture de carton noir, les première pages constellées de petits croquis sans rapport les uns avec les autres. Ici, un oiseau sur sa branche, là un entrelacs de motifs floraux sans queue ni tête, plus loin un paysage de montagnes. Sur certaines pages, il y avait des couleurs, d’autres étaient monochromes. Petit à petit, à mesure qu’il avançait dans le carnet, il lui semblait que le trait s’affirmait, qu’elle prenait confiance en elle et en son crayon. La maison de sa grand-mère n’était pas mal du tout, même si la perspective laissait un peu à désirer il y avait de belles proportions, et la façade fourmillait de détails, les pierres, les ferrures des volets, un semblant de reflet dans les vitres et l’illusion de relief aux tuiles du toit, tout y était.
« Tu as un joli coup de crayon, Louloute ! » sourit-il en refermant le carnet qu’il lui rendit, sans aller jusqu’au bout. Il y avait encore des pages dessinées, qu’il n’avait pas regardées. Louise ne semblait pas très à l’aise de le laisser feuilleter son cahier. Elle haussa les épaules et détourna les yeux, faisant disparaitre son œuvre sous le plaid avec elle pour le soustraire à son regard, l’empêcher de le reprendre.
« Si, je t’assure ! » insista-t-il gentiment. Il regrettait presque de ne pas avoir poussé sa curiosité jusqu’aux derniers dessins : qui sait si Louise les lui montreraient un jour ? Pourtant, il avait senti qu’il était temps de cesser son intrusion dans son monde.
« Bon, qu’est-ce qu’il fout, ton frère ? » Il changea de sujet, plaisanta, lui rendit son écouteur pour aller chercher Nicolas – qui l’attendait dans sa chambre. Ils passèrent un moment à discuter, puis Gauthier déclina l’invitation à rester manger, et rentra chez lui.
Louise, restée dans le salon, extirpa son carnet de sous la couverture et tourna les pages, lentement, détaillant sans indulgence ses gribouillages, comme elle les appelait. Elle était un peu flattée que Gauthier les trouve bons, et en même temps refusait de s’accorder ce crédit. Ce n’étaient que de petits trucs sans prétention, elle n’avait jamais pris de cours de dessin, et ses notes en art plastique au collège avaient toujours été plus que moyennes. Elle avait apprécié ce cours, mais pas forcément les sujets imposés par les professeurs…
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