Chapitre 17
Octobre 2016
Julia est finalement rentrée chez elle au bout d’une petite semaine, mais avec l’interdiction formelle de se lever. Quand Virgile m’a annoncé ça, et sachant que la nounou avait le bras dans le plâtre pour encore au moins six semaines, je lui ai aussitôt proposé :
« Je peux rester pour m’occuper de Corentin. Et vous aider. Julia ne pourra rien faire si elle doit rester couchée.
_ Non, je peux pas te demander ça, Moustique…
_ C’est moi qui propose, Virgile. Franchement, je suis sincère, et je le fais avec plaisir. »
Il a bien été obligé d’accepter cependant, poussé par Julia qui était plus réaliste, elle, et se rendait bien compte qu’elle ne pourrait pas surveiller Corentin et gérer la maison depuis son lit.
« Merci Louise. » me dit-elle le jour de son retour, après le départ des ambulanciers qui l’avaient ramenée. Elle avait le droit de se lever une fois le matin pour aller du lit au canapé, et le soir pour faire le trajet inverse. Le passage par la salle de bain était compris dans ces autorisations de bouger. Je serais devenue dingue, à sa place ! Mais elle prenait son mal en patience, déjà heureuse d’être rentrée chez elle, de passer ses nuits avec Virgile et de voir son petit garçon tous les jours.
Si les premiers soirs je suis rentrée chez moi, j’ai fini par élire domicile pour de bon dans la chambre de Nico, ainsi j’étais sur place le matin lorsque mon frère partait travailler, et le soir je n’avais pas besoin de traverser la ville pour aller me coucher.
Maintenant qu’il avait retrouvé sa maman, Corentin était bien moins grognon. Il aimait par-dessus tout se glisser dans le canapé contre sa mère, pour faire sa sieste. Nous allions nous promener quand le temps le permettait, je l’emmenais régulièrement à la médiathèque – il adorait qu’on lui raconte des histoires – ou bien nous jouions ensemble, pour laisser sa mère se reposer. Une relation très forte se nouait entre nous.
« Acor’ Tatie, acor’ ? »
Corentin réclamait pour la troisième fois une histoire avant de dormir. J’entendis Virgile soupirer dans le couloir, il me trouvait trop gentille. Assise par terre, près du lit dont la barrière était descendue, je fis les gros yeux à mon neveu :
« Corentin, tu exagères. C’est la dernière, je te préviens.
_ Ui. » marmonna-t-il, le pouce dans la bouche. Je cachai mon sourire, et ouvris mon carnet à dessin, dégainai mon crayon. Croquant rapidement une fleur, une sorte de marguerite, je commençai à inventer une histoire.
« … alors le monstre disparut, et la petite fleur put dormir tranquille… »
Je replaçai la barrière pour sécuriser le lit, vérifiai que Corentin avait bien son doudou, et éteignis la lumière avant de sortir de sa chambre. Mon frère m’attendait dans le couloir.
« Ça y est, il va dormir maintenant.
_ Cool. Il adore tes histoires. Je ne sais pas comment on va faire quand tu vas rentrer chez toi. Tu ne veux pas en faire des livres, Moustique ? »
Je souris : « J’y ai pensé, Virgile. Mais avant, je veux finir autre chose… D’ailleurs, je dois aller voir Pierre-Luc jeudi après-midi, tu peux t’absenter pour t’occuper de Corentin, ou j’appelle Marité ?
_ Appelle-la, ça lui fera plaisir. » me dit mon frère.
Notre belle-mère – c’était étrange de penser à elle comme ça – adorait garder Corentin, et papa aussi était content de l’avoir.
J’ai donc déjeuné avec eux le jeudi midi, avant de leur laisser le petit. Moi, j’avais une réunion à la maison d’édition. Pierre-Luc a fait le point sur les sorties imminentes et les projets en cours, on a travaillé sur nos documentaires : Stéphanie continuait sa série et j’illustrais avec plaisir ses bouquins. On avait trouvé notre rythme de croisière, et notre collaboration était plutôt fructueuse.
Alors que la salle de réunion se vidait, je m’approchai de Pierre-Luc et lui demandai : « Je peux te parler cinq minutes ?
_ Oui, bien sûr. » Il a refermé la porte pour nous isoler : « Je t’écoute.
_ Je voudrais que tu regardes ça. » annonçai-je sans préambule, en sortant de mon sac un carton à dessins contenant des peintures. Entre les pages étaient glissées des feuilles de papier machine sur lesquelles j’avais imprimé du texte. Je le regardai feuilleter longuement, lire, revenir en arrière, relire. Finalement, il referma le carton à dessins, comme s’il s’agissait de la couverture d’un livre, et resta songeur.
« Si ça ne te plait pas, je l’enverrai à d’autres éditeurs. Mais j’ai pensé que c’était plus honnête de te le montrer d’abord.
_ Je ne peux pas prendre la décision tout seul, tu le sais.
_ Bien sûr. Mais ça te plait ? Ou tu vas juste me faire poireauter par politesse ?
_ Non, non, ça me plait ! Ça me plait beaucoup, même. Tu peux me laisser quelques jours ? Je te rappelle lundi. »
J’ai accepté, et j’ai laissé sur son bureau des dizaines et des dizaines d’heures, cinq mois de travail. J’étais un peu stressée. On me pressait depuis longtemps de faire un livre toute seule, mais maintenant que la machine était lancée, j’avais un peu peur du retour de boomerang si ça ne plaisait pas au comité de lecture…
Quant à l’envoyer à d’autres maisons d’édition si Pierre-Luc refusait mon projet, j’avais bluffé avec beaucoup d’assurance mais je n’étais pas certaine d’en avoir le cran…
Je devais avoir l’air bizarre, parce que mon père s’inquiéta – un comble, lui qui ne voyait jamais rien ! – et je dus prendre sur moi pour donner le change. Pareil le soir avec Virgile, et le week-end avec Clément. En fait, je n’ai vraiment réussi à respirer que lorsque, le lundi matin, Pierre-Luc m’a appelée pour me demander de passer. Sitôt le repas terminé, j’ai couché Corentin dans le salon avec Julia, et je me suis dépêchée d’aller à mon rendez-vous en espérant être rentrée avant son réveil pour gérer le goûter. Pierre-Luc m’attendait, un grand sourire aux lèvres et un contrat d’édition à la main.
« On le prend. Depuis le temps que je te disais que tu en étais capable. »
J’osais à peine y croire. Pour autant, je n’ai pas signé aveuglément le contrat qu’il me proposait, j’ai demandé deux jours pour l’étudier calmement. Et je me suis bien assuré qu’il n’avait pas l’intention de modifier le texte, de supprimer ou retailler une illustration. Il m’a promis que j’aurais mon mot à dire sur la mise en page et l’impression, et j’ai filé retrouver Julia et Corentin qui s’était réveillé. Le soir, après le retour de mon frère, je suis allée voir mon père, qui a arrêté d’écrire pour éplucher avec moi le contrat, et m’expliquer les détails.
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