Chapitre 1
Mai 2016
J’ai traversé les jours et les semaines sans vraiment m’en rendre compte, je dessinais, j’allais aux entrainements de judo et aux réunions de la maison d’édition, j’ai décroché d’autres petits contrats, illustrer des affiches ou des flyers… Je respirais vraiment le week-end, quand on marchait dans la nature. C’était ma bouffée d’oxygène de la semaine, au sens propre comme au figuré… J’avais revu Paul quelques fois, on avait parlé un peu, mais jamais évoqué l’idée de se remettre ensemble. C’était fini. Il ne venait plus randonner avec nous. Je partageais désormais ma tente avec l’un de mes frères, comme avant. Un samedi soir, au moment d’installer le bivouac, Nicolas m’a regardée :
« Tu dors avec qui, Moustique ? »
Il avait passé la quasi-totalité de la journée avec Virgile, ils avaient parlé à bâtons rompus et je sentais qu’ils n’étaient pas arrivés au bout de leur conversation. J’ai fait le calcul rapidement : on avait quatre tentes. Hugothier dans l’une (Virgile avait trouvé cette contraction de leurs deux prénoms, et ne les appelait plus autrement), Alex et Martin dans la deuxième, si je laissais mes frères partager la leur, il ne restait plus que celle de Clément. Lui n’y voyait pas d’inconvénient, et j’ai dû promettre à mes frères que ça ne me dérangeait pas non plus.
Après avoir fini de s’installer, on a fait chauffer le repas et mangé, puis lavé la vaisselle. Et on s’est installés pour la soirée. Virgile m’a attirée contre lui, et je me suis blottie contre son torse. On avait toujours été très proches, mais depuis la naissance de Corentin je le trouvais encore plus tactile qu’avant.
« De quoi vous parlez, tous les deux, depuis ce matin ?
_ La curiosité est un vilain défaut » m’a répondu Nico, assis près de nous. Et même si son regard était tendre et taquin, je sentais le fond de vérité derrière, et que j’avais intérêt à ne pas trop creuser si je ne voulais pas qu’ils m’envoient bouler… Alors on a juste discuté avec les autres.
Après la veillée, j’ai ramassé la vaisselle sèche pour la ranger proprement, avant d’aller rejoindre Clément dans sa tente. Il était déjà à moitié dans son sac de couchage, couvert jusqu’à la taille mais torse-nu. Tout en ôtant mes chaussures et en fermant la tente, je me suis fait la réflexion qu’il était bien foutu. Musclé, large de carrure, la peau déjà un peu hâlée par le soleil – forcément plus sur les bras et le cou. J’espérais ne pas m’être fait griller à le mater… ça n’avait pas duré longtemps.
« Tu veux que j’éteigne la lumière ?
_ Attends un peu. » J’ai préparé mes affaires – lampe, portable – avant de me glisser dans mon duvet. Une fois dans le noir, j’ai ôté mon pantalon, mes chaussettes, mon polaire, ne gardant pour dormir que ma culotte et mon T-shirt. J’ai fourré mes vêtements en boule dans mon sac à dos, et me suis couchée pour de bon.
« Bonne nuit, Clément.
_ A toi aussi. »
Avant de m’endormir, je me suis dit que j’avais toujours dormi avec mes frères, avec Gauthier, ou Paul. Mais Clément, c’était une grande première…
Au petit matin, je me suis réveillée avec une sensation bizarre. J’avais chaud, j’étais en nage même, avec une moiteur étrange et désagréable entre les cuisses, partout en fait. J’ai calculé rapidement : impossible que ce soient mes règles, je les avais eues dix jours avant. J’étais mal à l’aise, c’était vraiment étrange, et cette chaleur ne venait pas de dehors : le soleil se levait à peine. Clément par contre était debout, j’étais seule sous la tente.
Je me suis battue contre mon duvet pour m’en extirper, j’ai enfilé mon pantalon et mon pull, mes chaussures de grenouille.
« Ça va, Louise ? » a chuchoté Clément en me découvrant habillée à son retour, en train de retourner le contenu de mon sac.
« Oui, oui. » ai-je répondu d’une voix étranglée, sans le regarder.
« T’es sure ?
_ C’est rien. Je… j’ai fait un rêve bizarre. Je vais aller prendre l’air, ça me fera du bien. »
Il se recoucha sans insister, seulement vêtu de son short, et je quittai la tente avec mes affaires roulées en boule sous le bras. Je m’éloignai en direction du ruisseau.
Arrivée à une distance honnête du bivouac, largement hors de vue, je posai mes affaires, et m’agenouillai au bord du torrent pour me mouiller la figure, me rafraîchir les idées. Je tremblais un peu, et des larmes de tension nerveuse brulaient mes yeux. Que m’était-il arrivé sous cette tente ? Je me sentais moite et en sueur comme après une relation sexuelle… Mon cœur s’emballa. Le rêve bizarre donné en excuse à Clément n’était pas une invention de ma part, mais je ne parvenais pas à m’en rappeler. Assise sur mes talons dans l’herbe encore verte du printemps, je me suis pliée en deux, à deux doigts de vomir, recroquevillé sur moi-même en gémissant, je ne supportais pas de ne pas savoir… puis j’ai respiré profondément pour tenter de me calmer. J’ai sorti mon nécessaire de toilette, mouillé le gant dans l’eau froide du ruisseau, et j’ai entrepris de me rafraichir, morceau par morceau. Il était encore tôt, mais si jamais un des gars se pointait, je ne tenais à m’exhiber devant aucun d’entre eux… Dès que j’avais rincé et séché une partie de mon corps, je remettais le vêtement qui correspondait.
Après ma toilette, après m’être changée, je me sentais un peu mieux, plus calme, plus fraiche, et je me suis assise, les bras autour de mes genoux. J’ai regardé l’eau couler devant mes yeux, rebondir et chanter sur les galets. Et j’ai tenté de réfléchir calmement. Premièrement, je ne voyais pas Clément faire un truc pareil. Ça ne lui ressemblait pas. Ensuite, ensuite… j’ai relevé la tête : avec le mal que j’avais eu à m’extirper de mon duvet – j’avais dû gigoter dans mon sommeil, il avait tourné et j’étais pratiquement couchée sur la fermeture-éclair – je ne voyais pas comment quelqu’un aurait pu y glisser ne serait-ce que le petit doigt.
Je soupirai, soulagée. Mais je ne me sentais pas véritablement mieux, j’avais beau être lavée il me semblait toujours ressentir ce trouble bizarre, comme à mon réveil.
« Bouchon ? Tu es là ? » appela Virgile. Il s’approcha, et s’assit à côté de moi. « Ça ne va pas ? Clément a dit que tu t’étais levée tôt, et que tu n’avais pas l’air bien… Tu es malade ?
_ J’en sais rien, je me suis réveillée bizarre… » Je n’en dis pas plus. Mon frère me fit lever le menton, et me regarda avec insistance : « Louison, qu’est-ce que tu as ? Tu me fais flipper, la dernière fois que tu as eu ce regard, c’est quand cet imbécile de Gauthier t’avait fait tomber de ton hamac… »
C’est ce soir-là que j’avais parlé pour la première fois à Virgile de ce que j’avais vécu pendant les années passées avec ma mère et Al…
Comme si ça ne suffisait pas, Nicolas est arrivé aussi.
« Ça va, je gère. » l’a rabroué Virgile qui m’avait sentie me tendre. « Retourne avec les autres. Louise est malade, on vous retrouve dans un moment. »
De nouveau seuls, il s’est contenté de me tenir contre lui en caressant mon bras, mon épaule.
« Ça va aller ?
_ Oui… » J’ai serré les dents, rassemblé mes affaires, et on a rejoint les autres, qui finissaient de déjeuner.
« Ça va, Louloute ?
_ Bof, je me sens pas dans mon assiette… » ai-je grimacé à l’adresse de Gauthier.
« Tiens, bois. Ça va te faire du bien. » me dit-il en me tendant ma tasse, remplie de thé bien chaud. Agenouillé devant moi, il me regarda souffler dessus et boire une gorgée : « Mange, maintenant.
_ Gauthier, je peux prendre soin de moi. En revanche, ta tente ne va pas se replier toute seule.
_ Elle n’est pas si malade ! » s’esclaffa Martin, qui commençait à recharger son sac à dos.
Mes frères ont tenu à ce que je mange tranquillement – en réalité, si ça a duré longtemps, c’est que rien ne passait – et se sont occupés de ranger mes affaires en plus des leurs.
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